L’homme (ou la femme) providentiel, c’est celui (ou celle) dont on attend tout. Celui qui va combler nos manques, qui va conjurer nos peurs et qui va répondre à nos désirs. Cela peut être un homme politique, mais cela peut être aussi un père ou une mère, un conjoint ou une conjointe.
Comme dans tout espoir démesuré et excessif, le risque est la désillusion. Mais il semble que c’est un trait de caractère très humain que de souhaiter remettre son destin entre les mains d’un autre. Nous aimons être des enfants et croire aux fées, aux magiciens, au Père Noël, aux parents aimants et attentionnés, au Prince charmant, à Superman. Nous cherchons protection et réconfort.
Les peuples sont ainsi, surtout en période mouvementée, ils ont besoin d’espoir, ils ont besoin de croire en quelque chose ou en quelqu’un qui trace la route et les rassure. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron est soudain apparu dans une France aux abois, totalement démotivée et dépressive après un quinquennat calamiteux, dirigé par le plus médiocre des Présidents que la France n’ait jamais connu.
L’attente est immense
Il est jeune, il a le regard clair et le parler franc, il n’appartient à aucun des clans qui, depuis 40 ans, ont mené la France à la ruine et il semble savoir où il va, sans le préciser en détail. Cela a suffi pour focaliser toutes les attentes. Chacun pense que cet homme providentiel va pouvoir répondre à toutes nos frustrations accumulées, après tant d’années de mensonges. Les français sont si fatigués qu’ils ont besoin de cet ultime espoir pour continuer à vivre et sont prêts à déposer leurs soucis à ses pieds. Ils commencent à lui prêter des vertus cardinales, des talents hors-normes, des connaissances innées, une sorte de préscience qui lui permettrait de changer leur destin et apporter une réponse à leurs angoisses.
L’attente est immense et pèse lourd sur les épaules de cet homme qui ne saurait faire de miracles et satisfaire des demandes souvent contradictoires. Il lui faudra faire comprendre aux citoyens qu’ils ne seront sauvés que par eux mêmes et que lui est seulement le guide. Mais c’est à chacun de faire la route. Il lui faudra donner de l’espoir et tempérer les attentes. Le vrai talent d’un chef se mesure à sa capacité de mobiliser les énergies, de fixer le cap, de voir loin et d’avoir une vision qui permette de rassembler le plus grand nombre derrière lui.
Des situations exceptionnelles
La dernière grande crise existentielle que la France a connue date de 1958, lorsque la Quatrième République sombrait sous l’incurie des partis politiques, comme aujourd’hui. L’homme providentiel n’était plus très jeune, mais il avait pour lui l’Histoire, il fut l’ultime recours qui évita le coup d’Etat Militaire. L’homme providentiel ne peut survenir que dans des situations exceptionnelles, lorsque l’on est au bord du chaos. De Gaulle eut le grand mérite de savoir user du pouvoir sans en abuser. Ses successeurs eurent hâte de retourner au funeste régime des partis politiques…
On peut citer Napoléon dont le consulat ne fut possible que parce que la Révolution s’était épuisée elle-même, aveuglée par la haine et sans vision pour galvaniser les citoyens. L’homme porté au pouvoir par une si grande attente peut se croire invulnérable et laisser croitre en lui un sentiment de toute puissance. Chacun sait comment cette trop grande assurance perdit l’Empereur.
D’autres encore eurent des destins plus funestes, à commencer par un certain Adolphe Hitler, porté au pouvoir par un pays ruiné, frustré, humilié, prêt à se jeter dans les bras du premier sauveur venu et qui lui redonna la fierté en lui promettant un destin grandiose.
En 1939, la France était à genou, blessée, meurtrie, humiliée, vaincue. Elle alla chercher un héros de la Grande Guerre, un vieux Maréchal à la retraite qui aspirait à la tranquillité. Il était l’Homme providentiel que les foules en liesses acclamèrent en lui confiant leur destin. C’était cela ou la botte d’Hitler dont il fut l’obligé par obligation. Il fut plus tard honni et banni par ceux-là mêmes qui avaient conduit la France à la ruine, des socialistes déjà !. L’attente avait été trop forte car personne n’avait mesuré que la tâche qu’il avait accepté d’assumer était impossible à porter ! S’il eut refusé d’assumer ces responsabilités, il serait devenu un lâche: il fut un « collaborateur ». Le choix était de se démettre ou de se soumettre.
Ne boudez pas votre plaisir
Tout cela pour dire combien les épaules de l’homme providentiel doivent être solides. Ce n’est pas un destin à la portée de tout le monde. On peut être écrasé par la charge dont le poids est proportionnel à la somme des attentes !
Souhaitons qu’Emmanuel Macron réussisse dans sa mission et ne boudons pas le plaisir qu’il donne grâce à l’espoir qu’il fait naître. Soyons plein d’espoir et d’optimisme, mais ajoutons un zeste de réalisme. Restons adulte et prenons notre part de responsabilité. Nous serons coresponsable de sa réussite ou de son échec. Il serait trop facile de tout attendre de lui, comme il serait injuste de lui faire porter la responsabilité des erreurs passées dont il hérite !
L’état amoureux
La France est amoureuse de son nouveau leader, c’est magnifique, mais il faut simplement savoir que cet amour inconditionnel et aveugle est semblable à la phase amoureuse que vit un couple à ses débuts. C’est une attraction puissante qui procure une sensation d’euphorie et une excitation caractéristique de « l’état amoureux » et qui nous rend aveugle et sourd à toute disharmonie et à toute dissonance.
Cette phase transitoire, très valorisante, doit se transformer en amour plus lucide pour perdurer. Il faut alors accepter que le Prince charmant n’existe pas et qu’il n’y a pas d’homme providentiel. C’est cela devenir adulte.
Si cette transition ne s’opère pas, survient la désillusion, le désenchantement, l’amertume, puis le rejet. Sans y prendre garde, l’amour peut ainsi se transformer en haine, lorsque l’attente enfantine a été trop forte. Mais qu’importe, comme l’écrivit André Breton : « Indépendamment de ce qui arrive… c’est l’attente qui est magnifique ».