C’est dans l’adversité que se forgent les grands destins. L’Europe va devoir montrer ce dont elle est capable et se hisser au-dessus des querelles nationales qui l’habitent trop souvent. J’ai annoncé plusieurs fois à mes lecteurs que l’année 2016 serait décisive pour l’avenir de l’Europe (chronique 610 : « Le suicide de l’Europe »). Nous y sommes, et elle joue désormais son destin. Le départ du Royaume-Uni va enlever à l’Union Européenne un frein important à son développement et cela peut-être une extraordinaire opportunité pour s’affirmer enfin, en tant que puissance sur l’échiquier mondial.
Bien entendu rien n’est gagné, et les défis sont immenses, mais les perspectives peuvent être enthousiasmantes. Car ce dont l’Europe a manqué le plus, c’est d’enthousiasme de la part des peuples et des politiques. L’enthousiasme ne se décrète pas, il se crée. Il nait spontanément lorsque les perspectives sont attrayantes, lorsque les objectifs sont clairs et lorsque la vision est grandiose en redonnant aux peuples la fierté d’être européens. Pour cela il faut un plan qui précise le but que poursuit la Communauté Européenne.

Les européens se rassemblent autour de valeurs communes, héritées de 30 siècles d’histoire : une culture gréco-latine, une culture chrétienne, un héritage médiéval, la construction des cathédrales, la découverte du nouveau monde où les européens ont porté leur culture et leurs croyances, des guerres fratricides qui ont rapproché les peuples dans le malheur, le siècle des Lumières, les grandes découvertes scientifiques, la démocratie, l’ouverture au monde et l’accueil des réfugiés et, enfin, le désir de vivre ensemble au sein d’une communauté pacifique. Cette ouverture n’a de sens que si la communauté sait se définir elle-même et connaît le contour de ses valeurs, toujours prête à les honorer et à les défendre. Elle doit aussi connaître ses limites géographiques et les défendre également. Les discussions qui viennent de commencer, pour accepter la Turquie dans l’Union, constituent un véritable sabotage de l’Europe. Les peuples doivent se dresser devant pareille provocation et s’y opposer, fusse par la force !
Je renouvelle l’affirmation que j’ai faite ici plusieurs fois, qu’il ne peut y avoir d’Union Européenne stable sans une plus grande intégration, dont le terme ultime est un état fédéral fort et respecté. Il faut en finir avec ce charabia qui nous parle d’une « communauté d’Etats-Nations » qui ne signifie rien et qui masque le refus de faire l’Europe. Sur ce chemin vers le fédéralisme, la première étape doit se situer au niveau économique et financier, le nerf de la guerre. Les pays européens doivent partager la même monnaie et ceux qui n’en veulent pas n’ont rien à faire dans l’Union. Cette monnaie unique doit déboucher sur une union budgétaire, sur une harmonisation fiscale, et sur une fiscalité européenne qui doit donner à l’Europe les moyens de sa politique. Subsisterait bien sûr une fiscalité nationale pour ce qui restera de son ressort. L’ensemble étant supervisé par un ministre européen des finances. Ces dispositions permettraient une révision complète de la dette qui serait ventilée en dette fédérale et en dettes nationales. Actuellement, par exemple, les banques italiennes sont les seules à acheter de la dette italienne, c’est-à-dire qu’elles courent le risque maximum !
Dans la foulée, il convient de préparer des structures politiques cohérentes prêtes à accueillir des transferts de compétence. Il faut donc à nouveau envisager une constitution qui fixe les règles du vivre ensemble et qui revigore la démocratie. Un mix de la démocratie américaine et de la démocratie helvétique devrait tenir la route. Si certains pays sont gênés par ce projet, ils peuvent quitter l’union. Un noyau fondateur déterminé est préférable à un vaste ensemble mou et sans enthousiasme. A cet effet, il sera nécessaire de faire un grand usage du référendum pour officialiser chaque étape. Chaque membre devra s’engager fermement.
Parmi les éléments de pouvoir qui devront être transférés au niveau fédéral, il faut commencer, en premier lieu, par un gouvernement européen restreint, élu au suffrage universel par l’ensemble des citoyens européens. On peut envisager aussi un gouvernement formé par les représentants des divers partis politiques en fonction du poids respectif de chaque parti. Dans cette hypothèse, les partis sont obligés de gouverner ensemble ce qui a l’avantage d’éviter les propositions démagogiques.
L’étape suivante consiste à mettre sur pied une armée européenne assez forte pour ne pas avoir besoin de s’en servir, c’est-à-dire susceptible d’être crainte et donc respectée. Il faut partir du principe que les humains, in fine, ne respectent que la force. Cette armée fédérale serait sous le contrôle du gouvernement. Chaque nation conserverait sa police propre pour la sécurité intérieure. Parallèlement serait institué un ministère des affaires étrangères, seul habilité à négocier avec des Etats situés hors de l’Union Européenne et qui enverrait ses propres ambassadeurs au quatre coins du monde.
Une fois ces bases établies, il sera facile d’étendre les pouvoirs fédéraux, si besoin s’en fait sentir, mais pas au-delà du nécessaire. Il serait bon que chaque nation conserve la main mise sur l’éducation et sur la santé bien qu’il existe déjà des entités européennes supranationales en ce qui concerne l’homologation des médicaments et des substances phytosanitaires.
Mais avant toute chose, il convient de définir ensemble une politique migratoire et se donner les moyens de l’appliquer. Il convient aussi de mettre en œuvre d’urgence un plan d’accueil des réfugiés qui doivent être acceptés et secourus, mais dont le destin sera de retourner dans leurs pays d’origine lorsque les conflits seront apaisés. C’est sur ces éléments concrets que l’avenir de l’Europe va se jouer. Si les gouvernements n’ont pas le courage de régler, de façon urgente, ce vaste problème douloureux et complexe, il est certain que d’autres pays demanderont à sortir d’une Union qui n’est pas capable de protéger ses citoyens. De même, il faudra réviser la notion de libre circulation, pierre angulaire de la construction européenne, car cela revient à attirer des centaines de milliers de citoyens vers les pays les plus prospères de l’Union au risque de les déséquilibrer. Or ces pays sont devenus prospères par leur travail et grâce aux réformes qu’ils ont eu le courage d’entreprendre, ils ne doivent pas s’en trouver lourdement pénalisés !…
Après le vote sur le Brexit, l’Europe devra être ferme avec la Grande-Bretagne qui va tergiverser et faire trainer les choses en maniant le chantage, comme elle sait si bien le faire, et en essayant de trouver une position entre-deux, à moitié dans l’Union et à moitié hors de l’Union. L’avenir de l’Europe va se jouer lors de cette première phase, si elle se montre faible ou indécise, elle est perdue définitivement et sombrera dans les querelles et les mêmes guerres millénaires… Ainsi va le destin des peuples, ce n’est que grandeur et décadence, au gré des choix que font leurs dirigeants. Encore une fois, si les peuples avaient plus de pouvoirs, peut-être y aurait-il moins de décadence ?