698 – CONFLITS DE GENERATION

 

 

J’ai récemment réalisé que lorsque l’on devient grands-parents, l’on se trouve généralement à la charnière de 5 générations. Nous avons connu nos parents et grands-parents, nous connaissons notre propre génération, puis celles de nos enfants et petits enfants. Nous sommes donc au centre de plus d’un siècle d’histoire familiale et sociétale!

Les grands-parents nous ont  bercés avec leurs récits des drames de la première guerre et ses conséquences sur la vie des hommes et femmes de leur génération. Ils nous ont parlé du temps de la lampe à pétrole et des premières voitures. Souvent, ils ont connu la vie rurale, les durs travaux des champs, les familles nombreuses, le travail essentiellement manuel, la vie animée au village, intense et fraternelle. Ils ont été éduqués par les deux piliers qu’étaient l’instituteur et le curé, l’école obligatoire et la religion. Ils étaient travailleurs, patriotes, religieux et dévoués. Sur les photos on les voit sévères et fiers d’eux-mêmes, sans arrogance. Ils ont été pour nous des maîtres car ils ont traversé deux guerres sans courber l’échine.

Nos parents ont hérité de ces valeurs et auraient pu les perpétuer, mais la deuxième guerre a de nouveau tout bousculé et rebattu les cartes. Ce sont les enfants du Front Populaire. Ils ont connu le déshonneur de l’occupation, l’humiliation de la défaite, les souffrances du rationnement. Sous l’effet de la mécanisation, ils quittèrent leur village et les travaux des champs pour un travail à la chaine déshumanisant dans des villes froides et austères, coupés des liens qui faisaient leur joie et leur richesse. Ils perdirent leur liberté en même temps qu’ils devinrent marxistes. Néanmoins, l’avortement était encore un crime et l’accouchement hors mariage un déshonneur ! Ceux qui avaient poussé les études au-delà de 14 ans devinrent des cols blancs que l’on repérait en regardant leurs mains, blanches elles aussi. Puis, ils ont travaillé à reconstruire ce que deux générations avaient détruit, avec un acharnement méthodique, entêté et aveugle.

Notre génération fut bénie entre toute parce qu’elle ne connut pas la guerre, sauf par ouï-dire. Elle était ambitieuse, enthousiaste et travailleuse, animée du sentiment profond que s’ouvrait une ère nouvelle où tout restait à faire. Les villages continuèrent de se vider et devinrent des déserts peuplés de vieillards. Les usines et les banlieues sortirent de terre, le confort s’améliora et l’on devint exigeant. Il fallut des week-ends, des loisirs, des vacances à la mer et à la montagne. Le soir, devant la télévision, toute la nation devint égoïste et bourgeoise. La pensée scientifique commença à supplanter la pensée religieuse. La pilule mit fin aux familles nombreuses et le divorce rendit l’amour éphémère. Les rivières et nos campagnes furent polluées par une agriculture industrielle qui rendit nos jardins potagers inutiles et dérisoires, supplantés par les supermarchés. Nous sommes la génération qui a vécu 68, l’année où, dans le monde, tout a définitivement basculé !

Puis vint la génération de nos enfants, la génération Y, celle de la fin du siècle, celle qui envoya promener les convenances, les interdits et les tabous. Pour eux, toute convention était un carcan, un obstacle à la liberté. La première des libertés fut la liberté sexuelle, sans procréation. Les liaisons devinrent moins stables, plus éphémères, sans contrat, sans engagement. Ils sont plus éduqués que leurs parents et pensent donc ne plus avoir besoin de conseils. Ils changent de travail aussi facilement que de conjoint. C’est l’époque de l’apogée du féminisme, de la revendication des femmes pour l’égalité. Les hommes ne veulent plus faire la guerre ou mourir pour des idées, ils font désormais la cuisine et le ménage, dans une famille réduite souvent à sa plus simple expression. Ils sont dorénavant plus intéressés par les nouvelles technologies que par les joutes politiques ou les cérémonies religieuses. Hédonistes et apôtres du carpe diem, ils sont vulnérables et fragiles, souvent au bord du « burn-out », en manque de sens, ne sachant pourquoi ils travaillent.

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Les petits enfants ouvrent l’ère d’une vie qu’ils croient faciles, l’ère de l’enfant-roi. Le confort, les vacances, les loisirs, l’argent, sont pour eux des évidences. Leurs parents sacrifient tout pour eux et ils ne veulent surtout pas les contrarier avec trop d’exigences. Ils sont élevés dans l’excès de sucre et de calories. Cette génération Z va se trouver confronter à des défis immenses et risque de manquer de goût pour l’effort afin de les affronter. Ils sont de plain-pied dans le digital, les jeux vidéo, l’intelligence artificielle et les robots, qui vont demander un haut niveau d’exigence. Ceux qui n’auront pas fait des études longues et très spécialisées risquent de se retrouver sur le bord du chemin. Autant dire que l’avis des grands-parents est devenu de peu de poids pour les aider à inventer le futur. On parle déjà pour eux du « revenu universel de base » qui sonne à nos oreilles comme une insulte et un déshonneur mais qui demain, sans doute, permettra à la moitié d’entre eux de survivre ! Il leur faudra donc trouver eux mêmes des raisons de vivre

Les grands-parents d’aujourd’hui se retrouvent à mi-chemin entre ces extrêmes. Ils furent nourris par une génération qui connut la voiture à cheval et ils doivent tracer leur route et continuer de progresser dans un univers virtuel peuplé de robots intelligents. Quel défi !

Ils ont travaillé toute une vie, souvent 60 heures par semaine, mais en France, leur retraite est aujourd’hui convoitée par une génération qui travaille 35 heures par semaine et revendique 5 semaines de vacances. C’est la génération de nos enfants, la génération Macron, qui trouve que nous avons bien vécu et que nous devons désormais nous serrer la ceinture. Oui, cette génération a bien vécu, mais elle a été aussi très exigeante avec elle-même. Elle n’a jamais pensé que la vie est facile et elle a toujours fait passer le travail avant les loisirs.

Le rapport entre ces deux valeurs s’est aujourd’hui inversé. Pourquoi pas ? Ce choix implique une autre conception de la vie et il convient que les nouvelles générations en assument les conséquences.

Quel rôle pour ces grands-parents que plus personne ne consulte et dont la parole n’est pas entendu? Bien sûr, ils n’ont pas d’avis pertinent sur la révolution numérique, mais ils sont dépositaires d’une certaine sagesse et d’un certain bon sens qui ont valeur universelle. Ils sont porteurs de valeurs qui ne sont peut-être plus à la mode mais qui peuvent être utiles en période de turbulence.

Ils peuvent aider les jeunes à trouver un sens à leur vie. Ils peuvent répondre à leurs besoins de transcendance, ils peuvent leur enseigner que l’amour et le bonheur ne tombent pas du ciel mais se cultivent et se soignent comme des fleurs fragiles et belles. Les petits enfants ont besoin des grands parents pour connaître toutes ces choses que l’on n’enseigne jamais à l’université mais qui sont essentielles dans la vie, pour lui donner de l’épaisseur, de la consistance. En retour, les grands-parents ont besoin des petits-enfants pour se sentir utiles, pour donner un nouveau sens à leur vie et échanger de l’amour.

Aujourd’hui, les grands-parents se trouvent en décalage énorme entre les valeurs qui les ont nourris et les valeurs actuelles. Jamais, au cours de l’histoire de l’Occident, il n’y eut un tel gap entre les générations : entre le mariage sacré et indestructible, et le mariage pour tous, à géométrie variable ; entre une jeunesse chaste mais frustrée et l’amour libre, tout azimut ; entre faire l’amour avec respect et « baiser » à la chaîne ; entre la primauté du travail et de l’effort et la primauté des loisirs et de la facilité ; entre le respect de la religion et la mort de Dieu ; entre la vie de village et les voyages low-cost ; entre les vacances à la campagne et les vacances à Bali ; entre la lecture des classiques et les jeux vidéos ; entre l’enfant soumis et l’enfant-roi ; entre la certitude d’un monde stable et la peur d’un monde inconnu ; entre le réconfort de la transcendance et l’angoisse du néant.

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Les grands-parents sont là pour faire le lien entre les générations, pour rattacher les petits-enfants à une lignée qu’ils auront à perpétuer, à une tradition qu’ils doivent connaître. Grâce à nous, ils auront plus tard connu 5 générations qu’ils auront aussi à transmettre. Grâce à eux nous serons encore présents deux générations plus loin. Nous sommes des passeurs de culture. J’ai de la compassion pour les enfants et les grands-parents qui ne se sont pas connus, quel qu’en soit le motif. Ils seront, les uns et les autres, comme des mutilés…

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7 commentaires

  1. Honteux, cet article… Infesté de clichés et empreint d’une morale réactionnaire dont nous ne voulons plus aujourd’hui.
    Heureusement, le monde évolue, et s’il reste encore nombre de vieux cons & de vieilles connes, les canicules font du bon boulot 😉

    1. Je dois dire que j’ai de la difficulté à comprendre le sens de votre commentaire extrêmement virulent! Ai-je touché chez vous un point sensible, bien caché au fond de votre inconscient? N’avez-vous jamais eu de parents et de grands parents? Ou ne vous ont-ils jamais rien apporté? Merci de votre réponse pour éclairer nos lecteurs.

  2. Bonjour,
    Je vous remercie d’avoir écrit cet article, que je vais m’empresser de diffuser à tous mes amis retraités. J’ai 82 ans et 5 petits enfants entre 5 et 16 ans. Ce que vous décrivez correspond bien à la réalité que j’ai connue et que je constate aujourd’hui. Je plains sincèrement Pierre pour cette réaction.

  3. Je ne vois pas ce qui peut choquer autant dans votre lettre. J’ai beau lire et relire,
    vous ne livrez même pas votre philosophie propre, vous décrivez simplement la réalité des choses qui a de quoi inquiéter …il est vrai (c’est moi qui le dit , non vous!) Alors ?

  4. Bien sûr, tout n’est pas complètement exact. Mes grands-parents, par exemple ne m’ont jamais parlé de la guerre de 14-18 et pourtant, mon grand-père a été dans les tranchées. Mais dans l’ensemble, c’est juste. Dans ma région d’origine, très rurale, le temps des grands-parents a duré plus longtemps, les villages se sont vidés moins vite mais dans l’ensemble, c’est bien ce qui s’est passé. J’ai aujourd’hui des petits-enfants qui ont entre six et dix-huit ans. J’ai l’impression qu’ils croient tout savoir et qu’ils courent vers le gouffre que notre génération, les précédentes et la suivante ont creusé avec la certitude qu’ils trouveront une solution. Mais n’étions nous pas comme ça en 68 ?

  5. Si cliché il y a, la réalité et pourtant la. Entre la vie difficile de nos anciens, les combats pour la survie et les combats pour une vie digne, les années charnières d après 68 et la déshumanisation aujourd’hui engendré par l avènement des technologies, a se demander si demain nos petits enfants parviendront encore a penser librement ou s il nous n allons pas vers l abrutissement des générations futurs

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