Il n’y a pas de liberté sans responsabilité. Mais il semble que dans nos sociétés contemporaines nous perdions chaque jour un peu plus de liberté et de responsabilité.
Sommes-nous prêts à sacrifier notre liberté pour plus de sécurité, plus d’encadrement, de lois, de décrets, de règlements et moins de responsabilité ? En effet la responsabilité est parfois lourde et exigeante, elle suppose un haut degré de citoyenneté que nous refusons souvent d’assumer.
En liberté surveillée
Nos sociétés modernes font face à deux facteurs prépondérants qui nécessitent plus de normes et de contraintes : l’augmentation vertigineuse de la population, d’une part, et l’urbanisation galopante d’autre part.
Le chasseur-cueilleur, il y a 30.000 ans, était beaucoup plus libre et responsable que nous le sommes ! Les citoyens modernes sont nécessairement soumis à des règles qu’exigent la vie en société. Ces règles, de plus en plus strictes, empiètent chaque jour davantage sur notre espace de liberté au point que l’on peut se sentir prisonnier d’une société normative qui décide tout à notre place.
Nous nous arrêtons aux feux rouges, et il n’y a rien à redire à cela. Il a fallu mettre une ceinture de sécurité, souscrire une assurance obligatoire pour sa voiture, puis pour sa maison et pour sa santé, il faut désormais mettre un casque sur da tête pour faire du vélo ou du ski.
Toutes ces petites décisions, devenues normales, ont été prises pour notre sécurité et conduisent à d’autres, encore plus contraignantes et de moins en moins justifiées. On nous impose, sans discussion possible, 10 vaccinations obligatoires. On veut supprimer les paiements en cash sous de nobles prétextes, mais on nous met à la merci d’un gouvernement qui peut décider de ponctionner notre compte pour se renflouer ou, pire, de le bloquer, ce qui aujourd’hui viendrait à nous asphyxier et à nous couper les vivre…
Pour de nobles raisons sécuritaires, nous sommes fichés, suivis partout à la trace, filmés, traqués. Nos propos sont enregistrés, scrutés à la loupe pour savoir si nous demeurons politiquement corrects, si nous ne prononçons aucun mot interdit, si nous ne militons pas pour une cause louche, jusqu’au point où notre liberté d’expression est entravée.
La fabrique des irresponsables
Dans le même temps, l’enfant-roi est certes dorloté, écouté, servi dans toutes ses exigences. Il fait valoir ses droits mais personne ne lui énumère ses devoirs.
Dès l’école, nos enfants sont soumis à une mise aux normes. L’éducation est devenue une machine à fabriquer des citoyens à la pensée unique, pris en charge par un système dans lequel les élèves sont soumis au minimum de contraintes et de discipline.
Les exigences sont réduites au strict minimum et si un professeur fait preuve d’un peu de sévérité ou d’autorité, aussitôt les parents s’insurgent et crient à l’injustice ou à la maltraitance. On pratique la démagogie pour ne contrarier personne et c’est ainsi qu’en France, on alla jusqu’à supprimer le redoublement. Pourquoi se fatiguer puisque, de toutes façons, on passera dans la classe supérieure ?
On ne s’étonnera pas que les jeunes générations ne sachent pas ce que signifie faire un effort. La vie doit être facile et cool. Dans de nombreux pays, la discipline a disparu des lycées et le système éducatif se résume à préférer garder les ados en classe plutôt que de les laisser trainer dans la rue. De toutes façons, ils auront le bac, il suffit de se présenter le bon jour, à la bonne porte. On ne va tout de même pas leur infliger une frustration qu’ils ne sauraient pas gérer !
Quel est notre libre arbitre ?
En fin de compte, pour arriver à l’âge adulte, il suffit d’attendre et de se laisser porter par le système, sans se fatiguer. On y arrive sans encombre, mais souvent sans diplôme et sans métier. C’est là que les choses se compliquent, car on a quand même des exigences.
On ne sait rien faire, mais on veut quand même un métier, ou en tout cas avoir de l’argent, si possible sans trop se fatiguer. A la moindre frustration, on se met en colère et on menace de tout casser. Nous ne sommes pas responsables de nos échecs et nous accusons la société.
Dans cette société permissive, on a peu de liberté, mais on devient progressivement irresponsables. Si des jeunes éméchés brûlent des voitures pour s’amuser, nous levons les yeux au ciel et nous disons : « Que voulez-vous, ils sont jeunes et il faut bien que jeunesse se passe » !
Progressivement, les citoyens n’assument plus les conséquences de leurs actes. Nous abusons de notre système de santé car tout est gratuit, nous vandalisons les vélos en libre-service dans les villes, nous votons contre l’augmentation de l’âge de la retraite et, après, nous allons manifester contre les retraites misérables. En beaucoup de domaines nous sommes inconséquents, comme des enfants gâtés, irresponsables.
Le domaine de la santé n’échappe pas à cette vague d’irresponsabilité. Si nous sommes malades, ce n’est jamais parce que nous avons une hygiène de vie ou une alimentation déplorable, mais toujours à cause de supposés prédispositions génétiques ou d’antécédents familiaux !
Nous sommes irresponsables lorsque nous élisons des irresponsables qui endettent le pays sur plusieurs générations. Nous sommes des citoyens collectivement irresponsables car nous continuons à saccager l’environnement, en toute connaissance de cause, et nous en accusons les gouvernements.
L’irresponsabilité est érigée en valeur fondamentale et a même gagné les tribunaux où l’on peut plaider les circonstances atténuantes parce que l’on était ivre le jour de l’accident de voiture. On peut consulter un neurologue qui va attester que notre état psychologique était perturbé lorsque nous avons agressé notre voisin et les juges font preuve d’une grande mansuétude vis-à-vis des actes violents et des déprédations. Le violeur serait soumis à des pulsions irrépressibles qui dépassent sa volonté. Le casseur du samedi soir serait la victime d’une société aliénante, etc.
Comme on n’arrête pas le progrès, c’est désormais l’imagerie cérébrale vers laquelle se tournent les avocats pour exonérer leurs clients de leur responsabilité criminelle. Ils s’appuient sur de nombreux travaux qui ont montré que les psychopathes ont des modifications anatomiques et fonctionnelles de leur cerveau. On en vient à se poser la question s’il est juste de criminaliser les psychopathes et les tueurs en série. Sont-ils irresponsables ?
La notion de responsabilité nous amène à de vertigineuses questions sur l’étendue de notre libre arbitre et sur la part du déterminisme génétique, physiologique, culturelle ou social. On peut toujours accuser nos gènes, la société ou nos parents, et sans cesse se dédouaner de notre responsabilité. Mais à la fin, nous serions enchainés à notre destin, prédestinés et donc irresponsables de nos actes. Ce n’est pas la vision que j’ai d’une humanité libre et responsable.