Sommes-nous condamnés pour toujours à devoir choisir entre la sécurité ou la liberté ? Entre l’anarchie ou la dictature ? Ces interrogations sont légitimes lorsque l’on observe la situation politique aux USA, en Grande Bretagne ou en Espagne.
Ces questions ont traversé l’histoire depuis l’ère gréco-romaine, mais elles demeurent d’actualité à une époque où la démocratie montre des signes d’épuisement, lorsque l’intolérance des politiciens empêche le consensus, pendant que le doute et l’insécurité génèrent la peur chez les citoyens.
La République Romaine
L’histoire n’est pas un oracle et ne se répète jamais, néanmoins les démocraties contemporaines peuvent trouver un avertissement dans chacun des évènements historiques qui conduisirent à l’effondrement d’un système politique, surtout s’il s’agit d’une proto-démocratie.
« La force de la République résidait dans le fait qu’elle était soutenue par une communauté vertueuse », telle est l’affirmation de l’historien Edward Watts dans son dernier livre « Mortal Republic : how Rome fell into tyranny ».
Fabricius, consul au troisième siècle avant J.C., fut un modèle de vertu et d’intégrité. On raconte même que Pyrrhus, roi d’Epire, farouche ennemi de Rome, aurait dit à propos de Fabricius : « Il serait plus difficile de le détourner du chemin de la vertu que le soleil de sa course ordinaire ».
Lorsque Pyrrhus vainquit les romains à la bataille d’Héraclée en 280 a.C., on parla de victoire à la Pyrrhus, parce que non seulement il subit de lourdes pertes, mais aussi parce que les caisses de l’État Romain étaient vides et il n’y avait rien à y prendre: La richesse de Rome résidait dans sa vertu !
Les choses se gâtèrent dès le milieu du IIème siècle a.C. lorsque, suite aux conquêtes militaires et à la complexité croissante de la finance, une classe de super-riches commença à émerger. Les inégalités devinrent criantes en même temps que la vertu s’estompa. Pendant que les Patriciens purent conserver leurs privilèges, les Plébéiens accumulaient des ressentiments face aux gaspillages et à la corruption.
Tous ces ingrédients bien mélangés constituèrent une recette parfaite pour donner naissance, en l’espace d’une génération, au déclin populiste entrainé par Tibère et Cayus Gracus qui nous rappelle les professionnels de la polarisation politique d’aujourd’hui, ici et ailleurs, qui conduisent à l’intolérance, à la violence et à la paralysie.
Il fallut un siècle de déclin, d’agitation et de démagogie pour que le peuple soit prêt à sacrifier sa liberté politique pour une meilleure sécurité. Il remit son destin entre les mains de Jules César qui mit fin à 5 siècles de République Romaine, mais dont l’assassinat permit l’émergence de l’Empire.
Edward Watts nous rappelle à propos que les républiques sont mortelles, aujourd’hui, comme hier.
Washington
C’est dans une autre république où se rendit Chateaubriand en 1791 lorsqu’il accosta sur les côtes de la Virginie. A Philadelphie il rendit visite à Washington, qu’il imaginait en petit dictateur romain, mais au contraire, il trouva « la simplicité du vieux Romain ».
Tout cela est fort bien raconté dans son « Voyage en Amérique » : « Une petite maison dans le genre anglais, ressemblant aux maisons voisines, était le palais du Président des Etats-Unis : point de garde, pas même de valets ». Chateaubriand fut très impressionné par cette rencontre dont il dira : « Je m’en suis senti échauffé le reste de ma vie : il y a une vertu dans les regards d’un grand homme ».
« Quelque chose de silencieux enveloppe les actions de Washington ; il agit avec lenteur : on dirait qu’ils se sent le mandataire de la liberté de l’avenir. Ce ne sont pas ses destinées que porte ce héros d’une nouvelle espèce, ce sont celles de son pays ; il ne se permet pas de jouer ce qui ne lui appartient pas… Washington a laissé les Etats-Unis comme trophée sur son champ de bataille ».
A n’en pas douter, pour Chateaubriand, Washington fait partie de ces quelques grands hommes qui ont émaillé l’histoire en apportant au peuple, dans une même gerbe, la sécurité et la liberté.
Et Bonaparte ?
Dans les mêmes pages, l’auteur de « Voyage en Amérique » ne peut s’empêcher de comparer son héros américain au destin de Bonaparte.
« Il ne veut créer que sa renommée, il ne se charge que de son propre sort…il se hâte de jouir et d’abuser de sa gloire comme d’une jeunesse fugitive… il parait sur tous les rivages, il inscrit précipitamment son nom dans les fastes de tous les peuples ; il se dépêche dans ses mouvements, dans ses lois, dans ses victoires ».
Chateaubriand continue sur la même veine : « Penché sur le monde, d’une main il terrasse les rois, de l’autre il abat le géant révolutionnaire ; mais en écrasant l’anarchie il étouffe la liberté, et finit par perdre la sienne sur son dernier champ de bataille ». Le destin de Bonaparte fait ici penser à celui de Jules César, ils héritent de l’anarchie et ne peuvent mettre de l’ordre qu’en supprimant la liberté.
Mais, « chacun est récompensé selon ses œuvres : Washington élève une nation à l’indépendance : magistrat retiré, il s’endort paisiblement sous son toit paternel, au milieu des regrets de ses compatriotes et de la vénération de tous les peuples ».
Bonaparte ravit à une nation son indépendance, il est précipité dans l’exil… il expire… qu’avaient à pleurer les citoyens ? ».
« La république de Washington subsiste, l’empire de Bonaparte est détruit. Nés tous les deux de la liberté, le premier lui a été fidèle, le second l’a trahie ».
Et Chateaubriand se met à rêver d’un Bonaparte qui eût aussi les qualités d’un Washington : « S’il eût joint la magnanimité à ce qu’il avait d’héroïque, il eût nommé la liberté héritière de sa gloire ».
En politique, le sectarisme, la hargne, l’esprit partisan et la démagogie conduisent au chaos et engendrent la peur. La peur est liberticide car les citoyens appellent alors de leurs vœux un gouvernement oppressif qui les libère de leur insécurité. Pour conjuguer liberté et sécurité, il y faut la vertu de tolérance…