L’homme moderne aime les idées simples, les slogans simplificateurs, les phrases toutes-faites. Nous voudrions, d’une phrase, décrire et expliquer les phénomènes économiques, les variations climatiques, les déséquilibres écologiques ou les blocages métaboliques.
Nous voudrions raisonner comme nos arrières grands-pères qui vivaient dans un monde stable et fermé. Il y a cent ans, le travail du paysan était dur mais simple. Je m’explique. Ses outils de travail ne tombaient jamais en panne, même s’il arrivait à son cheval d’être malade. Il réparait lui même sa brouette et sa charrue dont il comprenait facilement le fonctionnement. Il produisait pour se nourrir et vendait le surplus au marché du village. Il n’y avait pas de circuit économique complexe. Il recevait des billets dont la valeur était stable et indexée sur l’or. Tout cela il le comprenait et il vivait dans un monde clos où les échanges étaient simples. Le monde extérieur était nécessairement lointain et sans influence sur sa vie. Il était un homme simple qui vivait dans un monde simple avec des idées simples.
Le paysan d’aujourd’hui vit dans un monde complexe et il utilise des outils complexes dont il
sait à peu près se servir mais dont il ne comprend pas le fonctionnement. Du téléphone portable à la moissonneuse-batteuse, il est démuni par rapport à la complexité. Dans la gestion d’un hectare de terre entre un grand nombre de paramètres qu’il maîtrise mal : entre le prix des engrais et des traitements chimiques, le choix des semences, les cours variables du blé ou du maïs, le prix du pétrole, le niveau des subventions, l’importance de la spéculation internationale sur le cours des céréales, les variations des monnaies, les intempéries en Russie et les besoins des chinois l’année prochaine, comment savoir ? Il a une question simple : qu’est-ce que je vais planter cette année ? Mais la réponse est complexe et n’est pas à sa portée !
Aujourd’hui, nous sommes tous face à la même complexité, mais nos questions sont simples. La tentation, c’est de croire que les réponses peuvent être simples parce que nous aimerions qu’elles le soient. Aussi sommes-nous tentés de croire les paroles de ceux qui semblent avoir des réponses simples. Nous les admirons parfois, car cela serait tellement plus facile de leur faire confiance ! Généralement, ceux qui ont quelque chose à nous vendre et ceux qui veulent le pouvoir, procèdent par idées simples. Mais les idées simples sont pour les contes de fées et les histoires pour enfants. Il y a d’un côté les bons, et de l’autre les méchants ; c’est facile à comprendre. C’est le procédé utilisé par les politiques pour s’attirer nos faveurs.
Il suffit d’écouter un homme politique pour trouver que le monde est simple. Ses discours sont simplificateurs, facile à comprendre. Pour rétablir l’économie, il convient de quelques décisions simples. Quand un Etat manque d’argent, il suffit d’en emprunter. Si on ne peut plus emprunter, il suffit d’augmenter les impôts. Tout cela semble très facile ! L’homme politique ne veut pas s’embarrasser de complexité. Comment être élu si on n’a pas d’idées simples ? Personne ne veut comprendre la complexité et s’encombrer la tête des mille paramètres qui désormais régissent l’économie. Nous voulons continuer à raisonner comme il y a cent ans, à l’époque où le monde de chacun était fermé, clos, avec peu d’interactions.
La complexité suppose que le pouvoir ne peut plus être confié à des gens qui ont des idées simplistes. On ne dirige plus une ferme comme autrefois, on ne dirige plus une entreprise comme autrefois, comment pourrait-on continuer à diriger un pays comme autrefois, avec quelques idées toutes faites, des incantations idéologiques et une suite de slogans mobilisateurs ? Il faut refonder le pouvoir politique et le sortir des carcans idéologiques simplificateurs.

– Vous n’avez pas lu mes tweets?
Article très interessant, j’aime beaucoup votre réflexion ! Mais vous ne donnez pas d’indications sur la manière de changer le monde politique. Comment faire comprendre des enjeux complexes de manière simple si ce n’est justement en simplifiant ses propos ?
Pour répondre à la demande de nombreux lecteurs, nous avons entrepris une série de chroniques qui proposent un grand nombre de réformes politiques et économiques concrètes et pragmatiques. Cette série a commencé à partir de la “chronique libre” 581 et se terminera à la fin de l’année avec la chronique 593.