L’humanité est sans doute la seule espèce qui soit animée d’une pulsion autodestructrice. La vie est un processus merveilleux, mais pourquoi s’acharner à l’abimer et à la détruire ?
Le mythe du paradis terrestre aurait pu être une réalité si les humains avaient eu plus de sagesse et de bon sens. Les fruits de l’arbre de la connaissance, qui nous attirent et nous fascinent depuis Adam et Eve, furent les outils d’une permanente autodestruction, aussi bien au niveau personnel qu’au niveau collectif.
Thanatos
Nous connaissons tous autour de nous des personnes qui s’autodétruisent et nous sommes souvent les témoins démunis d’une lente descente aux enfers qui semble aussi inéluctable qu’incompréhensible.
L’homme est imaginatif et nous avons à notre disposition mille moyens. Bien sûr nous pouvons nous détruire de façon très traditionnelle, par l’alcool ou le tabac, mais il existe des moyens plus modernes avec des drogues diverses qui détruisent littéralement l’organisme.
Plus que d’autres, les jeunes aiment narguer la mort, dans une sorte de danse macabre, en prenant des risques inconsidérés, sur les routes, lors d’activités sportives ou désormais avec des drogues de plus en plus dures, comme si la vie ne méritait pas d’être vécue.
Se détruire par l’excès de nourriture et la mal-bouffe est devenu aussi à la mode et nombreux sont ceux qui le revendiquent comme un droit. L’obésité est aujourd’hui, en Occident, le moyen le plus doux et le plus indolore de se détruire à petit feu en fragilisant l’organisme. C’est « l’ère de l’obésité heureuse ». Le capital santé est souvent dilapidé et dans ces conditions, vieillir devient synonyme de déchéance et de dépendance.
L’espèce humaine a en elle, comme une spécificité unique, de fortes pulsions de mort, sans doute la rançon d’un psychisme complexe aux multiples strates. Le nombre hallucinant de suicides en atteste. L’autodestruction n’est qu’un suicide lent lorsque nous trouvons la vie trop pesante ou trop douloureuse.
Je dois dire qu’il m’a toujours été difficile de comprendre comment des êtres jeunes, en bonne santé et intelligents pouvaient être attirés par des enfers artificiels qui les rendent dépendants et qui les détruisent. C’est une des spécificités de notre civilisation contemporaine et cela peut être interprété comme un sombre présage.
Auto-sabotage
Il existe bien des façons de se pourrir la vie et, finalement, d’être malheureux. Nos choix de vie sont parfois calamiteux, à commencer par le choix de notre partenaire. Nous avons souvent une fâcheuse tendance à nous orienter dans des voies sans issue, alors que nous serions capables de mettre en garde un frère ou un ami qui prendrait cette direction !
L’aveuglement constitue donc un handicap majeur de l’espèce humaine qui semble avoir assez peu d’aptitude au bonheur. Nous avons à notre disposition mille tours dans notre sac pour nous gâcher la vie, pour s’interdire d’être heureux ou de réussir, aussi bien dans la vie affective que professionnelle.
Nous avons nos propres névroses subconscientes qui nous poussent, parfois, à prendre des décisions et à faire des choix qui nous serons préjudiciables. A cela s’ajoute des névroses familiales qui proviennent de nos aïeux et que nous portons en nous, bien cachées dans les replis de notre inconscient.
Les jeunes, qui aujourd’hui refusent d’apprendre et de profiter des énormes moyens éducatifs mis à leur disposition, pratiquent une politique de terre brûlée et sabotent leur vie. Ils deviendront aigris et révoltés alors qu’ils sont responsables de leur destin.
Nous sommes les esclaves de ces pulsions mortifères qui guident trop souvent nos choix. Nous croyons être libres et maitres de nos destins alors que nous sommes le jouet de nos névroses. C’est le travail de toute une vie d’en prendre conscience pour sortir des rets de l’auto-sabotage et de l’autodestruction.
Les sociétés humaines sont mortelles
Lorsque l’on jette un vaste regard sur l’étendue de l’histoire de l’humanité, il est facile d’observer combien les peuples se sont détruits, combien les civilisations furent ensevelies par leurs propres incuries. Des civilisations furent capables de monter au sommet de l’art et de la technique puis de redescendre dans les ténèbres.
Combien de pogroms, combien de guerres, combien de conflits internes, combien de luttes fratricides ? Combien de tyrannies, combien de démocraties dévoyées, combien d’anarchies ?
Lorsque l’on observe notre propre civilisation nous sommes effrayés par ses méfaits et son aveuglement. Les peuples accusent les gouvernants mais ils oublient que c’est eux qui les ont portés au pouvoir et nous sommes incapables d’accepter la moindre contrainte pour changer nos habitudes.
Les citoyens rêvent de paix, de fraternité et d’harmonie dans un environnement qui ressemblerait au paradis terrestre, mais ils le font savoir en cassant tout et en véhiculant la haine. On se plaint de la pollution chimique mais on se rebiffe lorsque les dirigeants édictent un interdit.
Les historiens nous disent que les habitants de l’ile de Pâques ont eux-mêmes œuvré à leur destin funeste en poursuivant une déforestation suicidaire. Ils ont préféré couper le dernier arbre plutôt que de changer leur mode de vie. Notre civilisation se conduit aujourd’hui comme les habitants de l’ile de Pâques !
« Il y a quelque chose en nous d’animal qui nous pousse à la réduction de notre champ de conscience pour protéger nos habitudes », comme l’écrit Marc Dugain dans « Transparence », son dernier roman de science-fiction.
Aucune civilisation humaine n’a survécu plus que quelques siècles. La plupart ont sombré dans le chaos suite à des aveuglements, des décisions suicidaires et au relâchement des moeurs. Elles se pensaient toutes éternelles, mais elles étaient mortelles.
La vie est une lutte permanente contre le désordre et le chaos, c’est-à-dire contre l’augmentation de l’entropie. L’autodestruction correspond à la facilité, au laisser-aller, à l’anarchie, à la dissolution des mœurs, à l’absence de rigueur, de contrainte et de contrôle de soi.
Si vous aimez les feux d’artifice du langage, je vous laisse apprécier ce passage extrait de « Mea culpa » de Céline et publié en 1936: «Le principe du diable tient bon. Il avait raison comme toujours, en braquant l’Homme sur la matière. Ça n’a pas traîné. En deux siècles, tout fou d’orgueil, dilaté par la mécanique, il est devenu impossible. Tel nous le voyons aujourd’hui, hagard, saturé, ivrogne d’alcool, de gazoline, défiant, prétentieux, l’univers avec un pouvoir en secondes ! Éberlué, démesuré, irrémédiable, mouton et taureau mélangé, hyène aussi. Charmant. Le moindre obstrué trou du cul, se voit Jupiter dans la glace. Voilà le grand miracle moderne. Une fatuité gigantesque, cosmique. L’envie tient la planète en rage, en tétanos, en surfusion. Le contraire de ce qu’on voulait arrive forcément. Tout créateur au premier mot se trouve à présent écrasé de haines, concassé, vaporisé. Le monde entier tourne critique, donc effroyablement médiocre. »
Il se peut que nous soyons aujourd’hui à la croisée des chemins. Notre civilisation occidentale s’autodétruit individuellement et collectivement. Mais le plus grand risque réside dans l’attitude suicidaire de l’humanité tout entière…
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