A l’heure digitale, il n’y a plus de secret. Une à une, toutes les organisations opaques sont soudain traversées par la lumière et livrent leurs secrets, même les mieux gardés. Les individus, quant à eux, exposent quotidiennement sur internet leur intimité, leurs opinions, leurs goûts et leurs dégoûts. C’est toute la société humaine qui se trouve bousculée et obligée d’évoluer vers une nouvelle organisation, sous la pression de cette soudaine transparence.
J’aime bien la pensée analogique qui permet des raccourcis éclairants. Il y a plus de 500 millions d’années l’eau des océans était opaque et contenait un nombre limité d’espèces vivantes qui se développaient tant bien que mal à tâtons. Mais, dans une période assez courte à l’échelle cosmologique, la lumière a pu traverser l’eau devenue plus transparente. Il s’en ait suivi une pression évolutive énorme, sous l’effet de ce nouveau paramètre. Progressivement les organes de perception de la lumière se sont développés de même que les facultés de locomotion. Désormais les prédateurs pouvaient voir leurs proies qui elle-même devaient s’adapter pour savoir mieux se cacher et se sauver plus vite. La course au progrès était lancée… vous connaissez la suite.
La percée spectaculaire des technologies de la communication à laquelle nous assistons, médusés, conduit aussi à une nouvelle avancée de la transparence au niveau des sociétés humaines. Nous sommes parfois éblouis par cette nouvelle clarté qui illumine jusqu’aux recoins les plus obscurs de nos organisations sociales et ce que nous découvrons n’est pas toujours ragoûtant. L’opacité des banques, des églises, des armées, des partis politiques, des sociétés multinationales et même des agences gouvernementales, s’éclaircit soudain sous le feu des projecteurs. Nous voyons désormais ce qui nous était volontairement caché et nous ne supportons plus la plus petite parcelle d’ombre.
Des spécialistes des technologies digitales sont désormais capables de pénétrer dans les réseaux les mieux gardés, tandis que les lanceurs d’alerte nous remettent les clés des portes les mieux blindées pour y faire entrer la lumière. Edward Snowden est le prototype de ces éclaireurs, de ces porteurs de lumière. Aujourd’hui nous pouvons voir plus loin, plus vite et plus facilement que jamais, à moindre coût. Aussi nous pouvons être vu et nous savons que quiconque peut voir ce que nous voyons, comme dans un jeu de miroirs. Comme le disait récemment un ancien conseiller de la NSA : « Désormais, très peu de choses resteront secrètes et celles qui resteront secrètes ne le resteront pas longtemps… maintenant le véritable but des services de sécurité est de retarder la demi vie des secrets. Les secrets sont comme les isotopes ».
Les sociétés commerciales sont confrontées au même phénomène. Nous voulons tout savoir sur les produits qui nous sont proposés : qui les a fabriqués, où ont-ils été faits, quels sont les ingrédients ? Les réseaux sociaux se chargent de faire des commentaires sur chaque produit et nos réflexes, avant d’aller au restaurant ou dans un hôtel, consistent à vérifier ce qu’en disent les clients sur tripadvisor ! Nous n’acceptons plus les publicités bourrage de crânes qui dépensent des milliards pour nous anesthésier et nous préférons se faire une idée sur la toile.
Par conséquent, nous pouvons pronostiquer que nos sociétés et

organisations humaines vont être soumises à une rude pression évolutionniste selon le modèle Darwinien. Les organisations pyramidales dans lesquelles persistent la culture du secret, gage de leur pouvoir, vont être bousculées jusque dans leurs fondements. La propagation de l’information et de la connaissance ne se fait plus de haut en bas, selon un processus hiérarchique, mais de façon horizontale, en réseau. Il n’y a plus de « version officielle », gravée dans le marbre, mais des éclairages variés et multiples, qui rendent mieux compte de la complexité du monde.
Cette nouvelle transparence dans les affaires humaines va nous obliger à faire muter nos moyens de communiquer. De nouveaux services vont voir le jour pour améliorer nos organes de perception et de mouvement, afin de mieux percer les secrets et mieux se protéger des voyeurs malintentionnés. Il nous faudra, comme les animaux du cambrien lorsque la lumière les éclaira, devenir plus mobiles, plus rapides, plus perspicaces, pour transmettre nos messages et échapper aux prédateurs.
Il nous faudra enfin bousculer les pouvoirs politiques et reconquérir notre pouvoir de citoyen qu’ils nous ont confisqué. Nous ne voulons plus que l’on nous dise pour qui voter, nous ne voulons plus déléguer notre avis au profit d’un tiers qui n’en tiendra plus compte une fois élu. Nous voulons être éclairés, décider par nous mêmes et donner notre avis en tant que citoyen sur tous les sujets de société. Nous voulons être en prise directe avec les décisions. Le pouvoir politique est la dernière organisation qui est resté opaque et pyramidale. Nous demandons la transparence en politique. Nous voulons que notre futur soit transparent.
On dit que le soleil est le meilleur désinfectant, ce qui est vrai au sens
