Je ne voudrais pas jouer les grincheux et assombrir votre plaisir, au moment où vous vous enthousiasmez en famille devant votre télévision. Mais, on peut profiter de la fête et du spectacle en restant lucide sur ce qui se passe en coulisse.
Bien sûr, vous regrettez comme moi que le foot, symbole du sport d’équipe, soit devenu un agrégat d’individualités, à l’ego démesuré, qui soignent plus leur image médiatique que l’esprit d’équipe. Vous regrettez aussi, j’en suis persuadé, que le sport, qui jadis glorifiait « un esprit sain dans un corps sain », soit réduit à un spectacle de divertissement, à du show business, dans lequel les acteurs sont achetés à prix d’or, comme un étalon de Grand-Prix. Je suis néanmoins conscient qu’il faille accepter cette réalité nouvelle qui veut que les sportifs soient désormais des mercenaires que l’on envoie au combat dans l’arène, pour notre divertissement. Il faut que le peuple se réjouisse et s’amuse, c’est à ce prix qu’il se tient tranquille. C’est fort à propos que le foot vient de nous prouver qu’il peut, par magie, apaiser les conflits sociaux les plus durs ! Tant mieux donc, et qui va s’en plaindre, surtout si le spectacle est beau et nous enchante ?
Il est cependant des choses plus graves qui me choquent. Les media s’émeuvent, souvent à juste titre, des salaires exorbitants que s’octroient certains patrons et ce, jusqu’à ce que le gouvernement promette de légiférer en la matière, tant ces disparités lui paraissent scandaleuses. Mais, très étrangement, personne ne dit mot sur les salaires des joueurs de foot que pourtant chacun connaît et qui ne sont pas moins extravagants. Il semblerait donc qu’il soit plus méritant de courir derrière un ballon que de diriger une entreprise de plusieurs milliers de personnes et de définir des stratégies qui permettent de rester compétitif, de gagner des parts de marché et de sauvegarder l’emploi. Je ne prends pas ici la défense des grands patrons qui ne sont pas à plaindre, mais je m’étonne seulement de la différence de traitement. On froisserait sans doute le bon peuple si l’on montrait du doigt le salaire indécent de certains joueurs, tandis que les politiciens trouveront toujours des applaudissements lorsqu’ils s’en prennent aux patrons. Deux poids, deux mesures !
La différence de traitement ne s’arrête pas là. Le gouvernement français a instauré une tranche d’impôt à 75% pour les très gros salaires. Je ne suis pas en faveur des salaires astronomiques, mais je condamne de la même façon les impôts excessifs, confiscatoires. Bien entendu, le petit monde du foot s’est ému d’un tel niveau d’impôt et a brandi le spectre du risque de fuite hors de France des joueurs les plus talentueux, donc les mieux payés. Personne ne s’est ému que certains patrons de talent et des entrepreneurs créatifs puissent aller exercer leurs performances ailleurs ! C’est une éventualité que le gouvernement n’a pas pris en ligne de compte alors qu’il s’est empressé de mettre sur pied un statut spécial pour « aménager » et adoucir le régime fiscal des joueurs de foot. Cela en dit long sur les priorités du gouvernement qui se préoccupe davantage du divertissement du peuple que de développer l’économie !… Encore une fois deux poids, deux mesures.

Ce n’est pas tout, et tant que je suis sur le sujet autant vider mon sac ! La France, donc, a eu l’insigne privilège, tant convoité, d’accueillir l’Euro de Football. Il a fallu négocier avec l’UEFA, instance suprême du foot mondial et organisateur du tournoi. La France avait promis d’être clémente fiscalement afin d’amadouer l’UEFA et peser sur sa décision. Finalement, il ressort que la France s’est engagée à ne prélever pas même un centime d’impôt sur les recettes des organisateurs ! Selon le calcul des experts, ce cadeau fiscal atteindrait 300 millions d’euros. C’est ce que l’on appelle dérouler le tapis rouge, et pendant ce temps là, n’importe quelle entreprise industrielle et commerciale croule sous les impôts. Décidemment, le foot est l’enfant chéri de la république qui ne recule devant aucun sacrifice pour divertir son bon peuple. Deux poids, deux mesures…
Bien entendu, ce sont les idiots de contribuables français qui devront débourser les 2 milliards d’euros d’investissements nécessaires pour la construction des stades et des infrastructures, car l’UEFA ne débourse pas un seul centime, elle ne fait qu’encaisser la vente des billets et des retransmissions, ce qui devrait lui rapporter 2 milliards ! C’est aussi le contribuable qui supportera la charge de la sécurité, de la police et de tout le tralala. Mais la chose devient énorme lorsque l’on apprend que les téléspectateurs devront aussi payer une chaine à péage pour voir l’intégralité des matches. Entre le cadeau à l’UEFA, le coût de la mise à niveau des stades et la chaine à péage, les français auront payé trois fois l’Euro 2016 ! Voilà un pays qui est bien gouverné… et, tout compte fait, un peuple bien docile !
