Il y a quelques années, de nombreux scientifiques affirmaient que nos gènes étaient des dictateurs, dépositaires d’un plan secret qui décidaient de qui nous sommes. Selon eux, tout pouvait s’expliquer par l’hérédité, notre physique, notre physiologie, notre psychologie et même nombre de nos comportements. Les choses sont en fait beaucoup plus complexes et subtiles que ce que pensaient les apôtres du déterminisme biologique.
Pendant longtemps, on opposait ce qui relevait de la nature et ce qui relevait de la culture. On pensait que chacun de ces facteurs avait leur zone d’influence bien séparée : la nature, c’est-à-dire nos gènes, déterminaient la taille et la couleur des yeux, nos flux hormonaux et notre humeur, nos sentiments et nos conflits psychologiques, nos maladies et notre longévité. La culture, quant à elle, influait sur nos comportements, nos croyances, nos valeurs et nos opinions qui constituaient notre bien étroit espace de liberté.
La culture influence la nature
Il est tout d’abord apparu que nos gènes sont « modulables », c’est-à-dire influençables. Ils peuvent être activés, ou au contraire inhibés, suivant nos comportements. Notre façon de vivre influence « l’expression des gènes ». Notre hygiène de vie et notre alimentation, dont on sait aujourd’hui combien ils conditionnent notre santé en activant ou désactivant certains gènes. Mais aussi nos émotions, positives ou négatives, non seulement influencent les gènes, mais encore peuvent les modifier durablement. C’est ainsi qu’une équipe de chercheurs genevois a montré que la maltraitance dans l’enfance pouvait modifier certains gènes, transmissible à la descendance !
Dans le même ordre d’idée, nous avons récemment relaté comment la domestication du renard de Sibérie avait entrainé une modification durable de leur patrimoine génétique. (Voir chronique 670). Ceci apporte la preuve du lien étroit entre la génétique et le comportement ou, dit autrement, entre la nature et la culture. En effet, s’il est vrai que des modifications génétiques peuvent induire des maladies et des comportements anormaux, à l’inverse, certains comportements induisent des modifications génétiques !…
Les gènes ne dictent pas notre destin
Les généticiens ont souvent cru que la connaissance approfondie du génome de chacun allait permettre de prévoir les maladies futures. Cela est vrai pour un certain nombre de maladies qui sont accompagnées par d’importantes modifications chromosomiques. C’est le cas du mongolisme ou de la mucoviscidose, maladies dans lesquelles un chromosome ou une portion de l’un d’entre eux est impliqué.
Mais dans de nombreux troubles du métabolisme ou du psychisme il devient difficile d’accuser un gène en particulier. Se sont souvent plusieurs gènes qui sont concernés et l’on s’aperçoit qu’ils sont « activés » par nos comportements. Dans ces conditions certains gènes constituent des facteurs de fragilité, ils sont susceptibles de déclencher une maladie, mais seulement dans des conditions défavorables. Il ne s’agit pas d’une relation inéluctable de cause à effet, mais d’une possibilité sous la dépendance de l’environnement : alimentation, pollution chimique, stress, traumatismes psychiques… conditions dans lesquelles nous sommes encore maîtres de notre destin.
Les maladies psychiques
Un certain nombre de troubles psychologiques ont été l’objet de tous les fantasmes des généticiens qui croyaient avoir trouvé le sésame pour expliquer genèse de la schizophrénie, de l’autisme, de l’hyperactivité de l’enfant et des psychoses. Il y a quelques années, la presse s’est enthousiasmée de façon excessive suite à la publication d’une étude semblant démontrer l’implication génétique dans la schizophrénie. Cette étude s’appuyait sur la prévalence de la maladie chez les jumeaux vrais.
Des travaux ultérieurs mirent en évidence l’implication de 108 gènes différents. Mais leurs rôles étaient assez modestes. C’est ainsi que l’un d’entre eux (gène dénommé C4) s’était montré déterminant pour augmenter le risque de déclencher la maladie mais de façon limitée : 27% des schizophrènes seraient porteurs de ce gène tandis qu’il est présent dans seulement 22% des biens portants ! Inutile de dire que ces résultats laissèrent sceptiques un grand nombre de chercheurs, d’autant qu’aucune issue thérapeutique n’était envisageable !…
Mise en cause de « l’héritabilité »
Des psychologues, des sociologues et des travailleurs sociaux ont jugé utile de réorienter les recherches sur les causes de certains troubles mentaux, dont la schizophrénie. Ils ont fait remarquer que le terme « héritabilité » d’une maladie prêtait à confusion et ne signifiait pas nécessairement une origine génétique. C’est ainsi que des jumeaux peuvent avoir été soumis à un même environnement qui joue un rôle déclencheur d’une maladie.
Une étude allemande de 2014 a ainsi montré le rôle prépondérant de l’environnement sur le déclenchement de la schizophrénie. Une maladie infectieuse durant la grossesse, une lésion cérébrale à la naissance, une enfance perturbée, la maltraitance, l’abus sexuel, l’émigration, le stress émotionnel, la vie urbaine, la pauvreté, l’état de guerre, l’utilisation de cannabis et la pollution chimique sont autant de facteurs qui augmentent la prévalence de la maladie de façon beaucoup plus nette que quelconque facteur génétique.
Ces mêmes constatations ont été faites avec d’autres symptômes que l’on peut qualifier de «désordres d’intégration sociale ». C’est ainsi que des patients souffrant de troubles psychotiques ont trois fois plus de risque d’avoir été victimes d’adversité que les autres.
La mélodie de la vie
Une nouvelle vision de la génétique permet de comprendre comment notre environnement marque son empreinte sur nos gènes. Si notre patrimoine génétique peut déterminer une partie de nos comportements, à l’inverse, nos comportements, nos actions, nos émotions et nos pensées peuvent induire des modifications permanentes de nos gènes. Ceux-ci sont comme les touches d’un piano, activées ou silencieuses suivant la partition. Telle est la mélodie de la vie.
Cette intrication complexe met une nouvelle fois en évidence les liens étroits entre le psychisme et le soma. Si l’adversité de la vie augmente nos risques d’être malade, de même, une vie heureuse et équilibrée augmente nos chances d’être en bonne santé physique et psychique !… Néanmoins, il reste à savoir si notre « caractère » dépend de nos gènes ou de l’environnement, ou bien encore d’un autre paramètre ?
Bonjour,
Je ne suis pas un spécialiste de la question, loin de là, mais suite à la lecture de quelques ouvrages s’y rattachant plus ou moins, votre article et surtout son issue m’invite à apporter une légère observation au sujet de certains de nos caractères et de nos comportements.
Sur l’hérédité
L’hérédité est physique et morale, c’est la substance même de nos ancêtres qui nous constitue. L’hérédité puise dans des milliers d’ancêtres nos éléments constitutifs, et les maladies de l’âme se perpétuent comme les maladies du corps. Il y a une hérédité pour les maladies du corps ; pourquoi n’y en aurait-il pas une pour les maladies de l’âme, pour les tares morales ?
Sur l’atavisme
Toutes les actions, bonnes ou mauvaises, que les hommes font leur survit. Elles se gravent dans les anfractuosités de leur cervelle pour être transmis, comme un germe, bon ou mauvais, à toute leur descendance.
Ainsi, tous, en repassant par cet âge phylogénique, ils sont sollicités à refaire ce que leurs ancêtres, dans chaque âge, ont fait avant eux.
C’est fatal.
Le procédé une fois ancré dans la mémoire de la Nature ne demande plus ni tâtonnements, ni retour en arrière.
L’atavisme, cette suggestion qui nous vient de l’ascendance, et semble être hors de notre conscience actuelle, nous suggère des actions que notre raisonnement n’a pas prévues et pesées, elle fait de nous, au moral, des automates, agissant en dehors du domaine de notre vie consciente actuelle.
Les convictions acquises par nos aïeux dans le cours de leur évolution, qu’elles soient vraies ou fausses, nous dominent à notre insu, sollicitent notre adhésion, créent en nous une suggestion que notre moi conscient discute souvent et même rejette comme un facteur d’erreur.
La substance nerveuse possède la propriété de garder presque indéfiniment les traces de tout ce qui l’a impressionnée une fois.
C’est ce qui explique la mémoire. La moindre de nos actions s’enregistre dans notre substance médullaire et, pour peu qu’elle se répète, s’y grave. C’est pour cela que ce qui est difficile au début devient facile, puis spontané, puis involontaire. Cette loi contient toute l’histoire de la mentalité humaine, elle explique la persistance des habitudes ancestrales.
Dans votre introduction vous évoquez que “certains scientifiques affirmaient que nos gènes étaient des dictateurs, dépositaires d’un plan secret qui décidaient de qui nous sommes”.
Je voudrais simplement finir en disant qu’il y avait surement une part de vérité là-dedans, et rappelle que Jaurès qui avait éventuellement entrevu cela, trouvait que le problème du mal domine toute la politique.
Cordialement.
P.