200 – LE TEMPS DE VIVRE

Je dédie cette 200e chronique à nous tous qui regardons notre montre et qui n’ont jamais assez de temps.

  A-t-on besoin d’être efficace pour justifier sa vie ? Je vous livre cette question qui m’a toujours hanté. Pour tenter d’y répondre, je vous conseille de vous rendre à Paris, au 16 de la rue de la Grande Chaumière, dans le VIe arrondissement. Vous y trouverez l’Editeur Paul Geuthner dont la spécialité est d’éditer des livres inutiles et invendables ! Vous y trouverez tout pour déchiffrer le Sumérien, le Phénicien ou l’Araméen, à moins que vous ne préfériez vous initier aux éléments de grammaire Elamite. Vous pourrez aussi tout savoir sur la musique Arabe, sur la plaine de

Horseshoe-crabs

Vientiane ou sur la cartographie des étoiles du temps des Arabes. Vous pourrez, tout à loisir, feuilleter les carnets d’Urbain de Valsère sur le sanctuaire Punique de Carthage. Vous pourrez aussi faire la connaissance de la limule au sang bleu qui contient du cuivre à la place du fer. Vous pourrez méditer sur l’utilité que peut avoir le Horseshoe-crab dans la symphonie cosmique, ce crabe en fer à cheval, animal préhistorique, vieux de plusieurs millions d’années et qui pullule encore sur la côte Est des Etats-Unis …

C’est au milieu de ces réflexions que je viens de recevoir d’un lecteur de nos chroniques, les commentaires d’un jeune Touareg, récemment arrivé du Nord Mali pour étudier à l’Université de Montpellier en France. J’ai trouvé ses paroles suffisamment édifiantes pour les livrer à vos méditations :

–      « Là-bas, un petit rien peut te donner beaucoup de bonheur. Toute chose est valorisée. Personne ne rêve d’être heureux parce que nous le sommes déjà.

–      -Ici j’ai vu des affiches de femmes nues. Je me suis demandé : pourquoi ce manque de respect envers les femmes ?

Ensuite à l’hôtel, j’ai vu le premier robinet d’eau. Elle coulait si facilement ; j’ai eu envie de pleurer. Quand je vois le nombre de fontaines qui décorent la ville, je ressens une douleur intense.

–      Un jour le rallye Paris-Dakar est passé par notre campement. Une journaliste avait laissé tomber un livre. Je l’ai ramassé et lui ait tendu. Elle me l’a offert. C’était un exemplaire du Petit Prince. Je me suis promis de parvenir à le lire un jour. C’est ainsi que j’ai obtenu une bourse d’études et je suis venu en France.

–      Ce qui me manque le plus ici, c’est le lait de chamelle, la chaleur du feu, marcher pied nu sur le sable encore chaud…Là-bas on regarde les étoiles toutes les nuits et chacune est différente de l’autre. Ici vous regardez la télévision.

–      Vous avez tout, mais ce n’est pas assez. Vous vous plaignez. En France, les gens réclament tout le temps. Un désir de posséder tout, de suite, et ce n’est pas suffisant.

–      Dans le désert, il n’y a pas d’embouteillage. Vous savez pourquoi ? Parce que personne ne veut dépasser personne.

–      Le soir, les hommes et les animaux rejoignent le campement. Leurs silhouettes se découpent dans un ciel rose, bleu, jaune, rouge. C’est un moment magique. On se rejoint sous la tente et l’on fait bouillir l’eau pour le thé. On s’assoie en silence et l’on écoute l’eau bouillir. La paix nous envahit et nos cœurs battent au rythme de l’eau en ébullition. Quel calme !

–      Ici vous avez des montres.

Là-bas nous avons le temps.

  –      Vous avez la montre et j’ai le temps. Dans nos vies, le temps ne doit pas être celui qu’indique votre montre. Combien de fois, vous dites : je n’ai pas le temps ? »

J’espère que vous trouverez le temps de lire cette chronique qui remet nos pendules à l’heure. Il n’y a rien à ajouter, tout est dit.

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6 commentaires

  1. Voilà une réflexion vieille comme la pensée occidentale et qui, faisant encore mouche, montre bien que nous n’avons jamais pris le temps d’y répondre…

    A noter, dans le prolongement des réflexions de cet étudiant Touareg, que Frédéric Lopez va diffuser sur France2 une émission sur la question du bonheur. Sûr qu’avec toutes ces formidables rencontres qu’il partage avec nous dans “Rendez-vous en terre inconnue”, nous aurons de quoi méditer !

  2. Merci pour ce texte magnifique qui donne envie de fuir notre société soi-disant évoluée pour aller au fin fond du désert à la source du bonheur.

    Quand j’ai transmis ce texte, une personne m’a dit: ” Bien sûr, c’est facile tout ça, mais on ne sait pas si cet étudiant est reparti chez lui boire son lait de chamelle, ou s’il a préféré rester en France pour profiter de la civilisation, comme des millions d’immigrés”.
    Alors, je vous pose la question: que devient cet étudiant ? Repartira-t-il vers un bonheur non frelaté ou ses paroles ne sont-elles là que pour nous faire rêver ?

    Merci

    1. Vous posez une bien difficile question. La réponse dépends de chacun, c’est notre choix, notre liberté, notre responsabilité. Nous avons des milliers de façons de vivre notre vie et, même dans une grande ville d’occident, nous pouvons vivre un bonheur non frelaté.
      Mais il n’y a pas d’âge d’or, chaque lieu et chaque époque ont leurs beautés et aussi leurs vicissitudes. C’est peut-être ce voyage en France qui a permis à ce Touareg d’apprécier la beauté de sa vie dans le désert. Le bonheur est toujours là où nous sommes; ailleurs, ce n’est qu’un rêve.

  3. Je connais bien ce Touareg, Il est encore en France et ce depuis 2000. Mais je pense que son temoignmage est edifiant pour le theme ” le rapport de l’homme au temps”. Quant a son choix de rester profiter de la civilisation… c’est un autre sujet sur lequel nos contributions n’ont pas ete demandée.

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