Dans une précédente chronique, nous avons montré combien nos sociétés sont prisonnières d’un carcan administratif, législatif, sécuritaire, politique et médiatique qui fait que les citoyens n’ont plus que la liberté de se taire et de se soumettre. (Relire chronique 560 – La soumission).
Les attentats de Paris contre Charlie Hebdo sont tombés à point pour permettre au gouvernement français de faire passer, en catimini et sans protestation médiatique, des lois sécuritaires qui n’ont rien à envier à la NSA ou à Big-Brother ! La loi autorise la surveillance de masse et permanente des citoyens sans contrôle judiciaire, elle valide aussi l’usage de mouchards high-tech par des barbouzes de terrain. Désormais, chacune de vos activités, de vos paroles, de vos écrits et de vos échanges seront passés au crible et analysés par des profileurs spécialisés. Le gouvernement qui manquait de fonctionnaires va en engager 1300 supplémentaires et il va injecter immédiatement 300 millions d’euros dans l’opération ! Tout sera donc fin prêt pour que s’installe un prochain gouvernement autoritaire tel qu’il est décrit dans « Soumission » le livre de Michel Houellebecq, pour une future dictature légale et élue démocratiquement, avec un flicage généralisé et mise sous surveillance de l’opposition politique, quel qu’elle soit.
Vous n’aurez pas d’autre solution que de vous soumettre et de raser les murs. Vous ne serez plus libres de vos mouvements et de vos opinions. Vous serez espionnés en permanence par des censeurs vigilants et votre espace de liberté se résumera à ce que veulent bien vous distiller les médias étatiques. Révoltes, contestations, subversions, insoumissions sont devenues impossibles ou suicidaires. Désormais vos jardins secrets seront piétinés et vous serez tous des suspects potentiels : Seriez-vous un fraudeur, un menteur ? Attention, vous êtes de la graine de terroriste. Auriez-vous un zeste de racisme, une pincée d’antisémitisme ? Aussitôt vous êtes fichés. Dans quel parti ou quelle association militez-vous ? C’est un indice précieux. Quels sont vos amis et les amis de vos amis ? Qui se ressemble s’assemble! Vous serez accusés de sectarisme…
L’université de Zurich vient de développer une machine à détecter les pédophiles. Une jeune nymphette, mineure et dénudée, apparaît sur votre écran, sans crier gare, et si vous avez plus d’un neurone qui s’éclaire c’est que vous avez des tendances pédophiles : vous devez d’urgence consulter un psychiatre et Big Brother vous a à l’oeil ! Ces lois, applaudies par le peuple et l’ensemble de la classe politique, s’appuient sur la peur et génèrent la peur. Quel meilleur ingrédient que la peur pour soumettre les peuples ? L’occasion était trop belle pour la manquer !
Dans une société à ce point ligotée, on voit déjà se mettre en place des

mécanismes d’évitement. La société ne peut plus réagir, mais les citoyens individuellement mettent en place des mécanismes inconscients, des sortes d’échappatoires, que l’on peut regrouper sous le terme de « transgression ». La société n’ayant plus aucun droit, l’individu s’en arroge de nouveaux en transgressant les codes moraux, traditionnels et éthiques dans leur vie de tous les jours. Chacun, en fonction de sa personnalité, va exprimer, par des voies détournées, tout ce qu’il n’a plus le droit de dire sur la place publique. C’est ainsi que l’on peut schématiquement envisager quatre types de personnalité.
– Le psychotique va s’inventer un monde à lui qui s’accorde à ses désirs. Il va refuser de se plier au réel et il va s’ouvrir des espaces de liberté dans une sorte de virtualité qui lui suffit. Ce subterfuge est très fragile et menace constamment le psychotique de sombrer dans la folie.
– Le pervers, sous des dehors charmants, va démontrer à tous combien il est nécessaire de transgresser les normes et les tabous. Mais cette transgression, sous le couvert de vouloir le bien des siens, ne cherche qu’à les détruire. Il puise son plaisir dans les turpitudes et dans le refus des règles éthiques.
– L’hystérique ne sait pas qui il est et va suivre le mouvement à la mode qu’il peut même amplifier à l’extrême. Il peut donc être tenté de passer de la simple transgression à la subversion. En ce sens il est plus authentique, mais aussi il peut être détruit par le système qui l’enferme.
– Enfin le névrosé, majoritaire et banal. C’est le gentil gars qui va se plier aux ordres mais qui va refouler toutes ses frustrations. Ces refoulés vont s’exprimer par des tendances obsessionnelles ou par des symptômes. Le névrosé peut se contenter de vivre ses fantasmes devant un écran de télévision, par procuration.
Tout ce petit monde n’est pas bien joli à voir. C’est ce monde là qui constitue la trame des séries télévisées qui ne sont que le miroir de nos sociétés. On y croise toutes nos perversités, nos travers, nos aspects minables. Ils représentent nos symptômes. Les anglo-saxons ont donné un nom à ce sale type minable et sinistre qui nous ressemble un peu et qui suinte de désirs refoulés: « creep ». Depuis Freud nos sociétés ont renversé bien des interdits et des tabous, mais il en demeurent d’autres, des nouveaux, ceux proposés par nos sociétés, qui nous ont imposé une soumission totale, plus que jamais dans l’histoire de l’humanité.
La première des transgressions est naturellement d’ordre sexuelle. Tous les tabous sont désormais renversés, sauf la pédophilie, sans doute provisoirement. On doit pouvoir faire l’amour avec n’importe qui, n’importe où et de n’importe quelle manière. La pornographie est élevée au rang de l’art et toute morale en la matière est suspecte. Les sites internet dédiés à la baise tout azimut se développent et les téléréalités rivalisent de permissivité, voire de perversité. En Espagne la palme revient à l’émission intitulée « Gran Hermano », présentée comme « une expérimentation sociologique » dans laquelle les organisateurs apparient un garçon et une fille qui ne se connaissent pas mais qui doivent se marier. Les spectateurs suivent leurs ébats et les protagonistes ont 3 mois pour décider s’ils restent ensemble ou bien divorcent ! Dans Gran Hermano VIP, un escadron de 6 actrices doit rivaliser pour avoir droit aux faveurs d’un beau mâle, Nacho Vidal, acteur porno ! Bref, dans les nouvelles transgressions sexuelles la vulgarité est de mise et si possible atteindre la perversité. Toutes les méthodes sont bonnes pour sombrer dans la déchéance…
Les transgressions alimentaires sont aussi légion. Chacun revendique
son droit à manger de tout et de n’importe quoi. L’obésité n’est plus une maladie mais une caractéristique, une identité. Je mange ce que je veux et j’emmerde tout le monde ! Les beuveries organisées et planifiées font partie du même processus d’autodestruction revendiqué comme un droit, tout comme l’autodestruction par la drogue, sorte de suicide collectif de plus en plus toléré. Ces phénomènes sont d’autant plus acceptés, comme faisant partie de la normalité, qu’ils sont fréquents. Et, plus c’est normal, plus chacun peut participer à l’orgie.
Lorsque ces transgressions sexuelles ou alimentaires deviennent la norme, ce ne sont plus des transgressions et il faut donc en trouver de nouvelles, encore plus osées, plus pimentées, plus choquantes. La surenchère doit être permanente, comme on le constate à l’observation de nos mœurs. Nous perdons chaque jour un peu plus de notre âme, de notre humanité. Plus rien n’a de valeur, sauf le sexe et l’argent. L’éthique est devenu un vilain mot. Ce processus de dégradation et de déchéance de la société ne peut être qu’encouragé par ceux qui gouvernent, pourvu que le peuple continue de consommer, paie ses impôts et reste dans le rang.
Dans nos sociétés contemporaines, c’est parce que nous sommes trop soumis à un ordre totalitaire et omniprésent, dans lequel nous étouffons, que nous sommes de plus en plus attirés par des transgressions individuelles qui conduisent souvent à une véritable autodestruction. L’agressivité que nous ne pouvons pas exercer vis à vis du système, nous la retournons contre nous-même, selon un processus bien connu en psychologie. Pour éviter ces transgressions destructrices, nous devrons trouver une autre échappatoire. Se peut-il que la transcendance soit le seul moyen d’échapper à ce dilemme ? La sortie vers le haut, vers plus de spiritualité et moins de matérialité…