Depuis quand parlons-nous français ? Cette belle langue risque-t-elle de devenir un dialecte local que l’on ne parle qu’à la maison?
Tous ceux qui parlent français devraient connaitre le château de Villers-Cotterêts et se souvenir du mois d’Août 1539. C’est là, dans l’aile du « logis du Roy » que François Ier déclara le français langue nationale et ordonna que tous les actes soient rédigés en cette langue, compréhensible par tous, remplaçant le latin.
Pour faire face au puissant Saint Empire romain germanique de Charles Quint, le roi de France devait compléter la puissance de son royaume par une langue commune qui rassembla son peuple, dispersé en une multitude de dialectes et de patois locaux.
La Renaissance
C’est en français qu’écrivirent les poètes et les essayistes, Clément Marot, Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay qui publia dix ans plus tard son célèbre texte fondateur, « Défense et illustration de la langue française ». A la génération suivante, c’est naturellement en français que Montaigne rédigea ses Essais.
Rendons hommage à ces précurseurs, c’est grâce à eux que nous pratiquons cette belle langue, à la base de notre culture commune et de celle des 274 millions de francophones répartis dans 80 pays. Beaucoup ont dû se battre pour conserver l’usage du français. La meilleure façon de leur rester fidèle consiste à manier cette langue avec respect, afin qu’elle reste vivante.
Aujourd’hui, le château de Villers-Cotterêts est presque en ruine et la charpente du « logis du Roy » est prête à s’écrouler. Cela aurait pu constituer un mauvais présage si Emmanuel Macron n’avait pas décidé la réhabilitation du château et confié la mission à Stéphane Bern. Le président Français a solennellement décidé de faire de ce lieu, avant la fin de son mandat, « un haut lieu de la francophonie ».
Québec se souvient
L’usage du français est menacé, il ne faut pas se voiler la face, en particulier dans les pays où il n’est pas la seule langue officielle. Nous pensons naturellement au Québec, une ile francophone au milieu d’un océan anglophone.
Le Québec est particulièrement cher à mon coeur. J’ai longuement visité cette « Belle Province » l’année de mes 18 ans et j’avais rédigé un rapport intitulé « Québec se souvient ». C’était en 1956, à une époque où la France avait totalement oublié que ses ancêtres avaient un jour essaimé sur le continent américain, et les québécois se sentaient abandonnés.
Au Québec, la défense de la langue française a toujours été, non seulement un devoir moral, mais une nécessité vitale face à la domination anglaise. Aujourd’hui, pour préserver son identité, le pays cherche à accueillir le maximum d’immigrés francophones et en particulier des professeurs de français.
La Loi 101 définit le français comme langue officielle à l’école, mais nombreux sont les québécois qui voudraient envoyer leurs enfants à l’école anglaise. Qu’on le veuille ou non, l’anglais est devenu la langue véhiculaire dans toutes les entreprises internationales et chacun se doit d’être totalement bilingue.
Autant dire que le sujet linguistique est sensible au Québec et la voie est étroite entre le risque du repli sur soi identitaire agressif et la dilution dans le monde anglophone devenu le modèle dominant.
So why not switch in english?
En Belgique, le français était la langue de l’élite, il y a seulement cinquante ans. Sa suprématie fut contestée par l’émergence d’une économie flamande florissante face à une économie wallonne en fort déclin.
Les Flamands refusent en général de parler français, ce qui oblige souvent à se retourner vers l’anglais. En outre, plus la population s’internationalise plus la langue anglaise prend le dessus. Bruxelles, capitale de l’Europe, est emblématique de cette réalité, avec les représentants de 27 pays qui, le plus souvent, n’ont pas d’autres choix que de communiquer en anglais.
Le régionalisme coûte cher à la Belgique avec des écoles séparées et une administration doublée. So why not switch to English ? C’est un peu le problème de la Suisse qui subit aussi le leadership de la partie alémanique. Le problème y est moins aigu qu’en Belgique car la région francophone y est très dynamique économiquement.
N’empêche que les jeunes Romands parlent de moins en moins bien l’allemand et vis-versa. Bien souvent, le plus simple est d’avoir recours à l’anglais lorsque les Suisses visitent leur pays. En outre, l’élite a tendance à mettre ses enfants dans les écoles anglophones.
Le testament français
L’Afrique francophone constitue peut-être la partie la plus vivante et la plus créative de la francophonie. Surtout en Afrique noire, le français est souvent la langue d’unité nationale, celle qui unit des peuples aux parlers multiples, comme ce fut le cas en France au 16èmesiècle.
Ce qui m’émeut le plus, ce sont ces ilots francophones dispersés de par le monde, dans les coins les plus reculés. Des familles entretiennent une flamme qu’ils se transmettent de génération en génération et continuent de vénérer une langue sur laquelle ils se sont bâtis.
Dans des villages reculés du Canada, en Nouvelle Ecosse ou dans le Manitoba, en Roumanie où subsiste un réseau très actif, en Inde dans l’ancien comptoir de Pondichéry, en Louisiane où l’on trouve encore des familles qui parlent un très bon français, au Moyen-Orient dans le Liban ou la Syrie déchirés et aussi parfois en Russie ou ailleurs…
J’ai beaucoup aimé « Le testament français » écrit par le Russe Andrei Makine, qui dans des pages sublimes explique comment il a hérité de sa grand-mère son amour de la langue française qu’il sait manier avec une grande subtilité. C’est en hommage à tous les Andrei Makine du monde que nous devons préserver et continuer d’enrichir cette langue encore bien vivante. C’est pourquoi nos vœux de succès accompagnent le président Macron dans son soutien à la langue et à la culture française.
Bruxelles, Montréal, Genève, sont devenus des laboratoires de la mondialisation. C’est dans les grandes villes et parmi les plus éduqués où le français est le plus menacé. Chacun sent bien que l’anglais est devenu le Latin du 21èmesiècle et que l’avenir appartient à ceux qui parlent anglais. Comme la religion, le français risque de devenir une affaire privée que l’on ne pratique qu’à la maison !