860 – SOMMES-NOUS ORPHELINS DE DIEU ?

Le monde occidental religieux, et imprégné de spiritualité, est devenu progressivement un monde scientifique rationnel et logique : la croyance dans la science a remplacé la croyance en Dieu. Nous sommes passés d’un monde enchanté à un monde raisonnable et désenchanté…

Je suis conscient de ce qu’il peut y avoir de suranné, voire de ringard, aujourd’hui en Occident, de prononcer le mot Dieu. Parlons alors de transcendance, d’une Énergie, de quelque chose de plus grand que l’Homme, d’un principe unificateur peut-être, d’un grand Tout, d’une force invisible d’où tout procéderait et où tout retournerait, dans un cycle sans fin que l’on pourrait alors dénommer la vie éternelle.

L’angoisse du néant

Personnellement, il m’a fallu un long, un très long cheminement pour oser enfin me poser la question de Dieu. La religion était une affaire classée depuis mes années d’adolescence, elle faisait partie de ma culture familiale, mais il n’y avait pas matière à y revenir ! L’approche et la compréhension des souffrances de l’homme et de ses maladies, ainsi que l’observation d’un monde occidental en proie au plus grand désarroi, m’ont obligé à reconsidérer mon point de vue sur les religions. Quoi qu’on en pense, dans toutes les cultures, la religion était non seulement un ensemble de croyances partagées qui assuraient un ciment social, mais aussi elle donnait un sens à la vie et à la mort, elle protégeait les peuples de l’angoisse du néant. 

En effet, n’est-ce pas l’esprit religieux qui aidait à lutter contre la peur de la mort ? Il est curieux de constater que partout où l’esprit religieux diminue, le cynisme, le sentiment d’absurdité de la vie et l’angoisse de mort augmentent. Sans un Au-delà, sans un ailleurs mythique, nous ne sommes que des condamnés à mort en sursis. L’esprit scientifique a remplacé le prêtre, la faculté de médecine supplante désormais l’Église et installe ses dogmes intangibles. Il n’est donc pas étonnant que la médecine moderne ait consacré toutes ses énergies à faire reculer l’heure de la mort, l’heure maudite entre toutes !

La panique planétaire qui a assailli l’humanité des pays techniquement développés, en 2020 et 2021, lors de la pandémie au Covid-19, atteste de notre peur irraisonnée d’une mort qui concerne principalement les personnes âgées qui souffrent déjà d’une comorbidité. Nous avons mesuré à ce moment-là notre fragilité psychologique et notre incapacité commune à faire face au danger de façon apaisée. On peut légitimement se poser la question de savoir si cette panique globale n’est pas liée à notre sentiment d’absurdité de la vie, en dehors de toute transcendance, faisant de nous un simple objet matériel, sans autre épaisseur ?

Il était sans doute autrefois plus facile d’accepter les épidémies de peste qui faisaient partie du dessein insondable de Dieu. Chacun pouvait prier, demander secours puis remettre son destin entre ses mains. Qui aujourd’hui peut nous porter secours et apaiser nos tourments ? Il n’y a plus de Dieu pour nous redonner espoir en la vie… Nous remettons nos vies entre les mains de la médecine et de son vaccin !

L’Occident est-il orphelin de Dieu ?

Après la seconde guerre mondiale, l’occidental n’avait pas seulement perdu la foi en Dieu, il avait perdu la foi en lui-même, ce qui est peut-être la même chose. Il a donné naissance à une génération désemparée, porteuse d’une formidable angoisse de mort. C’est l’angoisse du cadre qui fait un burn-out, du dépressif, du drogué, du suicidé, du malade… Pour vivre, il faut un but, un dessein, fusse-t-il celui de Dieu. Une société sans grand mobile autre que celui du confort égoïste et de la consommation effrénée, peut-elle perdurer ? L’homme est orphelin de Dieu et ne parvient pas à s’en consoler. André Malraux, dans un raccourci célèbre, n’a-t-il pas écrit : « Le vingt et unième siècle sera spirituel ou ne sera pas » ? Cette formule, répétée à l’envie, fait-elle écho en nous à un manque dont nous ne sommes pas encore tous conscients ?

Dans un entretien récent, l’écrivain italien Giosuè Calaciura, auteur de textes magiques et poétiques, exprime son étonnement sur ce besoin de transcendance : « J’aimerais comprendre pourquoi nous ne sommes pas capables d’être des hommes et des femmes libres, sans Dieu » et il regrette : « le besoin de transcendance est devenu inaudible ».

D’autres auteurs contemporains se font les mêmes réflexions et en particulier le très intuitif Michel Houellebecq, qui pose un regard lucide sur nos sociétés occidentales. Il fait sienne une analyse d’Auguste Comte : « De toutes les structures produites par une société, qui en retour la fondent, la religion lui parait à la fois la plus importante, la plus caractéristique et la plus menacée. L’homme, selon Comte, peut se définir comme un animal social de type religieux ». 

La modernité en Occident a donc bien accouché d’un être mutilé, dépourvu d’une de ses dimensions essentielles, la spiritualité, aux antipodes de la rationalité héritée des Lumières. Finalement, ce qui nous étreint et nous angoisse, c’est l’angoisse de mort, c’est la profondeur du désir d’immortalité inscrite en nous, à laquelle seule la religion peut répondre… 

Dans un autre texte, Michel Houellebecq enfonce le clou de façon encore plus percutante : « Les êtres humains veulent vivre et pourtant ils doivent mourir. A partir de là, le premier désir est d’être immortel ». Cette immortalité est d’ailleurs promise par la médecine technologique, cette nouvelle religion imprégnée, non plus d’humanisme, mais de trans-humanisme. Le monde médical a bien compris que sans promesse d’éternité il ne pourrait asseoir son pouvoir !

Quoi qu’il en soit, si Dieu est la réponse, elle n’est pas du ressort de la rationalité mais de la croyance, de l’a priori, de l’intuitif, bref de tout ce qui n’est pas raison, mais qui est capable de donner à l’humanité des raisons suffisantes pour avoir envie de vivre, sans la peur du néant. Le reste est sans importance, ce n’est pas l’existence de Dieu qui est importante, mais l’idée qu’on s’en fait, quel que soit le mot que l’on emploie.

Dans ces conditions, le refus de Dieu, la négation de Dieu, est peut-être le premier pas vers la désintégration de l’homme. L’humanité aurait-elle besoin de Dieu pour être totalement humaine, pour satisfaire son besoin de transcendance, c’est-à-dire pour être reliée au monde ? C’est peut-être notre destin d’humain que d’avoir l’humilité d’accepter Dieu, comme une nécessité, sans savoir le définir, ni le décrire, avec des mots d’homme.

L’horreur d’un monde sans Dieu

L’écrivain contemporain qui a le mieux posé le problème d’une société sans Dieu est sans doute Michel Houellebecq, l’athée total qui exprime sa souffrance de l’être, souffrance qui transparait dans tous ses romans ! Il s’est longuement exprimé sur ce sujet dans un très bel entretien en Avril 2017.

Il avoue d’abord que « la religion, en structurant la vie, aide à vivre » et il ajoute : « Je maintiens que tout bonheur est d’essence religieuse. La religion offre la sensation d’être relié au monde, de ne pas être un étranger dans un monde indifférent … Je suis l’écrivain d’une époque nihiliste et de la souffrance d’être nihiliste » et enfin cet aveu terrible de la part d’un agnostique : « Je suis catholique dans le sens où j’exprime l’horreur d’un monde sans Dieu ».

Mais la partie la plus émouvante de cet entretien est lorsqu’il évoque, contre toute attente, sa « destinée christique » et qu’il le justifie : « Écrire implique de prendre sur soi le négatif, tout le négatif du monde, et d’en donner une peinture, de telle sorte que le lecteur puisse être soulagé en ayant vu exprimer cette part négative. L’auteur, qui prend sur lui de l’exprimer, court évidemment le risque d’être assimilé à cette part négative du monde. Et effectivement ça a un rapport avec le Christ prenant sur lui tous les péchés de l’humanité ».

Le Royaume, ce n’est peut-être rien d’autre que cette « communauté humaine » animée par la conviction que la croyance en Dieu est la solution aux tourments de l’humanité et que l’on n’en trouvera sans doute pas de meilleure…

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4 commentaires

  1. André Malraux a dit : “le XXIème siecle sera SPIRITUEL ou ne sera pas”
    Il n’a pas dit “sera religieux”
    Merci de bien vouloir le modifier dans le texte, très interessant par ailleurs !

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