608 – SMALL IS BEAUTIFUL

Nous sommes de plus en plus nombreux à penser que notre civilisation est à un tournant. L’insatisfaction des citoyens grandit chaque jour et nos sociétés sont envahies par le doute. Allons-nous dans la bonne direction ? Des mouvements alternatifs surgissent un peu partout, porteurs d’une autre idée du monde, plus humaine et moins dépersonnalisée.

51bRttqBRrL._SX343_BO1,204,203,200_ Ceux qui étaient étudiants dans les années 70 ont lu le livre prémonitoire et d’avant-garde de l’économiste britannique Ernst Friedrich Schumacher et dont le titre résume la pensée : « Small is beautiful ». Hélas, cette génération et aussi la suivante, n’ont rien retenu de la mise en garde développée dans ce livre merveilleux ! L’origine du mal se situe à l’aube de l’ère industrielle du XIXème siècle et a traversé le XXème siècle sur le même modèle, pour finalement venir s’échouer en ce début du XXIème siècle, comme épuisé. On pourrait résumer ce modèle par ces mots : la course au gigantisme.

Au cours de cette période, le rationalisme scientifique et le matérialisme ont été les fondements uniques de la pensée. Progressivement l’homme a perdu son rôle central au profit des biens de production, de la rentabilité, de la course au progrès technique, de la production à grande échelle. Ce mouvement d’une grande ampleur s’est accompagné d’un saccage de la nature et de ses ressources au profit d’une productivité effrénée que rien ne semblait devoir arrêter. Le quantitatif a remplacé le qualitatif, le rendement a remplacé la sagesse, la machine a pris le pas sur l’humain. Cette société dépersonnalisée et déshumanisée a envahi tout l’espace, aussi bien dans le monde capitaliste et libéral que dans le monde socialiste et étatique. L’individu est devenu inutile et sans pouvoir, il est un objet, un pion au service d’un système qui l’écrase.

Cette primauté de la matière sur l’humain s’est traduite par une course au The-New-York-skyline-007gigantisme qui atteint aujourd’hui son apogée et nous donne le vertige. Les villages se meurent car les populations s’entassent dans des mégapoles qui peuvent dépasser les 10 ou 20 millions d’habitants, les hypermarchés ont remplacé les petits commerces, les conglomérats avec leurs super-usines ont remplacé les artisans, l’agriculture industrielle et hyper-mécanisée a remplacé la ferme à visage humain, la surconsommation a supplanté la consommation raisonnable et durable, enfin, la mondialisation a donné un pouvoir exorbitant à des multinationales plus puissantes que les Etats. La croissance du PIB est devenue une névrose obsessionnelle !

Nous arrivons à l’époque de la prise de conscience et du désenchantement. Que reste-t-il des belles promesses de progrès ? La technique a progressé, elle a remplacé l’humain et elle est devenue une fin en soi et non plus seulement un moyen. Sommes-nous plus heureux au milieu de ces superpouvoirs qui font de nous des « variables d’ajustement » ? C’est la vraie question, et à quoi sert le progrès s’il ne procure pas l’épanouissement de l’homme ? Nous rejoignons ici les préoccupations de Pierre Rabhi dont nous avons déjà parlé et qui prône « la sobriété heureuse » et pour qui « la seule économie qui vaille est celle qui produit du bonheur avec de la modération ».

En effet, comme le dit la sagesse populaire, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». N’est-il pas temps de remettre en cause cette course au gigantisme et replacer l’homme au centre du débat, si ce n’est au centre du village ? La nature est là pour nous proposer un modèle d’harmonie et d’économie des moyens. Elle n’a pas besoin de gigantisme pour réaliser des prouesses. Le conseil de Schumacher est d’aller « vers une coopération naturelle avec la nature ; vers les solutions silencieuses, faibles consommatrices d’énergie, élégantes et économiques, généralement adoptées dans la nature, plutôt que vers les solutions bruyantes, grandes consommatrices d’énergie, brutales, ruineuses et maladroites, proposées par nos sciences contemporaines ».

Il est temps de redonner du pouvoir aux citoyens qui sont dominés par des forces énormes, des institutions hyperpuissantes, des Etats totipotents, des entreprises dominatrices, des paysages urbains déshumanisés dans lesquels ils ont perdu leur âme et leur joie de vivre. Certains imaginent déjà un mode de vie différent en réfutant le mythe de la croissance et le fantasme de la toute-puissance comme nous l’avons déjà évoqué dans une précédente chronique (568- L’écopsychologie). Beaucoup de nos problèmes sont liés à la démesure, au surdimensionnement, à l’enflure, qui ont généré des « monstres économiques » dans lesquels les individus sont noyés, les liens sociaux sont distendus et l’entraide est devenue rare. Il s’ensuit une kyrielle de troubles mentaux, dépressions, anxiétés, peurs paniques, stress, burn-out qui, à l’horizon 2020, et selon l’Organisation Mondiale de la Santé, vont devenir un problème majeur de santé.

Nous insistons sur le fait que le progrès ne nécessite pas toujours le gigantisme. Il est bien des situations où, au contraire, la taille à dimension humaine est plus efficace. C’est le cas en agriculture comme nous l’avons déjà montré (chronique 536, La nouvelle révolution agricole), mais aussi dans toutes les activités et les productions locales qui redonnent du sens au travail, « dés lors que l’on fait les choses pour les gens ». Schumacher plaide aussi pour plus de liberté et de responsabilité qui sont les ferments de l’innovation et de la créativité. L’idée fondamentale est en résumé la suivante : « un peu c’est bien, trop c’est trop ! ».

L’avenir est dans le décentralisé, le local, la coopération, la participation, l’autonomie, la créativité individuelle ou en groupe, le réseau, le lien, l’échange, le partage et l’échelle humaine. Pendant ce temps là les robots vont remplacer l’homme-machine et les individus vont pouvoir redevenir des humains à part entière et s’occuper de leur humanité. C’est une nouvelle ère qui peut s’ouvrir…

Pour conclure, nous laissons la parole à Ernst Schumacher : « Partout on demande : que puis-je faire ? La réponse est aussi simple que déconcertante. Nous pouvons, chacun d’entre nous, travailler à faire régner l’ordre en nous-mêmes. Les conseils dont nous avons besoin ne peuvent pas nous être fournis par la science ou la technologie, dont la valeur dépend entièrement des fins qu’elles servent. Mais on peut encore les trouver dans la sagesse traditionnelle de l’humanité ».

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