601 – SACRIFICES INUTILES

Avec le recul, quelle guerre a valu la peine et la souffrance qu’elle a fait endurer aux populations et aux combattants ? Quelle guerre ne pouvait pas être évitée ? Quelle guerre ne fut pas l’occasion de sacrifices inutiles ? Pouvez vous m’en citer une ? Combien de soldats inconnus sont morts pour rien, si ce n’est pour la mégalomanie des dirigeants ? Rien ne symbolise mieux la folie de l’espèce humaine que la guerre!…

Chaque guerre semble justifiée par la précédente. En France, la guerre de 1870 justifia celle de 1914 et pour l’Allemagne, vingt ans après, l’humiliation de 1918 justifia la guerre de 1939. Aujourd’hui, les conflits entre l’occident et le Moyen-Orient ne sont que des répliques du démantèlement de l’empire Ottoman en 1918 et de la domination méprisante qu’exercèrent les puissances alliées sur ces peuples. L’empire incluait la Turquie actuelle et s’étendait des Balkans à la péninsule Arabique et aux rivages de l’Afrique du Nord. Un découpage arbitraire de cet immense empire fut imposé par les anglais et les français qui tracèrent des frontières sur une carte, sans connaître la réalité des peuples qui y vivaient.

La Société des Nations donna aux « Etats mandataires », terme plus politiquement correct qu’Etats coloniaux, la mission de mener les peuples soumis « jusqu’à leur majorité », ces peuples n’étant pas capables « de se diriger par eux-mêmes dans les conditions extrêmement difficiles du monde moderne ». Dès 1917, la Grande Bretagne signa la Déclaration Balfour, qui tenait lieu de promesse, en vue d’établir en Palestine un Foyer national juif. La Grande Bretagne promettait donc une terre qui ne lui appartenait ni de près ni de loin et sans la moindre consultation des populations locales. Metin Arditi, écrivain Suisse d’origine Turque, écrivait récemment : « L’Occident s’est comporté vis à vis de l’Orient comme le propriétaire d’une esclave qui estime qu’elle lui doit tout et qu’il ne lui doit rien ».

L’invasion de l’Irak par les troupes américaines s’inscrit dans cet état d’esprit d’arrogance et de mépris dans lequel le terrorisme de l’Etat Islamique puise ses racines profondes. On ne peut pas comprendre les évènements présents sans connaître l’histoire. Une étude américaine considère que « la guerre contre le terrorisme » mené par les Etats-Unis en Irak et en Afghanistan a tué 2 millions de personnes. Pour quel résultat ? Les guerres occidentales n’ont pas secouru les populations civiles, ni apporté la démocratie, ni vengé les attentats du 11-Septembre, seulement semé la mort et la désolation.

Empite Ottoman
Empite Ottoman

 Nous pourrions organiser un concours de sacrifices stupides et inutiles. En haut du tableau nous placerions volontiers l’expédition ANZAC, des volontaires Australiens et Néozélandais qui s’enrôlèrent, en Janvier 1915, pour aller combattre les Turcs de l’empire Ottoman dans la péninsule de Gallipoli, dans le détroit des Dardanelles qui sépare la mer Méditerranée de la mer Noire. Ils avaient été convié à se joindre « à la plus noble des croisades » par Winston Churchill en personne. Il faut dire qu’il n’existait pas, à l’époque, de machine de guerre plus efficace que l’armée Britannique qui disposait d’une flotte lui assurant le rang de première puissance du monde. Les anglais parvinrent même à convaincre les français de se joindre à cette bataille des Dardanelles, comme si la guerre de tranchée ne leur suffisait pas en guise de sacrifices !

L’idée de Churchill était d’attaquer ce qu’il croyait être « the soft underbelly » de l’ennemi, autrement dit « le bas-ventre mou ». Le corps expéditionnaire allié comptait 78.000 hommes, mais seulement 34.000 revirent leur terre natale. Parmi les magnifiques jeunes hommes courageux de l’Anzac, venus des antipodes, 10500 restèrent pour toujours dans le sable de Gallipoli. La Brigade de l’avant-garde Australienne ne reçut aucune médaille car il ne resta aucun témoin de leur héroïsme inutile. Les Alliés avaient sous estimé la vaillance de l’armée ottomane, dirigée par un certain Mustapha Kemal qui, quelques années plus tard, devint Atatürk, le père fondateur de la Turquie moderne.

Le détroit des Dardanelles et la péninsule de Gallipoli
Le détroit des Dardanelles et la péninsule de Gallipoli

 De ce point de vue, la bataille des Dardanelles fut donc une hécatombe inutile de plus et les alliés durent se retirer piteusement le 9 Janvier 1916 et cela valut à Churchill l’appellation dégradante de « Boucher de Gallipoli » et de tomber en dépression. Les Anzacs furent pourtant vaillants au combat et l’on dit même qu’ils donnaient 5 Livres de leurs deniers personnels pour être en première ligne. Où va se nicher notre besoin d’héroïsme ? En hommage, il reste là-bas une « anse des Australiens », le lieu où ils furent pris comme dans une souricière ! Le plus étrange, c’est que chaque année, la date du 25 Avril, dénommée « journée de l’ANZAC » demeure la plus importante commémoration militaire en Australie et en Nouvelle-Zélande, une fête nationale en souvenir de ce débarquement aussi stupide qu’inutile dans la péninsule de Gallipoli.

Mais il faut savoir que l’Australie et la Nouvelle-Zélande venaient de s’émanciper de la tutelle anglaise et la jeunesse semblait avoir besoin d’un baptême du feu pour sceller cette nouvelle autonomie. Il fallut ces morts héroïques pour forger un sentiment national et l’ « Anzac spirit » demeure là-bas une valeur fondamentale pour exprimer le courage et la vaillance. C’est donc toujours par le sang et les larmes que naissent les nations.

Faut-il en conclure qu’il n’existe pas de sacrifices inutiles et que les sociétés humaines ont besoin de héros à admirer, de morts à pleurer et de martyrs à sanctifier, pour assurer leur cohésion et survivre aux aléas de l’existence ? Ce peut-il que la France n’existe que par les innombrables guerres « inutiles » qu’elle a mené au cours de son histoire ? Les 250.000 soldats Ottomans qui sont morts lors de la bataille des Dardanelles ont sans doute permis l’émergence de la Turquie. En ce sens les morts du 11 Septembre ont contribué à souder les américains, comme les attentats de Paris rassemblent la nation française. La shoah a rendu possible la création de l’Etat d’Israël. L’Etat Islamique, aussi détestable soit-il, n’existerait pas sans le sang versé par des innocents lors de l’intervention américaine en Irak qui fut sa pierre fondatrice. Que serait le christianisme sans le sang de Jésus ?

Pourrions-nous en conclure que c’est par le sang que se forgent les nations et par le sang que les hommes se relient ? Aurions-nous besoin du sang des innocents, du sang des martyrs, pour atteindre la transcendance ? C’est en ce sens que le sang serait sacré… et que, d’une certaine façon, il ne coulerait pas inutilement ! La vie de l’homme est tragique…

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