Les intellectuels ont pour caractéristique de faire passer leurs idées avant les faits. Trop souvent ils s’enivrent de mots, de phrases toutes faites, qu’ils répètent en boucle et ils finissent par croire à ce qu’ils disent, contre la réalité.
Tout au long du 20ème siècle, les intellectuels se sont systématiquement fourvoyés dans leurs prises de position politiques et idéologiques. Certains firent leurs mea culpa, mais beaucoup d’autres persistèrent dans leurs jugements et leurs engagements, jusqu’au dernier souffle, malgré l’évidence de leurs erreurs.
Les bolcheviques
La grande affaire du siècle fut dominée par le communisme. Le feu couvait depuis le début du siècle, mais tout changea de façon drastique à partir de 1917 lorsque Lénine, qui vivait en Suisse comme un petit bourgeois avec femme et maitresse, rentra à Moscou et prit le pouvoir avec les bolcheviques.
Il prônait la révolution mondiale et tous les partis communistes européens appliquaient les ordres reçus de Moscou. C’est à cette époque qu’un nombre non négligeable d’intellectuels européens épousèrent les thèses communistes et prirent le chemin de Moscou, parfois pour de longues périodes, et ils étaient appelés à devenir les cadres du parti.
Lénine créa aussitôt la Tchéka, sa police politique, chargée de lutter contre la contre-révolution. En 1918 la Tchéka avait tué autant que le régime Tsariste en un siècle. En 1924 il existait 700 goulags répartis sur le territoire de l’Union-Soviétique.
Malgré les massacres, malgré les exactions, malgré l’absence de liberté et malgré la dictature, les ardeurs de ses adeptes européens ne faiblirent pas, bien au contraire. La mode était au communisme et les lendemains promettaient d’être enchanteurs, malgré les nombreuses exactions qui commençaient à s’exercer contre « les ennemis du peuple ». Pas un intellectuel ne broncha et ceux qui s’y risquèrent reçurent l’étiquette infamante de « réactionnaires ». Ils voyaient dans la révolution bolchevique une réplique de la révolution française !…

Le marxisme léninisme
Lénine ne fut qu’un hors-d’œuvre. Malade, il fut écarté du pouvoir en 1923 et Staline entra en scène avec ce qu’il dénomma le marxisme-léninisme, c’est-à-dire une dictature totale, tout azimut, et la plus féroce qui soit. Il y eut les grands procès des compagnons de Lénine, l’élimination des vétérans du Kominterm, les purges qui se succédaient et les agents étrangers rappelés à Moscou, arrêtés et exécutés sans autre forme de procès, tel le français Jacques Rossi ou le Suisse Jules Humbert-Droz, dans la foulée de l’exécution de Nikolaï Boukharine, « l’enfant chéri du parti », tous jugés trop tolérants. Pour Staline, tous les adversaires se valent : les sociaux démocrates sont à jeter dans la même poubelle que les nazis !
C’est à cette époque, pourtant, que le communisme exerça le plus d’attraction pour les intellectuels français. Ils accoururent à Moscou en Août 1934 pour assister au congrès des écrivains soviétiques, invités de Staline qui avait besoin de ces « ouvriers de l’âme », comme il les dénommait, et il choyait ceux qui le servaient. Une cinquantaine de ces « mauvais ingénieurs de l’âme » avaient été envoyés devant le peloton d’exécution dans les camps.

Toutes ces nouvelles n’ont pas empêché l’intelligentsia française de venir honorer Staline : Louis Aragon, bien sûr, accompagné d’Elsa Triolet, André Malraux et Clara, Paul Nizan et bien d’autres. André Gide n’est pas là mais a envoyé un message de sympathie. N’a t-il pas écrit l’année précédente dans La Nouvelle Revue Française : « Je voudrais crier bien haut ma sympathie pour l’URSS, et que mon cri soit entendu, et ait de l’importance. Je voudrais vivre assez pour voir la réussite de cet énorme effort auquel je voudrais pouvoir travailler ».
Dès le début de la guerre, les principaux cadres du parti communisme français émigrèrent à Moscou, à commencer par le déserteur Maurice Thorez qui ne revint qu’en 1945 pour devenir ministre ! La république n’est pas rancunière. Les media le traitèrent comme un héros national et un million de personnes se rendirent à ses obsèques en 1964, ce qui illustre l’influence communiste sur la société française. Malgré le pacte germano-soviétique, ils restèrent fidèles à Staline : Arthur Koestler, Fritz Platten, Jacques Duclos et les autres …
La pensée 68
Mais c’est surtout autour de Saint Germain des Prés que se recrutaient les meilleurs thuriféraires du régime soviétique. En 1950, alors que les goulags avaient déjà exterminés 20 millions de personnes, Jean-Paul Sartre pouvait déclarer tranquillement : « La liberté de critique est totale en Union Soviétique et les anticommunistes sont des chiens ». Il faut dire que le couple mythique, phare de la pensée occidentale, le couple Sartre-Beauvoir nourrissait une véritable haine de « la démocratie bourgeoise », son pluralisme et ses élections libres, dénommées « pièges à cons » ! Comment le philosophe de la liberté a pu écrire, au sommet de son aveuglement : « Le marxisme est l’indépassable philosophie de notre temps » ?
Puis vinrent les penseurs de la génération 1968. Ils avaient déjà approuvés sans réserve la répression de l’insurrection hongroise de 1956 et ils firent de même lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie pour écraser le « Printemps de Prague » en 1968 .
Ils étaient tous restés imprégnés de la pensée marxiste dont ils ne parvinrent pas à se défaire, aveuglés par leur idéologie : Louis Althusser, professeur à Normal-sup, Le sociologue Pierre Bourdieu, le philosophe Roger Garaudy et leurs troupeaux, continuaient à nier la réalité soviétique. Ils furent les inspirateurs de l’antihumanisme de Mai 68. Flottait alors une immense banderole au-dessus de la faculté de droit de Nanterre sur laquelle on pouvait lire : « Les droits de l’homme sont la vaseline dont la bourgeoisie à besoin pour enculer le prolétariat ».
D’autres s’étaient déjà engagés dans une autre utopie, porteuse des mêmes mensonges, le mouvement maoïste, qui avait ses principaux adeptes à l’école Normale Supérieure, le temple de l’intelligentsia française, sous l’égide de Jacques Alain et Gérard Miller !
La dénégation
Quel mécanisme mental est à l’œuvre, lorsqu’un si grand nombre de gens intelligents, l’élite de l’intellectualisme, se fourvoie dans des idéologies de la terreur et du mensonge ? D’où vient cette dénégation face à la réalité et cet entêtement dans l’erreur qui semble l’apanage des milieux intellectuels ? Mais il n’y eut jamais de procès de Nuremberg pour les communistes qui aujourd’hui encore ont pignon sur rue.

D’une certaine façon, le monde des idées est un monde à part, un monde virtuel, une illusion, un mirage. Mais on peut prendre un mirage pour la réalité. La grande vulnérabilité de la pensée, c’est de croire qu’elle correspond à la réalité. Les intellectuels sont, par nature, à l’origine de toutes les utopies, des a priori et de toutes les idéologies qui refusent de voir la réalité telle qu’elle est. L’intellectuel préfère nier ce qu’il voit que de renier son idéologie. On peut dire qu’il faut s’en méfier car il manque de bon sens !
Les intellectuels sont des naïfs et le mythe de la révolution constitue le socle de la pensée utopiste. Ils pensent comme des hommes d’Eglise, le marxisme était devenu une religion séculaire, un prêt à penser facile. Raymond Aron, presque seul contre tous, décrivit le marxisme comme étant « l’opium des intellectuels », pour faire le pendant à la religion, « l’opium du peuple », selon Marx!…
Dans notre prochaine chronique nous passerons en revue quelques idéologies trompeuses du 21ème siècle. Aujourd’hui encore de nombreux intellectuels sont atteints du même mal : la dénégation.
Un point de vue auquel je n’adhère pas dans l’ensemble mais qui ne manque pas d’intérêt. Que pensez-vous des positions de Camus ? Faut-il le jeter lui aussi, même si il s’est détourné de Sartre et du communisme ?
En effet, Raymond Aron et Albert Camus furent parmi les rares intellectuels qui ont condamné les atrocités du communisme et ses aberrations idéologiques.