Nous revenons du Maroc où nous avons visité quelques villages de l’intérieur et nous nous sommes perdus maintes fois dans la médina de Fès. Ce fut l’occasion d’une réflexion sur le devenir du Maghreb qui vit, encore plus qu’en Europe, avec la peur des Djihadistes.

Ce qui, avant tout, frappe le visiteur, c’est le désoeuvrement de la jeunesse. Nous avons croisé des centaines de jeunes hommes qui attendent debout, appuyés sur un mur, dans les villes et les villages. Cette attente vaine est, à elle seule, lourde d’angoisse et de menace. Dans les sites touristiques, ils guettent les rares touristes pour leur proposer le plus menu des services. Dans un petit village de la côte Atlantique, nous avons désespéré un restaurateur en choisissant son concurrent d’à-côté. « Ce n’est pas juste, c’est moi qui vous ai vu le premier » m’a t-il lancé dépité et sachant que nous aurions été les seuls clients de la journée. La désaffection des touristes est le principal problème qui hante l’ensemble du Maghreb et le Maroc n’est pas épargné.
Partout, nous n’avons trouvé que des sourires et de la gentillesse. Le sentiment de sécurité domine, d’autant que la police est omniprésente et en abondance dans les villes et sur les routes. Le long des routes principales, les barrages de police s’égrainent tous les 25 kilomètres. Certains trouveront que l’Etat policier en fait trop, mais le touriste est rassuré et il semble bien que la grande majorité de la population approuve cette surveillance tout azimut.
Le Maroc est le seul pays du Maghreb qui a été épargné par la soit disant « révolution arabe » et les mouvements salafistes ne semblent pas y avoir pris pied. Au contraire, la Libye apparaît comme gangrénée par l’intégrisme Musulman et surtout par les groupes armés de Daesh qui s’y sont repliés depuis l’intervention militaire russo-occidentale en Irak et en Syrie. C’est donc un cocktail explosif composé de groupes criminels, de grand banditisme, de djihadistes et de séparatistes de toutes origines tribales qui terrorisent la population de l’Est Libyen et qui apparaissent comme une alternative à une jeunesse déboussolée et désespérée.
La Libye constitue donc le trou noir du Maghreb, sans véritable Etat, déchiré de toutes parts. Le grand risque qui se profile à l’horizon c’est la connexion entre Daesh et les groupes armés de Boko Haram qui sévissent plus au sud. La peur des gouvernements et des populations de la région réside dans le risque de contagion. Tous ces groupes armés se caractérisent par une très grande mobilité et peuvent surgir, n’importe où et n’importe quand, pour montrer leurs forces et intimider les populations.
A cet égard, la Tunisie apparaît comme la cible privilégiée dans la région,

c’est une brèche qui peut encourager l’infiltration vers l’Ouest du Maghreb. Selon Bouchra Rahmouni, professeur à l’Université Hassan II à Rabat, « les salafistes de Tunisie sont bel et bien entrés dans une logique de djihad. Ils ont pris l’ascendant sur les mosquées où ont été chassés les imams modérés… Le risque est de voir ces actions prendre une ampleur plus violente, aidées en cela par les armes en provenance de Libye et le rôle d’Internet dans l’embrigadement des jeunes. Tous ces facteurs font de la Tunisie la terre promise pour une deuxième étape dans l’échéancier de Daesh dans la région. » Plusieurs groupements se sont déjà fédérés autour du projet mobilisateur d’un califat islamique à Tunis !…
Dans ce contexte éminemment explosif, le Maroc voudrait exercer un leadership en Afrique du Nord en proposant un autre modèle de l’Islam. Le pays estime avoir fait ses preuves dans la lutte contre le terrorisme et appelle à l’union du Maghreb contre la radicalisation qui transforme l’Islam dans une idéologie de l’exclusion, de la haine sociale et du non respect du vivre ensemble.
Pour atteindre ce but, il convient que l’Europe collabore plus étroitement avec les gouvernements du Maghreb, en particulier dans le domaine militaire. Mais surtout, l’Europe doit apporter tout son soutien politique et économique afin de favoriser le développement de pays dont la population risque de désespérer. Actuellement le Maghreb est sans futur mais sa jeunesse a besoin de perspectives pour de pas sombrer dans la violence ou dans la déprime suicidaire.
La fascination d’une frange de la jeunesse Nord Africaine pour la mort est le signe d’un profond désespoir. Quand on n’a pas d’avenir ici-bas, on peut rêver d’un meilleur au-delà. Mourir en martyr pour une cause idéalisée est vécu comme un acte courageux et noble, préférable à une vie sans but et sans issue. Comment avoir peur de la mort lorsque la vie est sans perspective? Cette attitude nihiliste mortifère constitue le terreau qui nourrit les rangs des djihadistes. Si rien n’est fait, il n’y a pas de raison que le désespoir se résorbe tout seul, il ne peut que s’aggraver et creuser encore plus le fossé entre les populations d’origine européenne et les autres.
L’Europe doit se mobiliser pour épauler les gouvernements locaux et les renforcer, au lieu de brandir sans cesse, et mal à propos, l’étendard de la démocratie. Les pays du Maghreb, ont besoin de gouvernements forts et d’institutions respectées. A cet égard, le Maroc peut constituer un modèle, à condition qu’il soit davantage aidé dans son développement économique. Si l’un de ces pays bascule dans l’anarchie et la terreur djihadiste, nous ne pourrons pas faire semblant d’être surpris. Il faut que les pays européens soient conscients de leur responsabilité, sinon ils devront s’attendre à de multiples actes kamikazes, car il peut être préférable de mourir en « héros » désespéré que de rester appuyé contre un mur, sans plus rien attendre, sauf la déchéance et le mépris de soi… L’Europe s’est assoupie sur une bombe à retardement, il serait temps qu’elle se réveille!