Le vote qui vient d’avoir lieu au Royaume-Uni sur sa sortie de l’Union Européenne est l’occasion de réfléchir sur les raisons du Brexit, conséquence d’un désenchantement et d’un manque d’attrait pour le projet européen. Peut-être pouvons-nous remercier les britanniques de nous réveiller de notre torpeur et de nous sortir de la spirale défaitiste et déprimée dans laquelle baigne les européens. Mais au préalable, avant de relever le défi, il faut comprendre et analyser les causes du malaise. Il convient de ne pas oublier que l’Angleterre est une île, dans la réalité et dans l’esprit de ses habitants. N’oublions jamais cette phrase de Churchill à de Gaulle en 1944 : « Chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large ». Par conséquent, tout rentre dans l’ordre.
L’Europe de 2016 est animée d’un fort mouvement centrifuge qui pousse les nations vers la périphérie au risque de sortir du champ d’attraction du centre, c’est-à-dire de Bruxelles. Il manque à cette Europe une force centripète qui, au contraire, devrait rassembler les nations autour d’un projet et d’un idéal commun. Il ne sert à rien de fustiger les eurosceptiques et les traiter de populistes. S’ils sont sceptiques, c’est qu’ils n’ont pas été convaincus, ils ne se sont pas sentis compris, ils n’ont pas été attirés par des valeurs porteuses d’avenir qui les transcendent.
Depuis une génération, le projet européen est porté par des politiciens sans envergure, sans charisme et sans convictions personnelles qui soient capables de rassembler les citoyens autour d’un projet mobilisateur. L’Europe a souffert de timidité, de manque de vision du personnel politique qui n’a su qu’empiler les règlementations, les normes et les contraintes, les unes sur les autres. L’Europe a été prise au piège d’une bureaucratie où sévissent 10.000 fonctionnaires très bien payés et exonérés d’impôts ! Ce poids a alourdi toutes les initiatives sans contrepartie, sans perspectives d’avenir. Il manque l’enchantement et le dynamisme nécessaire pour porter un projet, pour stimuler le désir de vivre ensemble.
Pour faire l’Europe, il faut se rassembler derrière des valeurs partagées, des idéaux élevés, des symboles forts. Faire l’Europe doit avoir un sens, un but, un objectif. Il faut répondre à cette question : faire l’Europe, pour quoi faire ? Le Brexit n’est pas la cause de difficultés futures, il n’est que le symptôme du manque d’énergie, d’envergure et de volonté politique des dirigeants, il est le révélateur de tous nos manquements, de tout ce que nous n’avons pas fait pour l’Europe.
En particulier, les institutions européennes n’ont jamais défini les frontières de l’Europe. Jusqu’où va l’Europe vers l’Est ? Contre tout bon sens, certains parlent d’y inclure la Turquie. Cette simple hypothèse, refusée par les citoyens, tue dans l’œuf le projet européen car il enlève à chacun le rêve de faire l’Europe. L’incapacité de l’Union Européenne de mettre sur pied une politique migratoire et des règles communes, constitue sans doute la goutte qui a fait déborder le vase. Le peuple est las de voir 28 chefs de gouvernements se quereller alors que des millions de réfugiés traversent les frontières et que d’autres s’impatientent d ‘y parvenir. Autant le dire tout de suite les peuples ne supportent plus cette Europe ingouvernable au sein de laquelle 27 ou 28 chefs de gouvernements tirent à hue ou à dia.
L’avenir est désormais ouvert et nul ne peut dire qui s’en sortira le mieux, de l’Angleterre redevenue une île ou des continentaux restés liés les uns aux autres. Les Anglais peuvent relever le défi et se souder derrière un projet. Ils peuvent être tentés d’attirer sur leur sol des entreprises et des capitaux grâce à une politique plus dynamique et plus libérale que celle de l’Union Européenne. En ce domaine, la fiscalité est le nerf de la guerre. Une fiscalité et une bureaucratie allégées peuvent en séduire beaucoup. La Suisse peut constituer un exemple en ce sens. Le Royaume-Uni peut aussi devenir un pôle d’attraction pour les eurosceptiques de sa sphère traditionnelle d’influence. On peut imaginer une Europe du Nord, nouvelle zone de libre échange, avec les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Norvège. A terme, ce projet pourrait sembler plus séduisant à une Allemagne, fatiguée de l’incapacité de l’Europe du Sud à se réformer et de sa propension à vivre au-dessus de ses moyens. Cela serait un scénario cohérent.
Je n’avais pas prévu le Brexit parce que je pariais sur le pragmatisme Britannique. Mais l’alternative qui pourrait aussi se dessiner, c’est que, malgré le référendum, le gouvernement anglais n’enclenche jamais le processus de rupture, ce qui serait le summum de la perversion politique. En effet, quel est le Premier Ministre anglais qui osera mettre en œuvre le Brexit et avec quelle majorité parlementaire ? Il y a fort à parier que celui qui proposerait de mettre le Brexit à exécution n’obtiendrait jamais l’investiture du Parlement ! Ne pas croire au Brexit est encore d’actualité nous risquons de voir le Royaume-Uni tergiverser et exiger encore des arrangements spécifiques. Comment ne pas citer ici cette phrase du Général de Gaulle qui avait mis son veto à l’entrée de la Grande-Bretagne : « Faire entrer l’Angleterre, ce serait pour les six donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants ». Nous avons été servi et nous n’avons sans doute encore rien vu… Quelque soit la voie choisie, on peut seulement être sûr d’une chose, c’est que la « perfide Albion » va savoir mettre nos nerfs à rude épreuve !
Quoiqu’il en soit, le défi de l’Europe continentale sera tout d’abord de ne pas sombrer dans la déprime et le renoncement. Les 27 gouvernements devront faire preuve de force de caractère et d’audace pour proposer une direction, un cap clair et mettre une sourdine à leurs dissensions, à leurs égoïsmes nationaux et à leur idéologie personnelle. Les peuples devront exiger plus de démocratie au niveau européen afin qu’ils soient consultés sur les nouvelles orientations.
L’Europe manque de sex-appeal, elle devra avant tout séduire les peuples et devenir attractive. Les peuples devront s’allier par choix et avec enthousiasme et non pas par la contrainte ou par peur de la solitude. Les citoyens ne demandent qu’à être ré-enchantés, ils n’attendent que cela. Les eurosceptiques ne sont pas des anti-européens, ce sont seulement des déçus de l’Europe telle qu’elle fonctionne actuellement et qui navigue à vue, sans savoir où elle nous conduit. L’Europe est à reconstruire, mais il faudra viser plus haut et rendre leur fierté aux citoyens, cela sera l’objet de ma prochaine chronique.
Comment osez-vous prétendre que les fonctionnaires ne paient pas d’impôts ? J’ai le regret de vous dire qu’ils paient tous des impôts à l’état belge, au travers de l’impôt communautaire ! J’entends cette réflexion depuis une 30taine d’année et je trouve regrettable que ceux qui divulguent cette fausse information continuent à discréditer l’effort accompli et…. ceux et celles qui participent depuis le début à cette aventure. Tout n’est certes pas parfait…. Le choix des Britanniques pour le Brexit est sans doute un élément déclencheur pour envisager un nouveau visage de notre Europe en repensant son mode de fonctionnement à divers niveaux. Bonne journée