Je suis conscient combien cette question, posée ainsi soudainement, au détour d’une chronique, peut vous surprendre et vous agacer, d’autant plus que la réponse n’est pas simple.
En effet, sur quelles certitudes pouvons-nous nous appuyer, sans que le sol ne se dérobe sous nos pieds ? Après des siècles d’interrogations philosophiques, nous posons toujours les mêmes questions, génération après génération, mais nous demeurons dans le brouillard. Que savons-nous de plus depuis le « Je sais que je ne sais rien » de Socrate et le « Que sais-je ? » de Montaigne?
Rien n’est sûr et tout n’est qu’apparence. Nous avons été ballotés entre les certitudes des religions, les doutes des Sceptiques, le carpe diem des Epicuriens, les exercices de rhétorique des Stoïques et la transgression des Cyniques. Toutes ces démarches se valent et peuvent chacune nous convaincre, bien qu’elles soient souvent contradictoires. Où est donc la route ? Quel chemin suivre ? Toute morale semble relative, conjoncturelle, et varie, comme les lois, suivant les lieux et les époques, en fonctions de ce que Pessoa dénommait les « fictions sociales ».
D’un autre côté, les mystères de la vie et de l’âme humaine restent entiers. Le « Connais-toi toi-même » demeure une injonction sans succès. Qui peut prétendre se connaître alors que nous sommes le jouet de nos névroses cachées, de nos programmations inconscientes, de nos jugements erronés, de nos émotions provisoires, de nos passions aveuglantes et de nos a priori sociaux ? Toutes nos convictions ne sont que des opinions variables et aléatoires. Celles d’aujourd’hui ne sont ni celles d’hier, ni celles de demain… Les mots eux-mêmes trahissent sans cesse notre pensée et l’on peut se disputer et même se faire la guerre à propos d’un mot mal compris, mal défini ou mal traduit !
Nous sommes en contact avec le monde qui nous entoure à travers le prisme déformant de nos sens. Nos perceptions ne sont qu’illusions, affaire de point de vue et d’angle de vision. Chacun voit le monde à sa façon, selon son humeur, selon ses sens. Ce marbre que je juge dur et dense, le physicien me dit qu’il est fait de vide pour l’essentiel. Rien ne me permet de distinguer le rêve du réel. La réalité ne serait qu’une fiction puisque chacun la perçoit à sa façon. Personne ne peut même décrire exactement ce qu’est un atome et préciser la position d’un électron, à la fois ici et ailleurs et régi par le « Principe d’incertitude ».
La science paraissait pourtant le dernier recours, la planche de salut, en bois dur, et il semblait que l’on pouvait lui faire confiance. Aristote nous avait déjà expliqué que le monde n’était qu’un enchainement de causes et d’effets et qu’il suffisait de connaître la cause première pour avoir le déroulé de tout l’univers, dans le temps et dans l’espace. Descartes, puis Newton, avaient emboité le pas et, finalement, le monde nous apparaissait comme un jeu de billard que la science avait comme objectif d’observer et de rendre compte. Hélas, la physique moderne a fini par comprendre que le monde est plus complexe que prévu et en partie inaccessible, tel le comportement insaisissable et les zigzags hasardeux des particules élémentaires. Ce qui avait fait dire au grand physicien Niels Bohr : « Le réel est voilé et il est destiné à rester voilé ». Puis il a fallu le fameux théorème d’incomplétude du mathématicien Gödel pour qui « tout système logique est inéluctablement incomplet ». Autrement dit nous n’avons même pas accès au réel !
Dans ces conditions, qui peut décider du bien et du mal ? Du beau ou du laid? Du vrai et du faux ? A quel grand principe peut-on faire confiance ? Où porter nos pas et quelle voie suivre ? Tous les discours que nous entendons ne sont que des croyances, des opinions de beaux-parleurs, des sophismes. Le discours rationnel a remplacé le spirituel, la physique a pris la place de la métaphysique, les certitudes scientifiques se sont substituées aux certitudes religieuses. Mais, nous ne savons toujours pas ce qu’il faut faire de nos vies, nous avons toujours les mêmes angoisses. Finalement, depuis Platon, nous sommes toujours aussi étourdis par la dialectique sans fin des uns et des autres. Nous sommes comme en état d’apesanteur, assurés de rien, incapables de rien affirmer et de rien approuver !
Néanmoins, nous continuons à parler d’amour, de bonheur, de liberté, de responsabilité, mais ces notions que nous chérissons nous échappent sans cesse, comme le sable entre les doigts, impossible à garder. Nous aimerions un monde stable et harmonieux, mais nous sommes entourés du chaos de l’incertitude. Faut-il mieux suivre la voix de sa raison ou celle de son intuition ? Le jeune suivra volontiers son intuition, à ses risques et périls, le vieux pourra préférer sa raison, suivant en cela la logique de Descartes, plus confortable mais diablement ennuyeuse : « La raison veut que nous choisissions le chemin qui a coutume d’être le plus sûr ». Autrement dit, faites comme tout le monde !
Sommes-nous piégés, prisonniers d’un monde sans issue et dont les alternatives ne sont que des illusions, des rêves pour nous aider à vivre ? C’est ce qui ressort du dernier livre d’Alexandre Lacroix, intitulé «Comment vivre lorsqu’on ne croit en rien ?». A la fin de son livre, il narre ses promenades au zoo du Jardin des Plantes à Paris, où vit une magnifique panthère « séparée du monde extérieur par une paroi de Plexiglas » et qui tourne en rond inlassablement sans se décourager. « Elle marche, d’un pas souple, déhanché, en jetant autour d’elle un regard prédateur ».C’est à peu de chose près la perspective qu’il envisage pour l’humanité : « Nous ignorons le sens de notre présence au monde, et il est possible qu’il n’y en ait aucun».
Cette chronique ne signifie pas que nous approuvions la position d’Alexandre Lacroix. Nous avons des perspectives plus encourageantes et plus ouvertes. Nous partageons le relativisme décrit ci-dessus mais nous sommes convaincus de la liberté de l’homme, liberté qui lui permet de construire sa vie et de cultiver l’amour et le bonheur de vivre.
Bonjour,
A vous lire je me sentais vacillante mais, ouf! le dernier paragraphe me ramène à la terre ferme…. et je préfère. Moi je trouve essentiel de cultiver le bonheur en essayant d’en donner autour de soi, même si rien n’est parfait…
Hâte de vous lire la semaine prochaine !…
Bonjour,
A vous lire je me sentais vacillante mais, ouf! le dernier paragraphe me ramène à la terre ferme…. et je préfère. Moi je trouve essentiel de cultiver le bonheur en essayant d’en donner autour de soi, même si rien n’est parfait…
Hâte de vous lire la semaine prochaine !…