623 – L’HUMANITE NE SERA JAMAIS SAGE

 

Vous ne trouvez pas étrange que les hommes, capables de prouesses technologiques extraordinaires, ne semblent pas avoir beaucoup changé au niveau de leur mentalité, de leurs relations avec les autres, de leurs attitudes face à la société, à la politique et à la vie en groupe. Comment se fait-il que malgré des progrès techniques constants au fil des âges, l’homme est resté assez identique à lui-même, c’est-à-dire un animal mû par l’ego, le goût du pouvoir et qui –finalement- ne respecte que la force ? Il ne semble avoir acquis aucune sagesse et les problèmes qu’il se pose aujourd’hui sont étrangement semblables à ceux qu’il se posait il y a plusieurs millénaires, sans jamais parvenir à les résoudre !

Je me demande parfois comment nous parvenons à nous maintenir en équilibre dans un environnement contemporain hypermoderne, aussi bien au niveau de la technologie que des mœurs et coutumes, avec un psychisme assez identique à celui de l’homme des cavernes. Nous ne comprenons encore que la politique de la carotte et du bâton, nous avons les mêmes dilemmes existentiels, la même peur de la mort et la même difficulté à construire une vie heureuse, enfin nous n’avons pas encore appris à vivre en paix.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir appris l’histoire du monde et de ses soubresauts. Nous avons appris les causes et les conséquences des guerres, nous avons étudié la chute des empires et le déclin des civilisations, nous avons sondé les arcanes du psychisme humain, nous avons essayé de vivre avec ou sans religion, nous avons expérimenté maints systèmes politiques et nous avons été abreuvé du « devoir de mémoire ». Malgré tout cela, malgré ces efforts acharnés, nous en sommes toujours au même point, avec les mêmes angoisses, les mêmes erreurs toujours répétées, les mêmes peurs, les mêmes haines et les mêmes violences. L’histoire des autres, de ceux qui nous ont précédés, n’a servi à rien puisque nous répétons à l’infini les mêmes erreurs, encore et toujours. Pourquoi ?

Comment se fait-il que celui qui sait profiter des inventions techniques de ses ancêtres et qui cherchent à les améliorer, ne parvient pas même à suivre l’enseignement de son père ? Nous n’avons pas besoin, à chaque génération, de réinventer le feu ou la roue, nous faisons confiance à ceux qui nous ont précédé et nous tentons de faire mieux. Dans le monde occidental, chaque génération a apporté sa pierre à l’édifice pour l’améliorer, le modifier et le rendre plus performant. Nous n’avons jamais pensé qu’il n’y avait plus rien à inventer et nous avons tous ce sentiment profond que le progrès est infini. Certes, les plus présomptueux d’entre nous peuvent estimer que nos sociétés modernes sont plus « civilisées » et plus « évoluées » que les précédentes. C’est peut-être là qu’est l’erreur. Pouvons-nous affirmer que nous sommes plus sages et plus heureux que du temps de la République Athénienne, il y a 25 siècles ? Si certains répondent affirmativement à cette question, j’attends leurs démonstrations avec impatience…

Je crois que l’erreur fondamentale de l’espèce humaine est de croire que chaque génération fera mieux que la précédente. Nous voyons la vie de ceux qui nous ont précédé et nous ne voulons pas y ressembler. Nous sommes souvent sévères avec la vie de nos parents, nous en voyons les lacunes et nous sommes persuadés que nous ferons mieux sans peine. Nous élèverons mieux nos enfants, nous saurons choisir notre métier, nous bâtirons un meilleur couple, bref, nous serons plus heureux et notre vie sera mieux réussie. C’est parfois vrai, mais c’est souvent faux ! Dans notre fougue juvénile, nous manquons souvent de modestie et refusons bêtement quelques conseils et nous prenons le contre pied. Sous prétexte que nos ancêtres vivaient à une autre époque, dans un autre environnement, nous ne percevons pas bien en quoi nous sommes semblables et en quoi nous sommes faces aux mêmes problèmes, face à la vie.

Il est ainsi étonnant de constater à quel point, dans nos sociétés contemporaines, les personnes âgées sont peu consultées, comme si leur avis et leur expérience n’avaient aucune valeur et aucun intérêt, comme s’ils n’avaient aucun recul et retiré aucune sagesse de leur vie. Nous sommes ainsi sans mémoire, sans lien avec le passé, comme si le fil intergénérationnel était rompu. Les personnes âgées n’ont rien a enseigner puisque les jeunes générations croient avoir tout compris. Le phénomène semble même s’être accentué ces dernières années comme si le gap technologique qui sépare les générations avait donné un supplément de sagesse aux jeunes, plus à l’aise avec les nouveautés techniques.

Nous constatons le même processus au niveau des sociétés. Chacune se croit beaucoup plus évoluée que la précédente et nous avons vite fait de la juger sévèrement. Hier est toujours assimilé à la barbarie, à l’ignorance et à l’obscurantisme. Nous jetons facilement l’opprobre sur les guerres, les misères et les travers des sociétés d’hier, sans voir que nous reproduisons le même schéma. Pendant que nous récitions nos « devoirs de mémoire » sur la Shoa, nous avons laissé les Serbes massacrer les Kosovars, nous avons laissé Pol Pot exterminer son peuple, nous avons laissé les Hutus tuer un à un les Tutsis, etc. Nous condamnons les dictatures et les régimes monarchiques, et nous vantons les mérites de la république pendant que celle-ci sombre dans une démagogie suicidaire. Nous n’apprenons jamais rien !

Il semble légitime de se demander quel serait l’intérêt, du point de vue de l’évolution, pour que l’espèce humaine, comme les autres espèces, répète à l’infini les mêmes schémas comportementaux, comme s’ils étaient figés, inscrits dans le marbre ou dans nos gènes. L’évolution de l’espèce humaine n’a que faire de notre bonheur ou de notre sagesse. Son processus ne consiste qu’à favoriser la perpétuation de l’espèce et en ce domaine on peut dire qu’elle a plutôt bien fait son job ! L’évolution favorise les plus forts, les plus résistants, ceux qui seront capables de mieux disperser leur semence dans les ventres les plus féconds. En ce sens, les guerres, les famines et la misère servent l’évolution. Au contraire, le confort bourgeois, bien au chaud dans ses pantoufles, avilit l’espèce.

Par conséquent, voici l’hypothèse que je formule : le processus de l’évolution des espèces ne fait que sélectionner les plus forts et les plus résistants au milieu d’un environnement hostile. En ce sens, attiser la guerre et favoriser les famines, crée les conditions d’une meilleure sélection. Il serait donc nécessaire, du point de vue de l’évolution, que subsistent en nos cœurs, la haine, le ressentiment, la jalousie et la peur. C’est sans doute à ce prix que l’humanité a survécu en sélectionnant les plus valeureux et les plus féroces… Il serait donc inutile d’écouter la sagesse des anciens car il n’y aurait rien à y apprendre : notre destin est fait de sang et de larme. Depuis l’aube de l’humanité, l’homme ne devient sage que sur le tard, après une vie de folie. La sagesse ne concerne donc pas le processus de l’évolution puisqu’elle intervient lorsque l’on n’est plus en âge de procréer…

 

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2 commentaires

  1. Juste un rectificatif important ; si le fond de votre papier m’agrée, je voudrais bien connaître le fond de votre pensée à propos des serbes et des kosovars. Merci pour votre réponse.

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