176 – LES NOUVEAUX ENVAHISSEURS

Nous sommes de nouveau en Andalousie pour un court séjour. D’autres, avant nous, ont erré dans les parages, avides de conquêtes : Hannibal et ses troupes Carthaginoises, Scipion l’Africain envoyé par Rome, les phéniciens bien sûr, plus tard Jules César en personne, puis les Wisigoths qui chassèrent les Romains, les Chrétiens Ibères ensuite, les Maures chassés à leur tour par les rois très catholiques. Mais que viennent faire ici les nouveaux envahisseurs ? Rêvent-ils de gloire ou de puissance ?

Urbanizacion Marbella

On aperçoit la mer en décor lointain, plate et morne, scintillante sous le soleil ou triste quand le soleil se couvre. Là-bas, le phare de Marbella dominé par les buildings, encerclé par les vagues de béton, et écrasé par des masses immenses, dérisoire désormais et ridicule comme Saint-Paul Cathedral à Manhattan, noyé dans une mer de gratte-ciels.

L’urbanisation s’étend le long de la mer sur plusieurs rangs, grimpe désormais sur la montagne, s’immisce sur le moindre terrain, sur le plus petit rocher. Les constructions bordent les autoroutes et les voies rapides, les avenues et les boulevards. Pas un champ qui ne soit l’objet d’un projet immobilier, pas un morceau de terre ou un verger qui ne soit dominé par une grue. Des constructions qui encerclent la mer comme dans un étau, des murs de béton comme pour mieux la contenir et de nouvelles urbanisations qui partent à l’assaut de la Sierra jusqu’à la crête de la montagne. Des édifices le long des routes et des autoroutes et jusque dans les bretelles d’accès. On a construit partout. Mais aujourd’hui, tout se vend mal.

La côte est devenue un véritable cancer, une prolifération anarchique et incontrôlée, sans signification véritable et sans sens. Un amas de résidents qui ne se connaissent pas et ne se connaîtront jamais, qui ne communiquent pas puisque bien souvent ils ne parlent pas la même langue. Ils ne savent pas très bien ce qu’ils font là et pourquoi ils sont venus. C’est cela le cancer au sens propre comme au sens figuré, l’absence de signification, l’incohérence ; un organe non fonctionnel, coupé du reste du corps, sans lien avec l’environnement mais qui grossit et prolifère aux dépens de l’ensemble.

Les nouveaux envahisseurs se pressent au soleil comme pour échapper à leur destin triste et

Les nouveaux envahisseurs

humide, comme pour fuir leur déprime. Fuites éperdues vers ce soleil qu’on adore ici à longueur de journée et dont on a rêvé toute l’année. Le pèlerinage à Marbella rappelle celui de la Mecque; on n’y vient quel qu’en soit le prix à payer, quel qu’en soit l’inconfort, le bruit, la poussière, la proximité, la saleté. Là on y prie Allah, ici on se prosterne devant le soleil, ce père tout-puissant, ce père adoré. Ses rayons seront-ils suffisants pour apaiser nos angoisses ?

Le long de la mer c’est l’absence de pudeur des chairs molles, affaissées, des seins las et lourds, des fesses flasques. Des masses ventripotentes se dandinent d’un pas lent avec une démarche ennuyée et désabusée. Les sandales raclent le sol poussiéreux, glissent péniblement et traînent des corps fatigués d’exister. Les ventres trop pleins d’une mauvaise nourriture trottinent sous les orangers. Ici tout est dans la dysharmonie. Des silhouettes désarticulées, usées par l’arthrose ou l’obésité errent au milieu d’une urbanisation pléthorique et démesurée. Le cancer prolifère. Il s’agit de fuir son angoisse existentielle et d’emmener son ennui en vacances avec son chien et son compagnon. Si ce n’est pas l’enfer cela lui ressemble.

Cortijo Andaluz

Par contraste, que la Sierra est belle avec ses ondulations, ses formes arrondies, ses champs bien propres, ses cortijos blanchis à la chaux, perdus dans un océan de vallons tachetés de toute une gamme de verts ; le vert tendre des amandiers ou des oliviers, le vert sombre des orangers ou des chênes verts. On aperçoit au loin des Pueblos Blancos dans lesquelles jadis les paysans se sont regroupés pour échapper aux razzias Maures.

Nous sommes ici, dans cette resplendissante Andalousie, en interaction avec l’environnement, au milieu de la nature et nous vibrons en harmonie avec elle. Nous nous sentons plus beau, plus heureux, plus équilibré. Si nous laissons la beauté de la nature nous envahir, nous envelopper, nous pénétrer, elle nous illumine et nous transfigure. Nous devenons ainsi peu à peu le reflet de la nature. Nous sommes en quelque sorte son miroir et plus nous la regardons, plus nous sommes en osmose avec elle et plus nous la respectons.

Respecter la nature, c’est se respecter soi-même. La salir, la détériorer, l’enlaidir c’est le signe d’un mépris vis-à-vis de soi-même. Les papiers que l’on jette, les plastiques que l’on abandonne ou les détritus de toutes sortes que nous laissons au bord des routes, le long des plages, dans les sous-bois ou sur le trottoir sont autant de signes de notre indignité. Les pollutions petites et grandes sont à la mesure du mépris que nous portons à la vie.

La laideur attire la laideur. Chaque lieu a son énergie, sa propre vibration, son niveau d’harmonie, son degré d’esthétique. L’urbanisation moderne lorsqu’elle n’est guidée que par la spéculation financière et qu’elle dégrade l’environnement sans aucun souci d’harmonie, comme c’est trop souvent le cas dans nos villes et nos banlieues, génère et attire à la fois une population peu raffinée qui ne se respecte pas, qui ne respecte pas l’environnement et qui n’inspire pas le respect.

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