Face aux atrocités commises par l’homme, génération après génération, aux quatre coins du globe, nous sommes toujours renvoyés à cette interrogation fondamentale : comment est-ce possible ? Où l’homme va t-il puiser tant de haines ?
L’histoire de l’humanité est une succession ininterrompue de meurtres, de viols, de tortures, de massacres et de génocides. A chaque récit nous sommes effarés et persuadés que nous serions incapables d’être aussi cruels et monstrueux. Depuis notre confort douillet, nous croyons sincèrement que nous serions incapables d’accomplir de telles atrocités car nous n’avons pas de cruauté en nous ! Mais est-ce si sûr ? Hitler, Staline et Mao, qui à eux trois ont porté le vingtième siècle aux portes de l’enfer, n’étaient pas seuls; ils ont été accompagné dans leurs œuvres par des millions de citoyens anonymes, de gentils pères de famille qui soudain furent transmutés en bourreaux pervers.
Vous avez sans doute entendu parler de la célèbre expérience de Milgram réalisée dans les années 60 et dont les résultats effrayants furent maintes fois confirmés depuis. Voici quel en était le protocole :
– 600 sujets furent recrutés par annonce de presse dans la ville de New Haven et l’expérimentation s’est déroulée dans la prestigieuse université de Yale sur la côte Est des USA.
– On fait croire aux volontaires qu’ils vont participer à une expérience sur la mémoire, dans laquelle on veut mesurer l’influence de la punition sur le processus d’apprentissage.
– Cette expérience comporte deux intervenants : Celui qui va jouer le rôle du professeur, chargé de faire apprendre les mots et de punir les erreurs, et l’élève qui sera soumis aux tests et aux punitions.
– Suite à un tirage au sort truqué, à chaque sujet recruté est assigné le rôle du professeur, tandis que le rôle de l’élève est joué par un comédien. Bien sûr, le professeur ne sait pas qu’il s’agit d’un faux élève, d’un compère.
– La consigne donnée au professeur est la suivante : à chaque fois que l’élève donne une mauvaise réponse, la punition consiste en une décharge électrique croissante à chaque erreur, de 15 volts jusqu’à 450 volts.
– L’expérience se déroule en présence d’un expérimentateur responsable, vêtue d’une blouse blanche et porteur de l’autorité scientifique et universitaire. Il n’intervient pas dans l’expérience et se contente de dire « continuez » ou « vous devez continuer » lorsque le professeur semble hésiter à envoyer les décharges électriques.
Les résultats de cette expérience furent comme un tremblement de terre dans les milieux de la sociologie des comportements. Parmi les 600 sujets qui successivement prirent le rôle du professeur punitif, 65% allèrent jusqu’au bout de l’expérience et poussèrent le rhéostat jusqu’à 450 volts malgré les cris et les gémissements de l’élève qui se situait de l’autre côté de la cloison. Il s’agissait d’une simulation, mais le « professeur » ne le savait pas.
Voilà où peut conduire la soumission à l’autorité qui peut balayer toute forme de conscience morale, d’empathie et … d’humanité. Cette soumission aveugle à l’autorité est particulièrement forte lorsque nous nous identifions à cette autorité, comme dans l’armée. Mais même lorsqu’il s’agit d’une simple autorité universitaire, nous pouvons abandonner tout jugement, tout bon sens et tout sens moral, comme dépossédés de nous-même. Perdre sa responsabilité, c’est perdre sa liberté, comme on peut le voir dans toute dictature, dans toute idéologie dogmatique, dans toute hiérarchie autoritaire, dans toute administration tentaculaire.
Tel est le processus par lequel nous pouvons tous devenir dociles aux ordres et soit nous transformer en monstre sanguinaire ou bien en agent collaborateur d’un système répressif, pas seulement sur un champ de bataille, mais dans notre vie de tous les jours, lorsque nous sommes soumis à la pression d’un groupe, au regard de nos confrères, à la dévotion à notre famille, à nos frères d’armes. « La première motivation d’un soldat n’est pas politique ou idéologique, mais une dévotion à ses frères d’armes » écrit le colonel Dave Grossman dans son livre au titre évocateur : On Killing. Le broker de Wall Street qui spécule sur les malheurs du monde, le fanatique religieux qui pourchasse le démon, le soldat qui veut porter la démocratie à l’autre bout du monde, le manifestant dans une foule en colère, ils sont tous aveugles aux conséquences de leurs actes : c’est le même processus de dépersonnalisation, au profit du groupe, vulnérable à toutes les dérives, même les plus atroces.
La soumission à l’autorité et à la pression du groupe est une caractéristique humaine, sans doute parce que cet attribut présente des avantages sur le plan de l’évolution pour aider à survivre. Ce n’est pas la haine ou la cruauté qui motivent nos actes les plus horribles, c’est l’abandon de notre moi profond, de notre identité, de nos valeurs, au profit d’une autorité, d’un clan, d’un parti, d’une nation ou d’une famille d’intérêts…
En effet, les résultats de cette expérience sont effrayants. Ce que j’aurais aimé savoir, c’est qui étaient ceux qui ont refusé d’aller au bout de l’expérience, ce qu’ils faisaient dans la vie, leur profil psychologique… Même chose pour ceux qui ont accepté de jouer le jeu. J’imagine de plus que cette expérience a dû être traumatisante pour ceux qui y ont participé. Comment peut-on ressortir de là sereinement ? On ne peut pas abandonner notre moi profond perpétuellement…
En effet, les résultats de cette expérience sont effrayants. Ce que j’aurais aimé savoir, c’est qui étaient ceux qui ont refusé d’aller au bout de l’expérience, ce qu’ils faisaient dans la vie, leur profil psychologique… Même chose pour ceux qui ont accepté de jouer le jeu. J’imagine de plus que cette expérience a dû être traumatisante pour ceux qui y ont participé. Comment peut-on ressortir de là sereinement ? On ne peut pas abandonner notre moi profond perpétuellement…