La vie a-t-elle un sens ou faut-il lui en donner un ? Notre époque semble manquer de raison de vivre et d’élan, comme une lassitude générale qui étreint l’Occident. Il n’est jamais trop tard pour réagir dans une nouvelle renaissance…
Le matériel, le rationnel et la technique ont envahi nos vies. L’individualisme a remplacé le collectif. Dieu est mort, l’imaginaire, le rêve, la poésie, l’utopie et la magie sont devenus désuets. Il reste la réalité froide selon laquelle les humains sont sur cette terre par le fruit du hasard et de la nécessité, mais sans mission particulière ni but noble. Nous serons ensuite absorbés par le néant.
Nous sommes entrés dans la civilisation du non-sens. J’aime bien cette remarque d’Hannah Arendt, lucide et cruelle : « La barbarie politique a trouvé son terreau dans cette inflation du scientifique et du technique au détriment de notre insertion sensible et symbolique dans le monde ».
Notre époque serait-elle barbare ? Notre civilisation est en crise existentielle et nous croyons la résoudre avec plus de pouvoir d’achat, de loisirs, de confort, de technique et de consommation. Il semble que nous ayons un besoin urgent de renouveau, de renaissance, pour éviter à notre civilisation de sombrer dans l’absurdité de vies sans projets plus grands qu’elles…
La philosophe Karine Safa, dans son très beau livre « Pourquoi la Renaissance peut sauver le monde » écrit cette phrase qui m’a marqué : « Finalement, les crises les plus graves ne sont peut-être pas les crises économiques. On s’en relève toujours. Ce sont peut-être les crises de sens ». Je vous invite à méditer sur cette idée du sens de la vie en général et de votre vie en particulier. C’est peut-être là que se situe le mal-être de notre civilisation.
Besoin d’utopie
En Europe, la Renaissance fut extrêmement féconde et correspond à un besoin d’harmonie universelle qui unifie la diversité du monde. Tout est dans tout, et l’homme est non seulement une partie du monde, il est lui-même un petit monde.
La Renaissance, c’est l’époque des grandes aventures, de la découverte des nouveaux mondes et c’est aussi le début de la pensée scientifique et de la méthode expérimentale. Le monde s’ouvre à tous les possibles…
C’est aussi l’époque des grandes utopies qui furent toujours le ferment qui soulève notre enthousiasme et nous met en action. Ce n’est donc pas un hasard si le mot utopie date de cette époque après la publication, en 1517, du célèbre Utopia de Thomas More qui imagine une société idéale, une société qu’il nous appartient d’imaginer et de construire.
Imaginer l’avenir, c’est déjà le faire advenir. Finalement, l’homme ne fait jamais rien de grand sans l’avoir imaginé. L’utopie est à la base de tout espoir, c’est l’imagination en mouvement. La société utopique de Thomas More est profondément humaniste, il imagine une société juste et solidaire, fondamentalement communautaire.
Le projet est donc collectif et non pas individualiste, à l’opposé de notre société actuelle qui est totalement tournée vers le développement individuel, au détriment du collectif. Mais le communautarisme s’oppose à la totale liberté individuelle, chère à la modernité. Dans Utopia la liberté est encadrée par la responsabilité collective.
Thomas More avait déjà constaté les méfaits de la dictature de l’argent. Il imagine une société sans argent ni or, relégués comme de vils métaux sans plus de valeur que celle qu’on leur donne. Il affiche ainsi son mépris de notre notion de richesse dans ce passage célèbre : « Ils mangent et ils boivent dans de la vaisselle d’argile et de verre … En revanche, les pots de chambre et les récipients destinés aux usages les plus sales sont d’or et d’argent ».
Un autre aspect fondamental du livre repose sur le rapport étroit entre l’homme et la nature dans laquelle il vit en parfait harmonie et osmose. Ceci éveille notre intérêt à l’époque du tout artificiel, du tout urbain, du transgénique, du transgenre, d’une infinité de manipulations et de destructions du vivant qui chaque jour nous éloignent d’une nature mère dont nous sommes désormais orphelins.
Utopia renverse la hiérarchie de nos valeurs et ouvre la porte à d’autres possibles, très éloignés d’une certaine modernité dont nous sommes devenus les esclaves. Il s’agit, dans le projet de Thomas More, de reprendre notre destin collectif en main, au prix d’un certain abandon de nos libertés individuelles.
Responsabilité collective
Le projet d’une société idéale repose nécessairement sur un haut niveau éducatif, non pas dans le domaine de la technique et du savoir, mais dans celui du respect des autres, de la pensée collective et du vivre ensemble. Le développement personnel ne peut-être égoïste et centré sur soi, mais ouvert, dans le cadre d’une vie plus ou moins communautaire.
Chacun doit pouvoir se sentir responsable de la collectivité, comme d’une famille, et concourir à son épanouissement. Autrement dit, il ne peut y avoir d’épanouissement personnel sans épanouissement collectif, de la même façon que le corps est un tout indissociable de ses parties. L’individu n’est qu’un artisan du groupe et la réussite ne peut être que collective, comme chaque partie de notre organisme concoure à notre bien être global.
Pour adopter une telle perspective, il convient de modifier tout le système éducatif qui repose sur la compétition individuelle et la réussite personnelle. Il est peut-être temps de réfléchir à notre modèle et changer nos façons de penser ! Ceci ne peut se faire que dès l’enfance avec des parents conscients que notre insertion dans le monde suppose une intégration dans une communauté, et un système éducatif qui privilégie le collectif aux dépens de l’individuel.
Cette utopie là n’est pas simple à mettre en place et suppose un engagement de chacun pour la réussite de tous, comme dans une équipe sportive.
La solitude individuelle
Nul ne peut contester que la grande particularité des sociétés occidentales contemporaines réside dans l’égoïsme, l’égocentrisme et l’individualisme. La société tout entière est au service de notre petite personne qui est dorlotée, chouchoutée et protégée. Tout est mis en œuvre pour notre épanouissement personnel qui est prioritaire. Nos moindres désirs, nos multiples caprices et même nos fantasmes les plus fous méritent d’être pris en compte et, si possible, satisfaits.
Le fil conducteur de l’idéologie contemporaine est le refus de la frustration. Ni l’élève, ni le citoyen, ni le salarié, ni l’homme ou la femme n’acceptent la frustration, c’est-à-dire la non-réalisation de son désir. Finalement, l’individu est seul au centre de la scène et tous les regards doivent être tournés vers lui, dans l’attente de son prochain caprice ! L’individualisme conduit en fait à la solitude.
Car, de façon paradoxale, l’incapacité de supporter la frustration conduit à une frustration permanente et globale, à une insatisfaction existentielle et à une amertume qui génère un sentiment victimaire, face à une réalité qui n’est pas toujours tendre. La victime ne se sent pas responsable de ce qui lui arrive et elle tente de monnayer sa frustration en accentuant son côté victimaire.
La victime est le fruit d’une société qui a tout misé sur la satisfaction de l’individu qui ne supporte pas les difficultés de la vie qu’il vit comme un échec personnel. C’est pourquoi la victime est seule, car ses actions sont essentiellement tournées vers elle-même et sa vie n’a plus de sens. Ce n’est pas un hasard si la solitude est le grand mal du siècle !
Retrouver le sens
Vivre pour soi, travailler à son seul bonheur et donner la priorité à son épanouissement personnel, c’est se couper des autres et c’est renoncer au sens. La vie devient absurde lorsqu’elle n’est pas reliée à un ensemble plus grand, à une communauté, à un groupe, au monde vivant et à la nature tout entière.
La famille moderne, étriquée, recomposée, aléatoire et transplantée n’est plus le havre de paix où chacun pouvait se ressourcer et échanger de l’énergie. Les villes modernes sont peuplées de solitudes sans perspectives et repliées sur elles-mêmes.
Retrouver le sens de sa vie, c’est inscrire cette dernière dans un projet plus grand que nous-même. C’est participer à un projet collectif, c’est se sentir utile aux autres, c’est partager dans une communauté de pensée. Ce fut le projet des habitants de l’ile d’Utopia qui créèrent une société nouvelle dans laquelle la satisfaction collective constituait la condition sine qua non de la satisfaction individuelle.
C’est peut-être la voie que devront suivre les adeptes d’une nouvelle Renaissance, vivre en communautés structurées autour d’un projet de vie commun, au milieu de la nature, partageant les mêmes objectifs afin de retrouver le sens du sacré, c’est-à-dire cette capacité à s’émerveiller devant la beauté de la vie.
C’est un projet à la mode, une nouvelle et belle utopie de créer de nouvelles façons de vivre, plus frugales, plus collectives, plus humanistes, moins individuelles. Le sens de la vie se situe peut-être là, dans la communion avec les autres et avec la nature, pour le bien commun… Mais, c’est un projet aussi exigeant qu’excitant !