Nous avons de la peine à penser global. Nous croyons trop souvent que le monde est cloisonné et que chaque évènement est isolé, indépendant du reste de l’univers.
L’humanité se croit le centre du monde et agit comme si la nature avait été créée à son service exclusif. Nous n’arrivons pas à imaginer à quel point chaque évènement et chaque action génèrent une cascade de conséquences souvent imprévisibles.
Nous ne mesurons pas ce que recouvre la notion de global, c’est-à-dire que chaque point de l’univers est connecté à tous les autres, de la même façon que chaque neurone est relié à l’ensemble du cerveau et donc aussi à chacune de nos cellules. De la même façon, le réseau web permet à chaque individu d’être connecté à l’ensemble de l’humanité et génère une cascade d’influences dont nous ne mesurons pas toujours la portée…
La nature nous offre, à chaque instant, mille exemples d’interactions et d’imbrications qui nous apportent la preuve que tout est dans tout et que chaque phénomène, chaque acte et chaque pensée s’inscrivent dans la globalité. Cela signifie que le plus petit évènement est la conséquence d’un faisceau d’évènements qui l’ont précédé et est à la fois la cause de multiples évènements à venir.
Un simple insecte laborieux
C’est le rôle de la science, et en particulier de la biologie, de décrypter ce labyrinthe d’effets et de causes intimement liés. Je peux consulter, au hasard, n’importe quelle publication scientifique pour trouver des exemples de cette interdépendance, de cette globalité.
Je tombe, à l’instant, sur un article qui s’alarme de la disparition progressive des abeilles. Or l’on sait que les abeilles, avec leur manège incessant d’une fleur à l’autre, assurent la pollinisation d’un grand nombre d’espèces végétales. Sans pollinisation, de nombreuses espèces de plantes et d’insectes disparaissent.
Mais, si les scientifiques se préoccupent tant des abeilles, c’est que leur disparition menace notre propre survie, car nous sommes tributaires du végétal, même le plus carnivore d’entre nous !
Avec la disparition des ruches, c’est un peu la civilisation qui meurt. L’usage abusif des pesticides et les méthodes modernes de culture ont bouleversé le monde. Soudain, l’homme qui se croyait tout puissant se trouve dépendant d’un modeste insecte laborieux. Sa propre survie est désormais menacée par les transformations qu’il a générées.
Dopamine et appendice
Vous avez tous entendu parler de la maladie de Parkinson, caractérisée par des tremblements très désagréables. La maladie est due à un manque de sécrétion d’un neuromédiateur, la dopamine.
Vous connaissez l’appendice, cette petite structure du tube digestif qui parfois est inflammée et devient douloureuse : c’est l’appendicite qui nécessite une ablation…
Mais quel rapport avec la maladie de Parkinson ? Contre toute attente, des chercheurs suédois de l’université de Lund et, à leur suite, une équipe du Michigan viennent de montrer que l’origine de la maladie de Parkinson se trouvait dans le tube digestif ! C’est dans l’interaction entre l’appendice et la flore intestinale que se situerait la source de la dégénérescence des cellules dopaminergiques dans le cerveau… Pensez global !
Savoir jouer en équipe
Je vous propose un autre exemple de complexité globale, inspiré par la biologie.
Il vous faut imaginer la vie il y a 700 millions d’années. Pas d’oxygène, ni sur terre ni dans les mers. Personne pour imaginer le futur. Dans les mers, une petite cyanobactérie au destin improbable et pourtant à laquelle on doit tout. Elle répond au doux nom de Prochlorococcus, c’est ainsi qu’on la nomme aujourd’hui. Une seule goutte d’eau de mer tropicale en contient un million.
Pour survivre et prospérer les minuscules Prochlorococci inventent la photosynthèse, c’est-à-dire la capacité de fabriquer de la matière organique, des hydrates de carbone donc, avec comme ingrédient de départ, de l’eau, du gaz carbonique et les rayons du soleil. Nul ne sait comment elle s’y est prise… mais elle y est parvenue.
La sélection naturelle aidant, la photosynthèse est devenue performante et les cyanobactéries fabriquaient de grandes quantités de matières organiques tout en libérant de l’oxygène dont on sait ce qu’on lui doit. Cette merveilleuse petite fabrique a été repérée par une bactérie affamée et incapable d’utiliser la photosynthèse et dénommée Pelagibacter.
C’est ainsi que Prochlorococcuset Pelagibacteront proliféré de concert, le second vivant un peu au crochet du premier, mais réalisant tout de même quelque basse besogne comme la fixation du fer en excès dans les mers à l’époque, et qui freinait le développement de Prochlorococcus.
Ces deux microorganismes marins sont aujourd’hui extrêmement abondants dans l’eau de mer et continuent de coopérer. Qui aurait dit, il y a 700 millions d’années, que notre destin était lié à ces deux êtres fragiles, sans lesquels nous ne serions pas là pour en parler ?
J’ai entendu dire que l’on a souvent besoin d’un plus petit que soi. N’oubliez pas que la science moderne, malgré ses prouesses, n’a jamais été capable de reproduire la photosynthèse en laboratoire, cette chose si simple en apparence que la moindre feuille de salade sait très bien faire.
Penser global signifie penser la complexité, c’est-à-dire l’interdépendance ! Je sais que c’est demander beaucoup à une humanité qui a élu des dirigeants qui prétendent appréhender la complexité en moins de 40 caractères sur Twitter!
Merci, très intéressant, et j’en suis convaincu