Nous sommes assis à une table au soleil et nous déjeunons à l’embouchure du Guadalquivir, très exactement à Sanlucar de Barrameda.
Le vent frais vient de l’Atlantique, la lumière est belle sur la Costa de la Luz.Dans les restaurants au bord de l’eau on déguste

la célèbre gambas de Huelva et on sirote la fameuse Manzanilla, ce petit vin apéritif de Sanlucar, au goût de Jerez et macéré dans la fleur de camomille. Face au fleuve, dans une ancienne fabrique de glace, la Fabrica de Hielo, se trouve un petit musée qui remémore l’histoire millénaire de Sanlucar. Notre regard est attiré par une jolie petite statuette en terre cuite que nous dénommons aussitôt : « la vierge à l’enfant ». Il s’agit en fait d’une représentation d’une déesse antique qui date du quatrième siècle avant J.C. Les grands symboles humains sont intemporels…
Le delta du Guadalquivir débouche sur l’Océan immense et c’est d’ici que Christophe Colomb s’est élancé vers l’inconnu le 30 Mai 1498, lors de son troisième voyage. Sanlucar devint le port des conquistadors et plus tard, en 1518, Magellan lui-même s’élança vers l’océan depuis Sanlucar. Aujourd’hui un petit bateau nous fait traverser le fleuve pour nous conduire dans l’univers de terre et d’eau de l’extraordinaire Parque Nacional de la Donana, sans doute le plus beau parc national d’Europe, situé dans le delta. Ce sont 453 km2 de marécages, de sable et de landes qui fourmillent de toutes les espèces de poissons, d’oiseaux, de reptiles, d’insectes et de mammifères qui se faufilent dans les genêts en fleurs. Une sorte de paradis terrestre, loin du monde et protégé.

Mais l’histoire du delta du Guadalquivir suscite les imaginations depuis que Platon, dans le Timée et dans Critias, nous conta la disparition de L’Atlantide, ce paradis perdu qui aurait soudainement disparu en s’enfonçant dans les eaux. Platon précise que les Atlantes vivaient dans une île située dans l’Atlantique, au-delà des colonnes d’Hercule, c’est-à-dire du détroit de Gibraltar, et au-delà de Cadix. Platon nous fait une description idyllique de cette civilisation avancée et nous ne savons pas s’il s’agit d’un mythe ou d’une réalité historique. Mais il est certain que le delta du Guadalquivir est un candidat sérieux comme site de ce paradis disparu à la suite d’un tremblement de terre et d’un tsunami. C’est la thèse qui vient d’être reprise par une équipe de National Geography, qui, à la suite de nouvelles observations par satellites et avec des sondages radar en profondeur ont mis en évidence, sous la Donana, de grandes structures circulaires qui laissent supposer la disparition d’une ville. Or, il se trouve que Platon parle d’une cité avec une série de canaux en forme de cercles, entourant un temple central, ce qui correspond à la configuration mise en évidence par les chercheurs. Platon précise en outre qu’il s’agit d’une région riche en cuivre et en étain. Or l’on sait que les phéniciens venaient chercher ces minerais près de Cadix, dès l’an 1100 avant J.C. Le roi Salomon, il y a 5000 ans, s’approvisionnait parait-il en minerais dans les mines à ciel ouvert du Rio Tinto, près de Huelva, à l’autre extrémité de l’estuaire, devenues mondialement connues et ayant donné naissance à la plus grande entreprise minière contemporaine.
Ce qui est sûr, c’est que les Phéniciens, puis les Grecs, ont longtemps commercé avec les Tartéssiens, c’est le nom qu’ils donnaient à la première civilisation qu’ils connurent en occident. Tartessos se situait entre Huelva, Cadix et Séville, c’est-à-dire qu’elle avait son centre maritime dans le delta du Guadalquivir. Or il se trouve que Tartessos disparaît complètement de l’histoire au VIème siècle avant Jésus Christ. On peut imaginer que l’Atlantide et Tartessos ne font qu’un ; il s’agirait d’une cité engloutie dans les bras du Guadalquivir, enfoncée dans les marécages à la suite d’une brusque montée des eaux.
Si vous avez quelques jours devant vous, allez visiter le Parque de la Donana, vous y retrouverez le paradis perdu. C’est au sein de cet univers mythique que vous trouverez le village El Rocio, hors du temps , quadrillé de larges allées de sable et de terre, royaume des petits chevaux andalous et de leurs fiers cavaliers. S’y déroule, chaque année à la Pentecôte, la Romeria des gitans qui viennent vénérer avec ardeur et grand bruit la Virgen, Nuestra Senora del Rocio dont l’image orne chaque maison. Mêlez-vous à la foule et le dépaysement sera total !…

Je tombe par hasard, mais nous savons que le hasard n’existe pas…sur votre article 114 et c’est incroyable comme ce que je lis résonne en moi ! Tout simplement bouleversant.