J’éprouve toujours un grand plaisir à marcher avec la foule dans une ville. Je me laisse porter par le flot et je ressens « son énergie ». La foule du Dimanche n’est pas comme celle des autres jours. La foule de Paris n’est comme celle de Berlin ou de New-York. Il y a des foules débonnaires, il y a des foules pressées, il y a des foules tristes et lourdes et aussi des foules joyeuses et légères. Toutes ces foules en mouvement ont leurs spécificités propres, mais elles ne font pas peur. On s’y laisse immerger comme dans une mer chaude car elle est chaleureuse. Elle est constituée de milliers d’individus différents qui gardent chacun leur autonomie et leur liberté d’agir ou de penser. L’énergie circule de l’un à l’autre et tout est fluide.
Mais la foule est étrange et peut prendre, dans certaines circonstances, des aspects inquiétants, elle peut perdre sa fluidité et sa liberté. L’énergie considérable en circulation au sein d’une foule anonyme peut parfois se figer et comme prendre en masse tel un lac gelé. Une foule est influençable car l’énergie dont je parle circule très vite d’un individu à l’autre et, par un effet d’osmose, chacun s’influence l’un l’autre sans le savoir. Un individu à l’esprit libre peut ainsi perdre sa liberté au sein d’une foule. Il suffit d’un but commun, d’un slogan mobilisateur et soudain, la foule qui était anonyme et indifférenciée, peut devenir une entité à part avec sa force propre. L’énergie d’une foule qui déambule sur les trottoirs d’une ville un dimanche de printemps est éparpillée, diluée, ingénue et innocente. Tandis que l’énergie d’une foule mobilisée devient lourde, concentrée, déterminée et puissante. Qu’il s’agisse d’une foule qui processionne en prière ou d’une foule qui manifeste en criant des slogans, dans chacune d’elle les individus y perdent leur autonomie par un processus étrange de dépersonnalisation. On se sent happé par l’énergie d’une foule soudée, on y perd son libre arbitre et on se laisse embarquer facilement par une vague immense qui nous submerge. Chacun donne tous les pouvoirs à la foule qui devient ainsi une nouvelle entité, un peu comme dans une secte. A ce moment là, la foule devient dangereuse, elle se manipule comme un troupeau et peut devenir bête et méchante, voire tyrannique.

Depuis que les hommes vivent en sociétés les mouvements de foule ont été de puissants ferments de révoltes. Déjà du temps de la République Romaine le Sénat craignait la foule qui a fait et défait plus d’un Consul. Les tyrans et les dictateurs ont d’instinct ce talent de souder une foule et de la faire avancer là où ils le souhaitent. La foule sait reconnaître son maître et se laisser dominer. Le plus étrange, c’est que les foules les plus féroces et les plus déterminées sont aussi les plus dociles avec leur leader. Nous avons tous vu les images d’une foule galvanisée par la présence du Führer, du Caudillo ou du Duce. Le leader sait faire vibrer la foule et sait jouer avec ses émotions. En effet la foule est un enfant et, comme les enfants, pleine de caprices et d’émotions ; elle peut passer des pleurs aux rires en l’espace d’un instant. Ainsi, du temps de la royauté un soulèvement était qualifié « d’émotion populaire ». Cette émotion est changeante et versatile ; le peuple peut vilipender celui qui, hier encore, était acclamé.

Ainsi donc, une émeute populaire est comme une formidable boule d’énergie, capable du pire et plus rarement du meilleur. C’est une horde en furie qui ne réfléchit pas, un troupeau dirigé par quelques chiens de garde hurlants et qui, tête baissée, fonce vers l’obstacle. Une telle foule fait peur car elle est imprévisible et peut soudain avoir un spasme de violence et se déchaîner. C’est ainsi que se déroulent toutes les révolutions. Il est étrange de voir comment l’énergie d’une foule peut facilement se transformer en haine incontrôlée et aveugle, comme on peut trop souvent le constater dans un stade de football. La foule peut-être assoiffée de sang et pourtant elle est constituée d’individus qui, rentrés à la maison, peuvent être de sages pères de famille. Telle est l’énigme des foules.
La Démocratie a été inventée pour se prémunir de la folie incontrôlée des foules. Il y a toujours danger à hurler des slogans de haine. La France a vu récemment de tels rassemblements populaires qui sont une négation de la démocratie. Quand la rue gouverne, c’est que l’on est aux portes de la tyrannie. Nous avons entendus les aboiements haineux de certains leaders qui nous ont fait peur car ils faisaient échos à tant d’autres harangues qui finirent mal….Les foules peuvent renverser les dictatures mais aussi les démocraties.
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tout à fait vrai, voir ce qui s’est passé lors du procès de Jésus, le sanhedrin a réussi à retourner la foule en accusant Jésus, qui n’avait rien fait mais qui faisait peur, et en rendant la liberté à Barabas qui était un voyou notoire, les temps ont-ils changés, avons-nous évolués ? il y a de qoui douter !