248 – VICISSITUDES DU SACRE

Le sacré accompagne les sociétés humaines depuis l’aube des temps et apparaît essentiel à leurs survies. Le sacré n’est plus à la mode, mais nous sommes souvent rattrapés par ce que l’on croit derrière nous !

Le sacré est ce qui rassemble, une famille, un groupe, un peuple. Ce sont les valeurs communes les plus importantes que nous sommes prêts à défendre coûte que coûte, y compris au péril de notre vie. C’est l’union qui fait le sacré et non l’inverse. Le sacré peut être une terre, un lieu, un sanctuaire, un individu, une idée, un objet, un symbole, une image, une réunion, un jour de l’année. Le sacré n’est pas nécessairement lié au divin, il peut être profane, mais d’une manière ou d’une autre il est religieux, dans le sens qu’il relie. Il existe ainsi de profondes similitudes entre les obsèques nationales de soldats morts au combat et une procession à Lourdes.

 Le sacré est un ciment qui rassemble autour de valeurs communes, mais c’est aussi une source intarissable de divisions et d’intolérances. Qui dit sacré, dit sacrilège et aussi sacrifice ! « Interdire le sacrilège et légitimer le sacrifice, sont les deux attributs du sacral », écrit Régis Debray dans son très beau livre : « Jeunesse du sacré » que je vous recommande, à la fois pour la vivacité du style, la profondeur de l’analyse et la facilité de lecture. Il ajoute : « Le blasphème procède par la parole, le sacrilège par les actes ». Au sein même du sacré, se loge donc l’intolérance et l’exclusive qui firent couler tant de sang. La loi qui punissait de mort le sacrilège, c’est à dire l’offense au sacré, ne fut abolie en France qu’en 1830 ; elle est encore en vigueur en Arabie Saoudite. Le sacré est donc à la fois fédérateur et séparatiste, rassembleur et intolérant, jusqu’au-boutiste ! Les conflits sont des conflits de sacralité, et que de crimes pour faire expier un sacrilège ou une profanation…

Et pourtant, voilà le paradoxe, nous avons besoin de vénérer quelque chose de plus grand, de plus ancien et de plus durable que nous-même. « Chaque civilisation a besoin, au moins une fois l’an, de former le carré. Elle peut en changer, de carré, mais tant qu’elle se croit un avenir, il lui en faut au moins un ». Lors de ces réunions communautaires, les participants y retrouvent leur âme, c’est à dire le souffle sacré. « Ne plus s’opposer à rien ni à personne, c’est mettre un pied dans la tombe » affirme Régis Debray

Blasphème: mais 173.029 personnes ont cliqués "j'aime" sur facebook !

profanation

Qu’y a t-il de sacré pour vous et qu’êtes vous prêt à défendre au péril de votre vie ? Un hindou authentique est prêt à donner sa vie pour sauver une vache sacrée. Chacun, et chaque époque, détiennent leurs territoires sacrés. Le sacré est éphémère et variable, propre à chaque culture, à chaque clan et à chaque période de l’histoire. Aujourd’hui où tout va très vite le sacré suit les modes et on observe « un glissement des plaques tectoniques dans nos mentalités ». “Mourir pour une idée, oui, mais de mort lente” chantait déjà Georges Brassens. L’occident moderne sacralisait le héros guerrier, aujourd’hui c’est la victime qui se transforme en héros. La vie humaine du soldat est devenue plus sacrée que la mission qu’il accomplit. La guerre devient un crime et le soldat un délinquant.

Notre époque a cru pouvoir évacuer le sacré. Les scientistes, les rationnels cyniques et les bobos blasés ont affirmé que le sacré était le signe des sociétés archaïques. La transgression des tabous et le blasphème sont devenus la norme chez les artistes occidentaux à court d’idées. Mais si l’on chasse le sacré par la porte, il revient par la fenêtre. On peut démolir le clocher du village, mais il faut y mettre quelque chose à la place, un minaret peut-être ? Un défilé ne remplace pas une procession, la république laïque n’est qu’une austère abstraction que l’on ne peut pas vénérer. On ne donne pas sa vie pour les droits de l’homme ! Le sacré ne se décrète pas, il s’impose par lui-même.

« L’humanité pourra fêter sa propre fin le jour où nos restes iront à la minute à la décharge, et les fœtus à la poubelle » prophétise Régis Debray. Pour ce qui est des fœtus, c’est déjà fait. Pour survivre il nous faut donc retrouver le chemin du sacré. Sur quels symboles sacrés nos sociétés occidentales désabusées et désacralisées peuvent-elles se reconstruire pour ne pas périr ? Nous tenterons de répondre à cette question vendredi prochain, dans une nouvelle chronique-libre.

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2 commentaires

  1. Article très intéressant, bien que je ne sois pas tout à fait d’accord avec la phrase “on ne donne pas sa vie pour les droits de l’homme”, je pense au contraire que si, même si l’appel est en effet moins fort que l’appel du sacré.

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