Nous pourrions tous commencer à raconter nos vies par « Il était une fois … » tellement nous re-créons nos souvenirs sous forme de mythes, contes et autres histoires. Nous réécrivons tous -plus ou moins- notre passé avec l’encre de notre imagination tout en appelant cette nouvelle histoire « la vérité » … Je suis toujours étonnée de voir combien notre mémoire est subjective, fluctuante et imaginative !

Notre personnalité se construit, au fil des jours, avec les émotions, les connaissances, les expériences que nous vivons à chaque moment. Nous ne sommes donc, en fin de compte, que le résultat d’une addition : la somme de tous nos vécus.
Nous vivons notre présent, et construisons notre futur, avec les éléments du passé.

Quand nous disons : « J’aime (ou je n’aime pas) le chocolat » nous affirmons quelque chose qui résulte d’une ou de plusieurs expériences. Prenons deux exemples :
1. Quand nous étions petits, ou petites, notre grand-mère nous concoctait de bons chocolats chauds lorsqu’elle nous gardait pendant les vacances. Quel délice ce chocolat ! Onctueux, velouté, tout chaud, il réchauffait notre corps et notre cœur … Depuis, vous en êtes certain, vous aimez le chocolat !
2. Votre petite sœur, quant à elle, n’a pas eu la chance d’être gardée par cette mamy-chocolat. Non, elle restait à la garderie et elle devait ingurgiter coûte que coûte une espèce de mixture fadasse que la monitrice appelait « chocolat ». Servi dans un bol en plastique, avalé en quelques minutes au milieu du brouhaha de la cantine, pas très chaud, il n’était vraiment pas bon ce chocolat ! Du coup, aujourd’hui, votre sœur affirme : « Je n’aime pas le chocolat, cela me fait mal au cœur !! ».
Dans le premier exemple, le chocolat est associé à la douceur de la grand-maman, à la cuisine qui sentait bon, à cette mamy qui le faisait avec amour rien que pour vous. Beaucoup d’émotions positives y sont reliées ! Parfois même, au fil du temps, la nostalgie a embelli encore et encore ces émotions : ces moments « chocolat » sont devenus mythiques dans votre souvenir …
Dans le deuxième exemple, le chocolat est associé à ces moments où l’enfant se sent un peu perdu loin des siens, tout seul au milieu d’une horde de petits copains, avec la sensation de n’être qu’un numéro. Pas d’émotion positive, non, juste une sensation pas très agréable. Et, là aussi, peut-être ces moments ont-ils été noircis par l’imagination et le chocolat est vraiment devenu mauvais !
Ce ne sont que deux exemples mais nous pourrions appliquer le même principe à TOUTES nos affirmations d’aujourd’hui et à TOUS les goûts que nous prétendons avoir. Nous pensons être comme ceci, ou comme cela, mais en fait nous nous sommes identifiés à tous les ressentis, à toutes les émotions, à toutes les pensées, à tous les apprentissages que la vie nous a amené à vivre.
Nous sommes donc le résultat de cette addition quotidienne : une somme de subjectivité qui nous manipule, nous entraîne, nous roule dans la farine de nos croyances. Ces croyances que nous prenons pour la « vérité vraie » !
Et plus le temps passe, plus nous nous enfermons dans ces pseudos-vérités, plus nous les croyons « vraies ». Nous nous fermons de plus en plus aux nouveautés, aux surprises, à l’aventure toute simple de la découverte. Puisque nous « n’aimons pas », pourquoi tenter ? Pourquoi oser ?
Les certitudes nous emprisonnent. Qu’elles soient dans le domaine des idées ou des goûts, elles nous empêchent d’avancer. D’autant plus si les émotions rattachées à ces certitudes sont inconscientes ! Une douleur, petite ou grande, est toujours reliée à une émotion.
Trois solutions s’offrent à nous :
1- Bien souvent nous refoulons. Pour ne pas souffrir, bien sûr. Pour continuer à avancer « comme si de rien n’était ». C’est un moyen de protection très utile et très employé ! Pourtant, cette protection est un leurre. L’émotion ET la douleur sont toujours là, comme le goût du chocolat. Et cette émotion, ainsi que la douleur associée, deviennent de véritables tyrans, des dictateurs. Elles nous obligent à penser comme ceci, à agir comme cela. Nous devons aller dans leur sens, sinon gare ! La peur qu’elles génèrent nous hante nuit et jour mais nous ne voulons pas savoir … Toutefois, si nous continuons à refouler la douleur, elle ressortira d’une manière ou d’une autre à travers des symptômes physiques, psychiques, des actes manqués, des mauvais choix dans la vie …
2- Nous pouvons également ne pas refouler mais ressasser encore et encore cette émotion, cette douleur, ce souvenir dont l’intensité douloureuse grandit au fil des années. Nous pouvons le transformer en véritable tortionnaire ! Plus le temps passe et plus notre imagination déforme ce souvenir et de « mauvais chocolat », il se transforme alors en véritable poison, envenimant notre vie et nous empêchant de vivre sereinement.
3- La troisième solution, selon moi la plus efficace et positive, consiste à prendre conscience que cette douleur –refoulée ou déformée- nous empêche d’être bien dans notre vie. Nous choisissons alors de découvrir « qui elle est » et, dans le cas d’un refoulement, d’où elle vient, jusqu’au moment où nous pouvons la regarder en face et s’apercevoir qu’elle n’a plus lieu d’être aujourd’hui. Nous pouvons alors « lâcher » l’émotion douloureuse et savourer notre liberté retrouvée ! Cela demande peut-être du courage, vu la peur que nous en avons, mais quelle récompense à la clé !
Souvenirs et imaginaires s’entremêlent donc au fil du temps : à force de refouler, ou bien d’embellir, ou de fantasmer ce passé parfois charmant, parfois dérangeant, nous fabriquons un être imaginaire que nous pensons être « nous ». Mais si cela n’est pas vraiment « nous », qui sommes-nous alors ?
Pour terminer je citerai aujourd’hui un grand psychanalyste et philosophe :
« Ce que l’on ne veut pas savoir de soi-même finit par arriver de l’extérieur, comme un destin ».