L’Europe cherche sa voie. Son rôle n’est-il pas de faire contrepoids à l’hégémonie de la Chine et des USA ? Elle fait partie du camp des démocraties, mais elle ne peut se contenter d’être un satellite de l’Amérique.
Malgré ses faiblesses par ailleurs, je sais gré à Emmanuel Macron d’avoir de l’ambition pour l’Europe. Son attitude déterminée sur ce sujet ne manque pas de courage, à une époque où nombre de ses partenaires sont frileux et se replient sur eux-mêmes. Il y a peut-être du don Quichotte dans sa détermination, mais la vie est une lutte continuelle contre le déclin…
Souveraineté européenne
J’ai souvent plaidé ici même pour une Europe forte, unie et déterminée. Bref, pour une Europe fédérale ayant son propre gouvernement, capable de peser sur l’évolution du monde en général et des démocraties en particulier. Dans ses discours, Emmanuel Macron ne peut se permettre d’aller aussi loin afin de ne pas froisser certaines oreilles trop obnubilées par un nationalisme étriqué, comme si l’Europe fédérale interdisait à chaque nation d’être forte et fière de l’être !
Néanmoins, Macron vient une nouvelle fois, en marge du G7, d’esquisser sa vision de l’Europe, sa place dans le monde et surtout son positionnement par rapport aux États-Unis qui ont trop tendance à traiter ses partenaires en vassaux dociles.
L’Europe fait certes partie de l’OTAN, mais il ne faudrait pas que les USA se servent de cette institution militaire pour exercer leur agressivité congénitale vis-à-vis de la Russie. Les européens ne doivent pas oublier que la Russie fait partie de l’Europe et qu’une entente cordiale avec elle constitue sans doute la meilleure stratégie du point de vue européen.
En effet, une bonne entente peut permettre, d’une part, d’assurer une sécurité en Europe et, d’autre part, de stabiliser le Moyen-Orient. Par ailleurs, l’accroissement des échanges commerciaux et diplomatiques avec la Russie peuvent permettre de faire obstacle aux excès des deux grands pays hégémoniques qui vont peser sur tout le 21ème siècle : la Chine et les USA.
Macron ne peut être plus clair lorsqu’il demande « que nous sachions bâtir un nouveau partenariat avec les États-Unis, que nous puissions avoir aussi notre voie, communauté de valeurs mais indépendance, quand il s’agit de notre stratégie à l’égard de la Chine ». Et il plaide pour n’être « ni vassalisés par la Chine ni d’être alignés sur ce sujet avec les États-Unis d’Amérique ». En clair, l’OTAN ne doit pas servir de fer de lance contre la Chine.
Le président français va plus loin lorsqu’il dit : « L’Europe n’est pas simplement un objet ou un territoire de la répartition des influences » et il est ensuite encore plus clair : « Nous devons être des interlocuteurs, des décideurs et des cosignataires ». Nous aurons sans doute besoin de l’aide du ciel pour que ses vœux soient exaucés… Mais, aide-toi et le ciel t’aidera !
Le grand dilemme
En quelques années, le monde a beaucoup changé et il va nous falloir remettre en question nos croyances et nos certitudes ! Nous avons tous cru, de bonne foi, que la démocratie apporterait le paradis sur terre et que ce nouveau bonheur se propagerait inévitablement sur l’ensemble de l’Univers…
Notre illusion était encore plus grande lorsque nous affirmions que seul le système démocratique était en mesure d’apporter la richesse et le bien être ! En fait c’est le libéralisme, et non pas la démocratie, qui enrichit les peuples et celui-ci peut proliférer même dans une dictature, comme le gouvernement chinois nous le rappelle souvent…
L’Occident a encore le désir de défendre son modèle démocratique, mais jusqu’où est-il prêt à le défendre et, surtout, jusqu’à quand ? C’est le grand dilemme d’aujourd’hui : faut-il fermer les yeux sur les crimes des Russes vis-à-vis des opposants ou sur les exactions des Chinois à Hong-Kong ? Qu’est-ce que veut-dire défendre la démocratie ?
Nos gouvernants ont eu cette prétentieuse illusion qu’ils allaient sauver les peuples et porter la démocratie en intervenant militairement en Irak, en Afghanistan, en Syrie, en Lybie, mais ils n’ont apporté que l’instabilité et des malheurs encore plus grands ! Il existe encore des idéologues qui imaginent que la Russie sans Poutine serait plus heureuse et plus prospère !
Depuis toujours, l’Occidental a une âme de missionnaire, il ne peut s’empêcher de croire qu’il détient la vérité, le meilleur modèle, le bon goût, l’intelligence, le savoir-faire, et qu’il convient d’exporter nos recettes et nos façons de vivre. Les missionnaires chrétiens qui, au cours des siècles, ont essaimé à travers le monde pour y porter la bonne parole, avaient le sentiment de faire œuvre civilisatrice humaniste… ils sont accusés aujourd’hui de tous les maux par les cuistres post-modernes qui s’imaginent qu’ils vont inventer un monde meilleur !
Le grand dilemme, c’est aussi l’état de déliquescence de nos démocraties. Sommes-nous sûrs que ce modèle est encore défendable, lorsque l’on voit comment la démocratie s’est transformé en démagogie, comment le peuple vote sur des promesses mensongères et n’est jamais consulté sur les questions qui le concerne directement, comment la gangrène de l’individualisme a annihilé toute solidarité et comment le délitement des mœurs oblitèrent l’avenir même de notre civilisation ?
Connaitre ses faiblesses
On n’est jamais fort si on refuse de voir ses faiblesses. Ceci est vrai individuellement et collectivement. Les démocraties doivent analyser leurs points faibles. L’Europe, si elle veut prospérer et se faire respecter, doit faire le bilan de ses faiblesses.
Faiblesse économique tout d’abord. Nous mesurons chaque jour davantage la trop grande dépendance économique de l’Europe vis-à-vis des USA et de la Chine. Nous avons perdu beaucoup de savoir-faire et de technicité. L’Europe n’a pas assez de grands groupes industriels mondiaux, pas assez de recherche, pas assez d’usines sur son territoire.
A cet égard, le dénuement total qui fut le nôtre pour lutter contre la pandémie est symptomatique. Notre incapacité même à mettre au point un vaccin en dit long sur notre décrochage et sur nos lenteurs. L’Europe est comme ces vieilles belles fanées qui vivent dans l’illusion de leurs splendeurs passées…
Faiblesse technologique, quand on voit l’incapacité des européens d’avoir un leader mondial dans le domaine des nouvelles technologies et capables de rivaliser avec les GAFAM ou les leaders chinois. Les défis de demain vont tourner autour des nouvelles sources d’énergie et il n’est pas trop tard pour se positionner sur l’hydrogène par exemple…
Faiblesse stratégique et militaire. Depuis que le monde est monde, les humains ne respectent que la force ! Sans une armée forte, avec un commandement unifié, l’Europe ne pourra jamais parler d’égal à égal avec les puissances hégémoniques. Même la Turquie, dont la présence dans l’OTAN est un non-sens historique, a une armée capable de mettre l’Europe en échec !
Sa faiblesse politique est bien sûr la principale tare de l’Europe, incapable de se diriger et de parler d’une seule voix. Elle est donc incapable de prendre une quelconque décision ayant des répercussions géostratégiques. C’est un canard sans tête, qui courre encore sans savoir où il va ! Nous en arrivons donc à la question du début, l’Europe ne peut être que fédérale, sinon elle ne sera pas…
L’avenir est donc incertain pour l’Europe, si elle n’arrive pas remédier à ses handicaps structurels. Les tiraillements sont nombreux, surtout entre une Europe de l’Est, qui garde au fond de sa mémoire les méfaits de l’époque soviétique, et une Europe de l’Ouest qui cherche à s’émanciper de la tutelle américaine.
Il y a peu, Kersti Kaljulaid, la présidente de l’Estonie, déclarait : « La Russie n’est plus une menace globale comme l’URSS, mais elle demeure un risque régional. » Et elle ajoute : « Nous nous sentons totalement protégés par l’OTAN depuis que nous y avons adhéré, car l’Alliance Atlantique peut se targuer d’un bilan 100% positif ». Tout est dit : selon elle, hors de l’OTAN, pas de salut !
De son côté, Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier Allemand, déclare cette semaine dans le journal Le Temps, comme désabusé et résigné : « Quid de l’Europe ? Bien qu’elle serait la principale victime d’une déstabilisation régionale, elle n’est plus une force sur laquelle compter…La pire évolution pour l’ordre international serait une inclinaison continue des États-Unis à l’auto-isolement ». C’est toujours l’oncle Sam qu’il faut appeler à la rescousse !
Les démocraties sont non seulement vulnérables, elles sont aussi mortelles. Elles doivent donc être défendues. Mais l’Europe court le risque d’être pris en tenaille entre les deux puissances hégémoniques, elle doit donc suivre sa propre voie pour défendre ses valeurs démocratiques. Si l’Europe ne parvient pas à combler ses lacunes et ses faiblesses, elle sera balayée par le vent de l’Histoire… et sa démocratie avec ! Les prières ne suffiront pas.