Depuis plusieurs années, nos chroniques s’alarment du rapide déclin français dont chacun peut voir les symptômes à chaque étage de la société. Elle est aujourd’hui plus fracturée que jamais face à ce que l’on peut appeler le choc des civilisations. Il est important d’analyser les mécanismes et les causes de cette fracturation, caractéristique d’une société malade.
La France est la première communauté musulmane d’Europe. Elle a accepté sur son sol, sans réellement les accueillir, une population maghrébine de 5 ou 6 millions de personnes qui, pour la plupart, vivent en marge de la population autochtone sans être intégrées au point que, même parmi celles qui sont nées en France, beaucoup ne se sentent pas français et n’adhèrent ni aux règles ni aux valeurs du pays. Globalement on peut dire que les institutions françaises ne leur inspirent ni admiration ni respect…
L’école aurait dû être le lieu privilégié de l’intégration comme elle l’a été pour les populations immigrées en provenance d’Europe. Mais l’école a sous estimé le fossé culturel entre une Europe chrétienne et un Maghreb musulman. Elle a cherché à niveler tout le monde sous le vocable de laïcité, notion éminemment théorique qui ne tient pas compte de la réalité qui habite l’âme des peuples. La laïcité fut l’arme de la république pour tenter d’extirper la religion de l’esprit de ses ressortissants. Cette tentative stupide a naturellement totalement échoué et c’est sous la bannière de l’Islam que dorénavant ils se reconnaissent et se rassemblent.
L’école fut aussi le lieu où les jeunes se sont familiarisés avec le laxisme généralisé de la société française, l’autorité respectée étant la grande absente. Cette école n’a pas réussi à inculquer la moindre valeur, ni même la moindre formation professionnelle. Elle ne fut qu’une immense fabrique à chômeurs, sans compétences particulières. Les jeunes sortent du Lycée sans repères, sans valeurs à défendre et ils ne voient autour d’eux que des perspectives floues. Ils côtoient une société sans valeurs fortes, qui méprise désormais les valeurs familiales traditionnelles et qui considère le travail comme une contrainte obligée et non pas comme un moyen d’épanouissement personnel. Ils ne savent même plus s’il est légitime d’être un homme ou d’être une femme, tout est brouillé, plus personne ne sait qui il est et où il va.

Ces jeunes ont devant eux le spectacle d’une démocratie à la dérive qui permet l’élection du plus démagogue, de celui qui sait le mieux mentir. Une démocratie du bla-bla-bla mais qui ne pose pas d’acte. Ils voient autour d’eux le laxisme et l’inorganisation d’un appareil judiciaire qui laisse les petits et grands délinquants de quartiers continuer à jouer aux caïds et à terroriser la population. S’il y a un jugement, la condamnation n’est que symbolique et le délinquant peut revenir à ses affaires, auréolé d’un nouveau prestige. Mais, dans le même temps, les filles sont l’objet de brimades administratives sous le prétexte odieux qu’elles portent un voile sur la tête, signe religieux intolérable pour les intégristes de la laïcité ! Les musulmans sont soudés autour de ce symbole, pourquoi ne pas leur laisser?
Les jeunes observent une société française sans enthousiasme, sans ressort, paralysée par la peur du futur, incapable d’entreprendre la moindre réforme, crispée sur un passé révolu, tétanisée par les changements en cours. Ils voient un gouvernement incapable de prendre des décisions courageuses pour stopper une montée angoissante du chômage. A cela il faut ajouter les effets de la mondialisation et des nouvelles technologies qui aggravent considérablement les inégalités. L’ensemble des sociétés européennes se fracture, entre les élites super-diplômées qui aspirent à diriger et les classes moyennes, laminées par la concurrence asiatique et par l’émergence des robots. L’angoisse étreint tous ceux qui savent qu’un robot fera demain leur métier !
Le chômage touche prioritairement les populations mal éduquées et sans formation professionnelle, il touche majoritairement les jeunes maghrébins laissés à eux-mêmes, sans projet et sans perspective. C’est dans ce vivier de laissez pour compte que s’épanouit l’idéologie djihadiste. Elle se nourrit du désenchantement d’une jeunesse à laquelle la France n’a rien à offrir, pas même un symbole autour duquel se réunir. La République laïque et ses représentants deviennent le repoussoir, le symbole du déclin d’un monde absurde. Il en résulte que la France n’est plus un modèle, c’est une proie.
Dans ces conditions, le danger n’est plus seulement le terrorisme, il est bien plus grave, il se situe dans le risque de guerre civile, suite au fossé qui se creuse entre deux populations aux visées antagonistes. C’est l’ensemble de la population musulmane qui risque d’être stigmatisée et assimilée à l’ennemi, dans une suspicion généralisée. Mais proclamer la guerre, comme le fait le gouvernement français, c’est justifier l’adversaire dans son combat. Les temps qui viennent vont être difficiles. Quelles mesures prendre pour éviter la cassure ? Il faudrait une parole forte, une autorité respectée, qui puissent s’élever et être entendue, au-dessus des discours partisans. Hélas, dans un pays qui a balayé toutes les valeurs traditionnelles, il n’y a plus d’autorité respectable.
L’erreur fondamentale des gouvernements français, c’est d’avoir voulu l’assimilation des populations immigrées, c’est-à-dire leur dissolution dans un ensemble indifférencié, sans respect pour leur culture. Projet à la fois utopique et morbide. Il fallait viser l’intégration qui permet à chaque communauté de conserver sa culture et de vivre en harmonie avec les autres. Au lieu de cela, chacun se sent étranger dans son pays !
D’où peut venir l’élan ? Quel choc salutaire peut encore éviter la brisure ? Quelles mesures faudrait-il mettre en œuvre pour redresser la barre et sauver le bateau France du naufrage ? Les actions à entreprendre sont sans doute multiples, à tous les niveaux de la société, en haut comme en bas. Mais c‘est le haut qui doit commencer à se remettre en question. J’ai souvent argumenté que la démocratie doit avant tout être restaurée pour retrouver la confiance des citoyens. Selon cette approche, seule la démocratie directe peut redonner la parole aux citoyens qui leur a été confisquée par une oligarchie irresponsable et démagogue, gangrenée par le seul goût du pouvoir. Il n’est qu’à entendre les discours vengeurs et déplacés des partis politiques d’opposition pour avoir une idée de la déliquescence de la démocratie française. Mais c’est au peuple de réagir pour imposer ce changement. Le reste suivra lorsque les citoyens se sentiront responsables de leur destin…
En 1953, Nicolas Bouvier était à Tabriz, au milieu de la misère, et il écrivit dans « L’usage du monde » cette phrase que je médite :
« Le fanatisme, voyez-vous, c’est la dernière révolte du pauvre, la seule qu’on n’ose lui refuser ».