Le monde change. Les relations amoureuses aussi : plus de choix, moins d’engagement, plus de rationalité, moins de romantisme et moins d’intime. Le bonheur est-il au rendez-vous ?
J’aime bien montrer que tout est symbole et que chaque élément d’un ensemble est le reflet du tout. C’est ainsi que les relations amoureuses, au XXIème siècle, en disent beaucoup sur nos sociétés contemporaines. Il semble que les jeunes amoureux soient aussi méfiants, sceptiques et désabusés sur l’amour que les citoyens le sont sur l’avenir de la démocratie ou de l’économie !
Le syndrome Starbucks
Ce qui complique la donne, aujourd’hui, pour toute chose, c’est l’abondance de l’offre. Qu’il s’agisse de choisir un lieu de vacances ou d’acheter un yaourt, on n’arrive plus à se décider ! Choisir est devenu le grand dilemme des temps modernes.
France Ortelli, qui vient de publier un essai intitulé « Nos cœurs sauvages, enquête sur le vertige du choix amoureux » décrit ce phénomène sous le terme de Syndrome Starbucks : « Quand vous avez 600 possibilités pour personnaliser votre café, cette surabondance d’options n’est pas si bienfaisante pour l’individu. Plus on a de choix, plus on va mettre du temps à choisir. Et lorsqu’enfin on se décide, on a de grandes chances de le regretter ».
Sur les réseaux sociaux, et sur les sites spécialisés, l’amour suit les lois de l’offre et de la demande, comme n’importe quelle marchandise. D’un côté, on se met en avant, on s’offre, on se vend au plus offrant, et de l’autre, on pèse le pour et le contre, on coche des cases, on compare, on rationalise et on finit par choisir… provisoirement, car le cœur n’y est pas !
Il y a quelque chose d’un peu pathétique dans cette recherche de l’amour idéal, car elle porte en elle une insatisfaction permanente et structurelle. On choisit rationnellement, mais on continue à rêver que l’on aurait pu trouver mieux, ce qui incite à poursuivre la recherche. C’est grisant de savoir que des milliers, ou peut-être des millions, de partenaires sont en attente à une portée de clic… Cet immense univers des possibles fait tourner la tête à plus d’un et à plus d’une ! C’est cela le vertige du choix amoureux.
La précarité amoureuse
Cette insatisfaction chronique fait obstacle à l’engagement. On fait un pas en avant et parfois deux en arrière. On vit dans le provisoire, en attendant mieux, toujours à l’essai, autrement dit on construit sur du sable des châteaux éphémères …
Les emplois sont précaires, comme la vie amoureuse. L’avenir est toujours incertain, dans l’attente d’une nouvelle occasion, d’un meilleur deal et on continue, à coup de swipes, à faire défiler sur l’écran de nouvelles têtes, de nouveaux profils plus performants, qui « cochent » plus de cases dans la grille des critères préétablis.
Finalement on recherche un partenaire comme on recherche un stage ou un nouveau job. On rationalise, on mentalise, mais sans émotion, c’est-à-dire sans place pour l’amour. Par voie de conséquence, la déception est toujours au bout de l’expérience, précisément car il s’agit seulement d’une expérience… Pour éviter ce phénomène de speed dating et de rencontres éphémères qui ne débouchent sur rien, les sites inventent le slow dating pour ralentir l’usure des relations, même des relations virtuelles sur internet. Ils envoient des messages de relance pour inciter à reprendre les échanges interrompus.
C’est ainsi que les célibataires représentent désormais 25% de la population. Ils n’étaient guère plus de 5% il y a 60 ans ! Chacun est célibataire à plusieurs moments de sa vie, souvent entre deux relations éphémères. Alors les célibataires s’organisent et vivent de plus en plus, quelque soit leur âge, en colocation, dans des shared houses. On finit par renoncer au foyer traditionnel, et France Ortelli s’interroge : « Ne serait-on pas arrivé au moment où l’égalité, c’est vivre séparément ? ».
Je suis souvent étonné lorsque j’apprends que certains couples établis ne font pas bourse commune, mais se répartissent les frais, comme le font les colocataires. Le sexe et l’argent constituent les deux grands symboles de la relation de couple ; mettre de côté l’un des paramètres signifie et symbolise, à mon sens, un semi-engagement, une sorte de prudence frileuse, peu compatible avec l’amour. Le juridique remplace l’amour !
La sociologue Eva Illouz parle de « non-amour ». La relation devient essentiellement et presque uniquement sexuelle. « Nous sommes sexuellement ouverts, mais émotionnellement fermés comme des huitres », ajoute France Ortelli.
Heureusement qu’il reste la Saint Valentin, ce rendez-vous romantique planifié longtemps à l’avance et qui apporte quelque illusion réconfortante malgré tout. On n’est pas obligé d’être amoureux pour fêter la Saint Valentin, mais rien n’interdit qu’on puisse l’être. Tant qu’il y a de l’espoir, il y a de la vie…
Comment concilier l’individualisme et l’amour ? Telle est peut-être la question fondamentale. Croire que la recherche de l’amour consiste à résoudre une équation rationnelle, telle est sans doute l’erreur banale. Penser que l’amour est quelque chose que l’on reçoit comme une grâce divine ou un don, sans y mettre du sien, dans la durée et dans une perspective à long terme, serait finalement la plus grave des illusions ?…
La défaite de l’intime
Si les sentiments sont exclus, du moins en partie, de la relation dite « amoureuse », ils peuvent sortir du domaine de l’intime où ils étaient autrefois cantonnés. Quand l’amour sort du débat, il reste la sexualité, et c’est en son nom que chacun revendique publiquement son appartenance.
Nous assistons à une surabondance de professions de foi concernant les préférences sexuelles des uns et des autres. La sexualité, domaine de l’intime par excellence, est devenue un slogan politique, une idéologie revendiquée. « L’intime est la part de l’existence sur laquelle ni l’État, ni la société, ni même la médecine ne devraient avoir autorité » souligne cependant le philosophe Michaël Foessel.
Le mouvement #metoo a conduit à mettre en débat sur la place publique ce qui est du ressort de l’intime. Chacun y règle ses comptes, ses rancoeurs, ses frustrations et ses ressentiments. Nous assistons, jour après jour, à un déballage médiatique de crimes sexuels, vrais ou supposés, prenant l’opinion à témoin. Celle-ci s’empresse de juger et de prendre parti, sans connaitre une once des faits réels !
Le désir de partager des expériences intimes peut être naturel, mais tout dépend avec qui ! Montrer sur les réseaux sociaux ses expériences sexuelles, heureuses ou malheureuses, devient vite de l’exhibitionnisme malvenu et suspect. Jeter en pâture à la vindicte publique tel prédateur sexuel supposé, et s’agiter sur les plateaux de télévision pour assouvir sa haine, me parait une attitude suspecte par nature.
Lorsque l’on est un adulte responsable et éduqué, il existe aujourd’hui bien d’autres moyens de se faire entendre et comprendre. Les victimes sexuelles ont bien sûr besoin d’être entendues, par la justice parfois, mais plus souvent par un psychothérapeute afin d’évacuer le traumatisme, autant que faire se peut…
Le jugement de l’opinion publique, par définition inapte pour juger, ne soulagera pas la douleur des victimes. Seul le retour à l’intime, au sein de la famille, face à face avec un psy et éventuellement dans le cabinet d’un juge, sera de nature à apaiser et à guérir.
L’amour est incertain par définition, l’amour rend vulnérable et il échappe au rationnel, c’est ce qui en fait sa richesse et sa fragilité. Les relations sexuelles sans amour et non consenties, peuvent être destructrices. Les amours contemporaines, de plus en plus éphémères et insécurisantes, sont à l’image d’une société sans pitié. Est-ce plus difficile que jamais d’être heureux ?
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