La mode est à la transparence. Nous voulons tout savoir sur tout le monde. A force de transparence, risque-t-on de devenir inconsistant, vide et détruit de l’intérieur?
Au nom de la démocratie, nous voulons décrypter chaque rouage de la société et connaitre les agissements de chacun. Nous ne supportons plus la moindre zone d’ombre ou le moindre mystère.
Nous sommes passés d’une société opaque et pleine de mystères, dans laquelle opéraient des acteurs de l’ombre et du secret, à une société translucide, pleine de miroirs, à travers laquelle on peut connaitre le moindre rouage, mais dans laquelle on risque de s’ennuyer car elle a perdu son merveilleux.
On peut se demander si cette transparence tant souhaitée ne participe pas au désenchantement caractéristique des sociétés occidentales ? L’esprit humain a-t-il besoin des mystères dans lesquelles il était à l’aise depuis des millénaires ?
Vatican II
La chrétienté, qui a derrière elle plus de deux mille ans d’histoire, tirait une grande partie de son attrait des nombreux mystères qu’elle chérissait comme partie intégrante de son patrimoine.
Le succès planétaire du catholicisme est dû en grande partie à son goût du merveilleux et des choses cachées, incompréhensibles, mystérieuses, miraculeuses, irrationnelles.
Il a fallu les décisions de Vatican II en 1965 pour que l’Eglise perde une partie de son attrait et accélère la déchristianisation : abandon du latin, autel au milieu des fidèles, prêtres en civil…
L’institution catholique devenait une institution comme les autres, ouverte à la critique et les prêtres des gens comme les autres, sans prestige particulier. Les fidèles ont commencé à poser des questions et les églises se sont vidées.
Glasnost
Le communisme fut la religion du vingtième siècle et fit rêver des millions de gens dans le monde, surtout dans les pays catholiques en voie de déchristianisation. L’Union Soviétique était construit comme un blockhaus sans fenêtre.
L’opacité, le mensonge et la dissimulation constituèrent les fondements de ce régime totalitaire qui régna sur la moitié de l’Europe de façon opaque.
Lorsque Mikael Gorbatchev devint président de l’URSS, il prit conscience de l’étouffement de la société sous la chape de plomb du parti. Il voulut ouvrir les fenêtres et en 1985 il proposa la « glasnost », c’est-à-dire la transparence.
Les citoyens purent enfin regarder par la fenêtre et contempler le monde. Ils mesurèrent alors combien ils étaient opprimés !
La bourrasque entra par les fenêtres ouvertes et balaya tout sur son passage. 4 ans plus tard, le mur de Berlin s’effondra sous la poussée d’un nouvel espoir plus transparent.
The crown
La monarchie britannique nous offre une image moins sombre, mais aussi opaque et mystérieuse.
Que se passe-t-il derrière les murs de Buckingham Palace ? Qu’est-ce qui s’y murmure et s’y trame ?
L’excellente série télévisée, « The Crown », dissipe le voile de mystère qui accompagne les pas feutrés de la reine et de son entourage. Derrière les sourires figés, on découvre des êtres prisonniers d’un protocole froid et rigide.
Les sourires sont des façades que l’on montre au peuple, des symboles que les citoyens acclament, sans savoir que derrière les masques, se cachent des êtres sans chaleur et sans compassion…
La monarchie britannique est tombée de son piédestal en même temps que le peuple a perdu ses illusions sur les vertus de leurs princes. Avec cette nouvelle transparence, la belle image a commencé à se flétrir… Quand le peuple ne pourra plus rêver au prince charmant, la monarchie s’effondrera.
La couronne britannique devrait réfléchir à cette remarque d’Etienne de la Boétie qui date de 1548: “Les rois d’Assyrie ne paraissaient en public que le plus tard possible, pour faire supposer au peuple qu’il y avait en eux quelque chose de surhumain et laisser en cette rêverie les gens qui se montent l’imagination sur les choses qu’ils n’ont pas encore vues”.
Une note citoyenne
Au niveau individuel, la transparence peut être aussi destructrice. Les réseaux sociaux diffusent notre intimité, nos goûts, nos idées, nos opinions politiques et nos travers. Nous devenons transparents.
Nous sommes notés sur Airbnb ou sur Huber et nous donnons une note aux restaurants, aux hôtels et aux chauffeurs. Chacun doit sourire et paraitre de bonne humeur, sinon… gare !
La Chine est désormais le précurseur en la matière, il est prévu d’instituer une note citoyenne. Après chaque rencontre, chaque transaction, chaque information que le citoyen commente ou diffuse, il lui est attribué une note. L’ensemble de ces notes constituera son empreinte citoyenne disponible en ligne !
Gare aux mauvaises notes pour obtenir un crédit, un travail, un appartement !
Le but officiel, c’est de rétablir la confiance… Avec la note citoyenne, il faut bien se tenir et ne pas déplaire aux autorités : tout doit être transparent.
Même les maisons contemporaines sont aujourd’hui transparentes, entourées de vastes baies vitrées. On y vit comme dans un aquarium, ouvert aux regards extérieurs. Il n’y a plus d’intimité, comme un poisson rouge dans son bocal ou un prisonnier dans une cage de verre!
Tous les animaux ont besoin d’un abri pour se cacher. Les lièvres, par exemple, préfèrent se laisser mourir que de vivre dans un espace clos sans possibilité de fuir ou de se mettre à l’abri des regards.
L’homme aussi a besoin d’un jardin secret, d’une intériorité, d’un espace de liberté et d’activités cachées. Même le mensonge peut être utile à la survie. La transparence est à la mode, mais elle nous rendra tous fous. C’est une arme redoutable qui détruit les organisations et les citoyens. Je ne préconise pas l’opacité mais le droit à l’intimité, au respect des individualités personnelles et collectives.