Il faut se rendre à l’évidence, l’Europe ne parvient pas à être « Une », ni à être unie. Entre le Nord et le Sud, il y a comme une incompréhension fondamentale et héréditaire qu’il faut comprendre et dépasser si l’on veut croire encore à l’Europe Communautaire. Nous avons déjà évoqué ce sujet crucial dans une précédente chronique intitulée “les deux Europes”.
Le Nord est composé de buveurs de bière anglo-saxons, travailleurs et sérieux. Ce sont en général des protestants pragmatiques qui ne croient pas aux miracles, surtout en matière économique. Ce sont des rationnels qui ne comprennent que les discours logiques et sobres, ils demeurent imperméables à toute pensée analogique et intuitive, pour eux l’instinct est une caractéristique strictement animale. Ils ne croient qu’à la réalité vraie, tangible et mesurable. Parmi ces réalités concrètes, l’argent que l’on gagne occupe une place de choix car il rend compte de l’efficacité propre à chacun et c’est une mesure du succès. En toutes occasions il s’agit de garder son flegme et son sang froid. Avec eux les discussions doivent toujours être courtoises et policées, même lorsqu’ils sont en train de vous jouer un mauvais tour. Globalement nous pourrions dire qu’il s’agit d’un peuple de fourmis laborieuses, obsessionnelles et quelque peu ennuyeuses. Si les gens du sud veulent mieux comprendre ceux du Nord, je peux leur conseiller d’assister à un office religieux dans un Temple Protestant.
Dans les pays du Sud, ce sont des latins buveurs de vin, pour qui le travail s’apparente souvent à une corvée obligatoire à laquelle il convient d’échapper autant qu’il est possible. Le plus souvent ce sont des Catholiques, et même s’ils sont éloignés de toute pratique religieuse, ils aiment les beaux sermons, les mystères, les ornements et d’une façon générale tout ce qui brille. Ils croient volontiers aux miracles, surtout dans le domaine économique. S’il convient de gagner de l’argent à la sueur de son front, il est suspect d’en avoir trop, c’est très mal considéré et assimilé à de la malhonnêteté. Ils n’aiment pas les discours rationnels qu’ils jugent ennuyeux et préfèrent les envolées lyriques qui font rêver. Ils sont à l’aise dans le monde des idées, des théories, voire des idéologies, même les plus néfastes. Leur pensée est volontiers intuitive, instinctive et même irrationnelle. Ils détestent être confrontés aux obstacles de la réalité concrète mais préfèrent les mirages d’un futur merveilleux et idéalisé. Globalement, il s’agit d’un peuple de joyeuses cigales, un peu hystériques, qui aiment chanter aujourd’hui sans se préoccuper du lendemain. Pour sonder l’âme profonde des Latins, il est important d’assister à un office religieux dans une église catholique.
Pour encore mieux comprendre ce que je veux dire, il vous suffit de
savoir à quelle catégorie appartient Angela Merkel, d’une part, et le grec Alexis Tsipras, d’autre part. L’une est dans la retenue froide, un sou est un sou, on ne dépense pas plus que ce que l’on gagne, l’on ne fait pas de promesses que l’on ne peut pas tenir, un engagement doit être tenu et une dette est faite pour être remboursée.
L’autre est à l’aise dans la tragédie, le drame ou la comédie, l’argent n’a pas besoin d’être gagné avant de le dépenser, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent, le mensonge est à la base de la démocratie et du discours politique, les dettes concernent ceux qui ont eu la faiblesse de prêter.
Nous sommes donc en plein conflit entre le rationnel et l’irrationnel, entre le concret et le rêve. Ces deux approches sont-elles réconciliables ? Le problème c’est qu’elles constituent les deux faces d’une même monnaie, l’euro !
J’ai entendu un économiste français prétendre que le peuple grec est souverain et qu’il convient de respecter son choix démocratique. Par conséquent s’il veut l’annulation de la dette, il faut lui accorder ! J’ai de la peine à comprendre pareil raisonnement qui voudrait dire que, si le peuple souverain demande la suppression de l’attraction universelle, il faudrait s’exécuter !… Voilà donc un exemple de la pensée des gens du sud ! Comment peuvent-ils jamais s’entendre avec ceux du Nord ?
Il faut se rendre à l’évidence, la France a toutes les caractéristiques des peuples du sud. Les citoyens élisent toujours celui qui sait le mieux mentir, ses promesses ne sont jamais tenues, les riches sont considérés comme des pestiférés à tel point que pour être français aujourd’hui il faut avoir fait vœux de pauvreté, les discours politiques sont ésotériques et le peuple croit aux miracles. Fort à propos je viens de lire cette phrase de Louis Ferdinand Céline, français s’il en fut, dans « Voyage au bout de la nuit » : « La vérité est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde, c’est la mort… Il faut se dépêcher de s’en gaver de rêves pour traverser la vie qui vous attend dehors. On choisit parmi les rêves ceux qui vous réchauffent le mieux l’âme ». Seul un Latin pouvait écrire cette phrase ! Notons par ailleurs que les meilleurs soutiens à Alexis Tsipiras furent à Paris et à Rome, les deux pays Latins, ventres mous de l’Europe, qui refusent obstinément à voir la réalité en face.
Il n’y a pas d’idéologues Anglo-saxons, c’est une spécialité des peuples latins, ils préfèrent brasser de l’argent que brasser des idées. Ils aiment la ponctualité et l’organisation tandis que les Latins sont à l’aise avec l’improvisation et le système D. Pendant que l’anglo-saxon respecte la loi et s’en félicite, le latin se vante de la contourner. Il faut avoir été confronté à l’administration des pays anglo-saxons et des pays latins pour mesurer l’efficacité des premiers et la complexité stérile des seconds, véritable labyrinthe kafkaïen.
Voilà brièvement esquissés les raisons d’une Europe bancale, à deux vitesses. Qui pourra réconcilier les mondes anglo-saxon et latin, aussi difficiles à faire cohabiter que l’huile et l’eau ? Tant que l’Allemagne est puissante et impose sa loi, les autres, qui sont ses débiteurs, obtempèrent. Tout se passe comme si les pays du Sud ne peuvent rester dans l’Europe que sous le joug impérieux d’un pays dominateur et ils pousseront la mauvaise foi jusqu’à s’en plaindre!…