Chacun condamne avec véhémence le travail des enfants, désormais interdit dans la grande majorité des pays. Mais, dans le même temps, notre exigence vis-à-vis de nos propres enfants s’est déplacée d’une part sur le travail scolaire et, d’autre part, sur nombre d’activités annexes dans lesquelles ils doivent exceller pour ne pas nous décevoir. Cette pression parentale a atteint un tel niveau que nombre d’enfants vivent en état de stress permanent s’ils veulent rester à la hauteur de nos attentes.
Lors de l’avant-dernière chronique j’évoquais le souhait des parents d’engendrer des enfants aussi beaux et intelligents que possible. Ce désir tout à fait compréhensible pouvant néanmoins conduire à la recherche de « l’enfant biologiquement parfait », ce que les biotechnologies vont bientôt permettre, avec toutes les dérives possibles. Aujourd’hui, je voudrais poursuivre la réflexion sur notre désir de « l’enfant performant », sorte de futur superman ou superwoman, ce qui va de paire avec des exigences énormes qui pèsent désormais sur leurs épaules encore fragiles.

Tout commence au jardin d’enfants où l’on voudrait déjà que nos enfants s’éveillent le plus vite possible et qu’ils commencent à apprendre à lire et à compter, comme si la course aux diplômes était déjà commencée ! Nombre d’enfants ne savent pas encore aller sur le pot mais ont des parents, pleins de bienveillance, qui tiennent à ce qu’ils apprennent déjà les lettres de l’alphabet et les premiers nombres. Pour ces parents bien intentionnés, il convient que les très jeunes enfants aient de multiples activités pour les « éveiller », au cas sans doute où ils risqueraient de s’endormir ! Le moindre jouet se doit d’être éducatif et susciter sa créativité alors qu’ils s’amuseraient volontiers avec un bout de ficelle.
Voilà pour le hors-d’œuvre. Vient ensuite l’école où l’on demande aux enfants et aux adolescents de rester assis en silence et à écouter 6 heures par jour un enseignant qui doit suivre un programme établi à l’avance par des technocrates habitués aux spéculations intellectuelles. Mais hormis quelques esprits, férus des abstractions les plus abscondes, et qui font métier de leur cerveau, je ne connais pas un adulte capable de s’astreindre au régime que l’on impose aux enfants. Ils sont tout à fait incapables de fixer leur attention sur des périodes aussi longues. Le résultat est doublement catastrophique car, d’une part, cela entraine un gaspillage énorme de temps et d’énergie qui seraient plus fructueux ailleurs, et d’autre part, ce système dégoute les enfants de l’école, et souvent définitivement. Les activités manuelles et artistiques sont trop absentes des rythmes solaires.

Les heures d’écoles ce n’est pas tout, la journée n’est pas fini, il faut penser aux devoirs à la maison, la corvée quotidienne pour les enfants et pour les parents, qui pourrissent la vie de famille. Je n’ai jamais pu comprendre comment les enseignants n’avaient pas assez de six heures par jour pour entrer quelque chose dans la tête des enfants. C’est à se demander ce qu’ils font de leur journée pour qu’il soit encore nécessaire de rabâcher les rudiments de mathématiques ou d‘anglais le soir à la maison. Sans doute ne savent-ils pas qu’ils ont à faire à des enfants qui ont aussi besoin de jouer et de rêver ! Rêver ? Vous n’y pensez pas ! Des associations de parents commencent à s’insurger contre cet excès de travail demandé aux enfants qui finissent par en être malades. En Espagne, par exemple, une association a déjà récolté 210.000 signatures de protestation qui ont été envoyées au ministère de l’éducation. Ce que les parents demandent ce sont des « devoirs raisonnables et respectueux », comme par exemple une lecture spéciale ou un travail personnel nécessitant un peu de recherche ou de réflexion.
N’allez surtout pas demander aux enseignants ou aux responsables de l’éducation de changer quoique ce soit au « système », vous déclencheriez aussitôt une grève de protestation qui bloque les rouages de la machine. La particularité d’un « système », c’est de se transformer en dogme intangible auquel il est interdit de toucher. C’est ce système qui permet à des centaines de milliers de jeunes d’aller s’inscrire directement au chômage en sortant de l’école, car ce n’est même pas la peine qu’ils cherchent du travail étant donné la vacuité de leurs connaissances.
Pour l’instant, la seule chose à faire pour sortir du « système », c’est de chercher des écoles privées qui proposent un enseignement alternatif, plus orienté sur les besoins de chaque enfant particulier et lui permettre un meilleur épanouissement. Le succès, par exemple, des écoles Montessori provient des carences du système éducatif étatisé qui pense encore que tous les enfants sont les mêmes et doivent suivre la même « filière », sans tenir compte de leurs capacités, de leurs goûts, et de leurs compétences.
La journée moyenne d’un enfant est une véritable épreuve dont il sort
épuisé. Après les heures d’école et les devoirs à la maison, il faut encore satisfaire aux exigences de papa et maman qui, avec leur immense amour ont trouvé judicieux et… utile de l’inscrire à des cours de piano, de flûte traversière ou de danse, à des leçons de natation, à des entrainements de judo et les plus chanceux auront même droit à des cours de rattrapage de math ! On s’étonnera ensuite que les enfants ne sachent plus s’occuper tout seul et qu’ils manquent de créativité. Quel temps leur reste-t-il pour cela ? Ils n’ont même plus le temps de ne rien faire et de s’ennuyer, ce qui constitue pourtant l’occupation qui procure le plus de plaisir. Bien souvent les soirées se terminent devant la télévision ce qui génère en outre un manque de sommeil chronique…
Je ne parlerai pas ici de ce qui attend ceux qui ont réussi à survivre à ce régime et qui s’orientent vers des études supérieures de haut niveau avec les célèbres « concours », dont l’Université française est si fière, et qui fabrique néanmoins des zombies qui gâchent les plus belles années de leur vie…
Tout cela pour dire que, avec les meilleures intentions du monde, nous malmenons nos enfants et nous les privons des joies de l’enfance. Nous voudrions qu’ils soient des super-héros, comme si la vie était une lutte sans merci. Aujourd’hui des milliers d’enfants sont stressés, angoissés, déprimés et psychologiquement fragiles. On peut gâcher sa vie à force de tout vouloir réussir et d’être le meilleur. La pression est trop forte au point que certains enfants font des burn-out. L’OMS estime que dans certains pays 70% des adolescents sont stressés avec des répercutions psychologiques. Sommes-nous bien raisonnables à malmener nos enfants de la sorte? Peut-être ont-ils besoin d’être mieux respectés ?
Tellement vrai