751 – COMMENT REENCHANTER LE MONDE?

Jamais la société occidentale n’a tant douté d’elle-même. Elle oscille entre la résignation et la colère, entre la déprime et la révolte : Que faire ?

Les énergies utopiques semblent épuisées, constatait déjà le philosophe allemand Habermas en 1985. L’homme ou la femme du 21èmesiècle ne vibre plus et parait épuisé, comme vidé de son énergie, aliéné dans un monde de plus en plus hostile.

Je viens de terminer la lecture d’un livre qui fera date dans l’histoire de la sociologie et qui aborde toutes les facettes de ce sujet. Il s’intitule « Résonance » et a été écrit par le sociologue allemand Hartmut Rosa. Je vous en recommande la lecture bien qu’il s’agisse d’un pavé de 530 pages denses, mais passionnantes.

Logique d’accroissement

Notre « modernité tardive », selon la terminologie de Rosa, se caractérise par l’accroissement permanent des besoins, des performances, de la vitesse, de l’accumulation, dans une course effrénée au savoir, aux diplômes, à l’argent, aux succès, aux loisirs, à la reconnaissance sociale…

Dans cette modernité désaccordée et devenue folle, nous sommes désorientés et effrayés. Nous avons l’impression de n’en faire jamais assez, de ne pas être à la hauteur et d’être dépassés par les changements technologiques permanents.

Nous nous épuisons dans une course folle dont nous ne voyons jamais la fin. Nous n’avons pas de repos car il y a toujours dans nos vies quelque chose qu’il faut améliorer pour rester dans le peloton.

« Les sociétés modernes se caractérisent par le fait qu’elles ne peuvent se stabiliser que de façon dynamique ; elles sont structurellement vouées à une augmentation continue portée par la croissance, l’accélération et la densification de l’innovation » remarque Harmut Rosa.

On voit bien, en effet, comment nos sociétés risquent de s’écrouler en l’absence de croissance du PIB, de la même façon qu’un vélo a besoin de vitesse pour ne pas tomber. La croissance est devenue l’obsession des gouvernements.

Aliénation

Cet état de fait génère une aliénation sous forme d’une peur de ne pas être assez efficace et performant, individuellement et collectivement. Nous avons le sentiment de vivre dans un monde hostile et muet, c’est-à-dire avec lequel nous n’avons pas d’interaction.

Nous nous sentons aliénés lorsque le monde, c’est-à-dire tout ce qui nous entoure, est vécu comme insensible, voire hostile à notre égard. Nous sommes alors dans un face-à-face au monde, figé et muet.

C’est le salarié, seul face à une multinationale tentaculaire et insaisissable ; c’est l’usagé face à une administration aveugle et sourde ; c’est le citoyen qui n’est pas entendu par les élus ; c’est aussi l’élève en compétition avec ses condisciples, le jeune dont on ne reconnait pas les talents spécifiques ; c’est le consommateur manipulé par un marketing sournois ; c’est la tyrannie du paraitre et le culte du moi ; c’est l’absence d’idéaux et le sexe sans amour; c’est la technologie anonyme et froide ; c’est la lutte quotidienne pour se frayer un chemin dans les embouteillages ou dans les gares surchargées ; c’est le système moderne des valeurs qui repose sur le matérialisme ; c’est le formatage culturel et le politiquement correct ; c’est l’absence de transcendance et de vie spirituelle ; c’est la famille disloquée, le travailleur qui n’est pas respecté ; c’est la rupture avec le passé ; ce sont les vieux qui ne sont plus écoutés mais relégués  et cachés ; c’est la solitude et l’absence de relations sociales ; c’est aussi l’enfant qui nait dans un environnement ultra-pollué et dangereux. Finalement, c’est l’Autre, le monde, considéré comme un ennemi potentiel.

L’aliénation, c’est lorsque le quantitatif est devenu plus important que le qualitatif, lorsque le rationnel écrase l’irrationnel et le rêve.

La dépression ou la révolte

Face à ce monde hostile et désenchanté l’individu n’a, comme toujours, que trois possibilités : subir, fuir, ou lutter.

La fuite est impossible, sauf par le suicide qui devient une réponse de plus en plus fréquente et désespérée à l’aliénation.

Subir conduit souvent à la déprime et au burn-out qui est une autre forme de fuite. C’est le stade ultime de l’aliénation. « Les personnes dépressives et victimes de burn-out font l’expérience d’un monde plat, muet, froid et vide qui ne les affecte plus. Ils perdent en même temps leur capacité d’élan vers le monde, les choses, les autres, l’avenir …On a une famille, un travail, une vie associative, une religion, etc., mais ils ne nous disent plus rien. »

Il reste lutter, mais la lutte est souvent inégale et l’on peut s’épuiser, devenir amère et finir dans la révolte ou pire, dans la révolution, qui correspondent souvent à une sorte d’autodestruction. Qui connait une révolution qui fut bénéfique pour les individus ? Les révoltes finissent toujours dans la répression et la violence et conduisent à de nouvelles aliénations.

La résonance

La thèse centrale du livre d’Harmut Rosa repose sur cette notion de résonance, la voie sacrée pour sortir du dilemme de l’aliénation et nous réenchanter.

Les tendances à la crise des sociétés contemporaines apparaissent comme des crises générales de résonance, c’est-à-dire lorsque le dialogue est rompu.

Notre première expérience de résonance, nous l’avons vécue avec notre mère, lorsqu’elle nous caressait et nous câlinait. Puis nous avons mis un pied sur terre, nous avons souri, nous avons eu des interactions avec les autres et avec la nature et l’environnement.

Réenchanter le monde, c’est retrouver nos capacités de résonance avec notre corps, avec notre famille, avec notre travail, avec nos talents, avec nos projets de vie, avec nos institutions, avec notre environnement, avec la nature. C’est sortir de la peur et aller vers l’empathie. C’est partager, échanger, observer, connaitre, transmettre, exister… Regardez un enfant qui joue, qui ri et s’enthousiasme, c’est un être de résonance. Il expérimente et découvre le monde, il n’est pas blasé.

« La résonance fournira ainsi le critère d’une vie réussie, par quoi la qualité de vie se mesurera non plus indirectement, à l’aulne de l’accroissement de richesse et des ressources matérielles, mais directement, à l’aulne de la qualité de la relation au monde. Une vie bonne apparaitra dès lors comme une vie riche en expériences de résonance ».

Nos sociétés auront à choisir entre aliénation et résonance, entre mauvaise santé et bonne santé. L’aliénation rend malade, physiquement et psychiquement, de la dépression à la maladie d’Alzheimer, dans laquelle on devient étranger au monde. Au contraire, la résonance permet à l’énergie vitale de circuler à nouveau pour assurer le bien-être du corps, de l’esprit et de l’âme…

 

 

 

 

 

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