138 – DEVENIR PLUS HUMAIN

 

 Il ne faut pas confondre « apprivoiser » et « domestiquer ». Le premier terme consiste à rendre familier un animal, sauvage à la naissance. Le second terme consiste à rendre docile une espèce animale au fil des générations comme il est advenu du loup, devenu un compagnon pour des millions d’humains. Au cours de l’histoire de l’humanité seulement 15 espèces de mammifères ont été domestiquées et des dizaines d’autres ont été réfractaires. L’avantage déterminant des Européens fût la domestication du cheval dans le croissant fertile, tandis que, en Afrique, le zèbre est toujours resté réfractaire à l’apprentissage.

En quelques générations, il est possible de domestiquer les renards qui peuvent devenir d’adorables et dociles animaux de compagnie. Il suffit à chaque portée de sélectionner ceux qui paraissent les moins farouches et les plus curieux d’un contact avec les humains. Le plus étrange c’est que ces animaux vont non seulement changer totalement leurs comportements, mais aussi leur apparence physique. Ils remuent la queue lorsque le maître arrive et vont spontanément vers les humains en cherchant les caresses, mais on constate aussi que les oreilles s’affaissent, le pelage devient tacheté et la queue fait une boucle comme chez le chien domestique.

Il est possible aussi de séparer en deux, chaque portée de rats : d’un côté les plus agressifs et de l’autre les plus dociles. Quelques générations plus tard on obtient des groupes de rats extrêmement agressifs et hostiles vis-à-vis de l’homme. Les chercheurs ont démontré que ces traits de caractère étaient en relation avec l’absence ou la présence d’un certain nombre de gènes. Bien entendu, nous pouvons imaginer un processus semblable lors de la sélection naturelle. Dans certaines circonstances, l’agressivité d’une espèce peut se trouver renforcée au fil des générations si cela sert à la protéger de certains prédateurs. Ainsi, le mâle dominant, seul habilité à féconder les femelles du groupe, va transmettre ses gènes à un plus grand nombre. Il est possible d’imaginer de semblables circonstances culturelles chez l’homme. Il n’est pas interdit de penser que les peuples guerriers peuvent progressivement devenir plus paisibles si les plus farouches meurent à la guerre et les plus gentils restent à la maison pour engrosser les femmes !

Bien entendu, vous pouvez légitimement vous demander quel processus a suivi la plus domestiquée de toutes les espèces : les êtres humains. Il se pourrait que la différence entre l’homme et le chimpanzé soit du même ordre qu’entre le porc et le sanglier. Nous sommes porteurs des gènes de la domestication et même souvent de l’instinct grégaire. Ce qui fait dire à Brian Hare, un chercheur à Duke University : « La première chose qui devait survenir chez l’ancêtre primate pour devenir un homme est une augmentation substantielle de sa tolérance à l’autre. Cela a dû provoquer un changement dans notre système social ». J’ajouterais qu’il reste du chemin à parcourir…

En 2009, Robert Wayne, biologiste à l’UCLA, publia une découverte étrange. Il a identifié chez le chien une courte séquence située près du gène dénommé du nom poétique de « WBSCR17 » qui jouerait un rôle important dans la domestication. Or, chez l’homme, la présence de ce gène serait partiellement responsable d’un désordre génétique rare, le syndrome de William-Beuren. Les enfants qui souffrent de ce trouble ont un comportement particulier avec une absence totale de barrière sociale et une capacité à « lire » le comportement des autres, tel un chien. « La personne est très gentille, serviable, souriante », mais « la société la trouve trop amicale et trop familière ».

Tout ce qui précède me conforte dans l’idée que nous sommes malléables, en perpétuel devenir, et que nous avançons sur le fil d’un rasoir. D’un côté nous pouvons évoluer vers une meilleure intégration sociale et vers plus d’humanité, mais de l’autre nous devons prendre garde qu’un excès de domestication ne conduise pas à l’instinct grégaire et à la pensée unique. Devenir plus humain demeure notre objectif le plus élevé et la route est difficile, car, ce que nous appelons « la civilisation » peut revêtir bien des habits. Il est peut-être plus facile de domestiquer les animaux que d’apprivoiser le sauvage qui est en nous !

Citation du jour :

« L’homme n’était pas destiné à faire partie d’un troupeau comme un animal domestique, mais d’une ruche comme les abeilles. »

Emmanuel Kant ; Anthropologie du point de vue pragmatique

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