Chacun d’entre nous (ou presque) est devenu une entreprise de communication. Il convient désormais de soigner son image dans une surenchère permanente, au point que les sociologues étudient ce qu’ils dénomment « le Grand Narcissisme Contemporain ».
J’aime bien mettre le doigt là où cela fait mal et rire des travers et des excès de nos sociétés, vous me pardonnerez d’être parfois un peu piquant. Se moquer des autres c’est aussi se moquer de soi car personne n’est imperméable aux modes et aux tocades qui traversent nos sociétés. Dans ma dernière chronique j’ai ainsi épinglé les artistes excentriques et auto-satisfaits et je me suis rendu compte que, finalement, nous sommes tous atteints d’un narcissisme échevelé.
Nous sommes tous des acteurs
Il faut dire que les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux nous permettent de nous en donner à cœur joie. Depuis quelques temps déjà, nous peaufinons notre image sur Facebook et entretenons un réseau « d’amis » le plus étendu possible et prêts à suivre nos diverses activités, nos humeurs, nos goûts, nos opinions et même nos blagues.
Le grand bond en avant fut réalisé grâce aux téléphones portables munis d’un appareil photo et d’une liaison permanente avec l’ensemble de la planète. Chacun allait pouvoir profiter de nos moindres faits et gestes, de notre menu au restaurant, du soleil de nos vacances, de nos activités du week-end, de nos sorties entre amis et des jeux avec nos enfants.
La vie de chacun est ainsi devenue un sitcom permanent dont nous sommes les acteurs, comme au cinéma. Notre vie est mise en scène et nous sommes enfin les auteurs de notre vie, du moins nous le croyons, car en fait nous devenons prisonniers de notre image, il faut toujours être au top, être un battant, se distinguer, être original et épater la galerie.
Le miroir qui nous engloutit

Le coup de génie est ensuite venu grâce à un simple petit mot dont tout le monde a compris instantanément le sens et ce qu’il pouvait en tirer, le mot « selfie » ! Ce fut un raz de marée qui a soudain inondé la toile, sous forme de jolies petites frimousses, de sourires de circonstance, les plus éclatants possibles, respirant la jeunesse et le bonheur de vivre. Les plus exhibitionnistes n’hésitent pas à nous montrer des fesses rebondies.
Seul, en couple ou en famille, nous tenons à ce que nos amis nous voient face à la pyramide du Louvre ou à celle de Gizeh, qu’ils admirent notre bronzage sur la plage, qu’ils sachent que nous sommes à New-York sur la cinquième avenue ou que nous sommes en pleine action sur les pistes de ski. Bref, nous voulons que chacun ait la certitude que nous sommes bien vivants, en pleine forme et heureux. Quoi de plus merveilleux ?
Nous attendons avec impatience les retours sous forme de « like » que nous comptabilisons avec jalousie, sans omettre de remarquer celui ou celle qui n’a rien dit. Car les amis sont nos spectateurs, et nous attendons les applaudissements, je devrais dire notre « réseau d’amis », car désormais les amis sont groupés en réseau qui s’auto-congratulent en circuit fermé.
Afin que vos « amis » ne manquent rien de vos activités, les nouvelles voitures seront équipées d’une caméra dénommée « connected cam » qui enregistre ce que le conducteur voit devant lui afin de documenter sa propre vie sur les réseaux sociaux. Ainsi, la nouvelle Citroën C3 sera la première « autoselfie », narcissique, permettant de partager son quotidien avec photos et vidéos…
La vie devient un spectacle
Puisque notre vie s’est transformée en spectacle permanent, il faut des évènements, des fêtes, du happening qui maintiennent l’intérêt, car la concurrence est rude sur les réseaux sociaux et il devient de plus en plus difficile de se démarquer. Les jeunes couples sont les plus fervents adeptes de cette frénésie éditoriale et, tout naturellement, le mariage constitue un élément clé pour se mettre en valeur. Désormais, les mariages sont grandioses ou ne sont pas. Il vaut mieux renoncer au mariage plutôt que d’envisager la simplicité.
D’une certaine façon le mariage est moins un engagement que l’occasion de montrer combien nous sommes beaux et combien notre couple est merveilleux. Même la demande en mariage est mise en scène, elle se fait souvent en public et est filmée. Elle doit mimer la spontanéité romantique et apparaître comme une spectaculaire surprise.
Selon la sociologue Françoise Maillochon « la fête de mariage fonctionne un peu comme une marque pour une entreprise. C’est une action de com. Le mariage, s’il n’est plus sous la coupe de l’autorité religieuse ou familiale, il subit la pression du jugement social. Il doit être exceptionnel et unique ».

Les mariages sont donc devenus des contes de fées, avec l’imagerie du mariage romantique entre la princesse et le prince charmant. Ce monde enchanté se perpétue avec les enfants qui font ensuite partie du spectacle. Il faut qu’ils soient beaux, précoces et doués. S’instaure alors le rituel des anniversaires qui rivalisent aussi d’originalité et deviennent grandioses. Dès le plus jeune âge les enfants sont fêtés comme des princes avec musique et spectacle, car il faut en mettre plein la vue. Chaque week-end les enfants vont ainsi d’anniversaire en anniversaire dans une fête permanente, planifiée, organisée, minutée, par un birthday planner !
Notre famille est une image de marque
Nous voudrions transformer notre vie en chef d’œuvre que chacun peut admirer et envier. C’est peut-être bien, mais c’est terriblement fatigant d’être un superman et une superwoman 365 jours par an. Les jeunes couples mettent la barre très haut, toujours beaux, en forme, souriants et performants, dans la vie privée, dans la vie sociale et au travail.
C’est l’image qui prime car leur vie est exposée au grand jour. Le modèle ultime pourrait être la superbe comédie musicale « La La Land » qui vient de recevoir 7 nominations aux Oscars à Hollywood, un hymne à l’amour, une ode à la vie, un moment de grâce, du grand spectacle qui va inspirer bien des couples, la nouvelle mélodie du bonheur.

Finalement, ils sont en quelque sorte piégés par leur image et aliénés par le souci de paraître. Pas étonnant qu’il y ait tant de burn-out car leur vie n’est faite que de contraintes et, un beau jour, çà craque ! Souvenons-nous de l’histoire de Narcisse qui se trouvait beau et admirait son reflet dans l’eau d’une rivière. Il se pencha tant, qu’il tomba à l’eau et se noya. La vraie vie n’est peut-être pas un spectacle…