Laissons la vie s’écouler, ne retenons pas son flot tumultueux ; laissons la vie suivre sa pente depuis sa source, d’abord torrent, puis rivière et fleuve ; rien ne peut retenir la vie depuis sa source jusqu’à son embouchure, jusqu’à sa fusion dans l’océan cosmique où tout se mélange.
D’abord individuelle et capricieuse comme un torrent de montagne, la vie s’enrichit et se mêle à d’autres vies ; puis elle ralentit sa course et poursuit plus sagement son chemin en suivant son inclination.
Ainsi va l’eau de la vie, têtue et obstinée, féconder et nourrir la terre. Laissons l’eau nous envahir comme une émotion bienfaisante, laissons l’eau couler, l’eau de notre sang et l’eau de nos larmes ; laissons couler nos larmes de sang, nos larmes de douleur et nos larmes de joie ; elles sont les mêmes ces larmes, faites d’eau et de sel, de l’eau et du sel de la vie. Laissons couler ces larmes salées qui naissent avec nos émotions.
Laissons couler la vie comme on laisse couler l’eau, là où elle jaillit. Une herbe entre deux pavés pousse de toute sa vigueur, rien ne la retient, elle ne doute pas, elle a posé la vie à priori ; elle pousse avec toute la force du printemps, sans hésitation, sans peur ; elle laisse la sève s’écouler, la sève qui la fait grandir, comme elle accepte l’eau qu’elle reçoit. Elle va vers son destin qu’elle ne connaît pas, sans se soucier du pas inconnu, qui soudain, poursuivant son chemin, va l’écraser, d’un pas lourd et innocent. Ainsi la vie s’écoule, belle et triste, cruelle et innocente.
La vie ne se pose pas de question et, comme l’eau, ne supporte pas les entraves. Tout ce qui la retient, tout ce qui fait barrage, la dévitalise. Comme les eaux lugubres et mortes des lacs artificiels, pleines de menaces. Le doute est un barrage à la vie, il bloque son flux, il freine son écoulement, la dévie de sa pente et de son destin.
Combien mettons-nous de barrages pour entraver le cours impétueux de nos vies dont la fougue et l’énergie vivante nous effraie ? Ainsi, nous ralentissons ce flot, en jetant au travers de la rivière tout ce qui peut le freiner, tout ce qui peut stopper sa course ; trop souvent nous endigons cette eau qui peut déborder, nous la canalisons, l’enfermons, pour l’empêcher de se répandre.
C’est pourquoi nous refoulons nos larmes et nos émotions, c’est pourquoi nous doutons de nos talents, c’est pourquoi nous avons peur de l’amour, de celui qu’on reçoit et celui qu’on donne. Nous retenons nos larmes, et retenons d’aimer. Nous sommes des avares de la vie et nous vivons à l’économie ; nous avons peur de la donner comme nous avons peur de la perdre, mais la vie ne s’épargne pas.
Nous planifions la vie, nous réfléchissons à son sujet, nous voudrions l’analyser et la comprendre. Mais peut-on prendre la vie et la mettre dans une éprouvette ? L’eau que je prélève du fleuve n’est déjà plus le fleuve, je l’ai soustrait à son destin et je lui ai enlevé sa force. Par définition on ne peut analyser la vie « in vitro », car « in vitro » il n’y a plus de vie mais seulement son empreinte, son image lointaine. De même, nous survivons en éprouvette car nous avons peur de l’eau, de l’eau du large, de l’océan où la vie nous conduit.
La vie se vit, un point c’est tout, elle n’a pas d’autre justification ; comme l’eau, elle s’écoule et se transforme sinon elle s’évapore et s’assèche, il ne reste plus alors que le sel qui brûle, le sel qui conserve et qui momifie. La vie s’écoule, se transmet, se donne et s’accepte. Laissons la vie jaillir soudain à la lumière, comme une source d’eau fraîche. Laissons la vie nous envahir, nous irriguer, nous fertiliser et nous nourrir, laissons-la accomplir son œuvre.
Il est des peuples où la vie fermente et pullule, où la vie déborde de vitalité. Allons là-bas, puiser
