964 – VICES ET VERTUS DU NEOLIBERALISME

Pour se perpétuer, le capitalisme s’adapte en permanence à son environnement, comme le fait un être vivant. C’est ainsi que le libéralisme économique s’est transmuté en néolibéralisme pour échapper au risque que constituait le nationalisme et la démocratie, obstacles potentiels à la mondialisation et à la circulation transnationale du capital.

Le libéralisme économique est l’application, au domaine économique, des principes fondateurs du libéralisme : liberté, responsabilité, propriété.

Fondements du libéralisme économique

L’œuvre fondatrice du libéralisme économique, « La richesse des Nations » fut publiée en 1776 par Adam Smith, chef de file du courant libéral. Adam Smith explique la façon dont les actions individuelles influent sur l’intérêt collectif par sa théorie de la « main invisible », sensée réguler le marché de façon harmonieuse. Dans ses actes l’individu agit librement, dans son propre intérêt. En agissant ainsi, il concourt pourtant à satisfaire l’intérêt collectif. Les intérêts personnels se confondent avec les intérêts de la société, et se complètent les uns les autres (entre les différentes professions).

C’est donc à travers les échanges que l’économie générale fonctionne, grâce à une « main invisible », qui assure de manière abstraite les flux entre l’offre et la demande. « L’offre assure sa propre demande » selon l’expression du français Jean-Baptiste Say.

Le libéralisme économique repose sur une conception simple : lorsque chaque individu œuvre dans son propre intérêt, la somme de ces actions concourt à l’intérêt général. C’est donc la poursuite des « intérêts égoïstes » qui permet le bon fonctionnement général de l’économie. Pour assurer la liberté des actions individuelles, les libéraux cherchent donc à favoriser la défense des libertés économiques, et à offrir d’importantes libertés aux individus afin de favoriser la libre entreprise.

Néanmoins, le libéralisme économique ne conduit pas toujours à un monde aussi harmonieux que l’imaginaient ses concepteurs. Il est vite apparu, en particulier au XIXème siècle, que cela conduisait à un système régi par la loi du plus fort. Un libéralisme débridé a conduit à d’énormes inégalités et à l’apparition d’une haute bourgeoisie dominante qui écrasait une masse laborieuse prolétarienne, c’est-à-dire sans espoir de progression sociale et économique.

Ce sont ces abus qui ont conduit aux théories socialistes qui prônaient une régulation étatique afin d’obtenir une meilleure répartition des richesses, en particulier par le biais de l’impôt. Mais l’expérience a montré, à l’inverse, qu’une trop grande intervention de l’État conduit généralement à l’appauvrissement des populations, suite à un tarissement des initiatives individuelles.

C’est ainsi que le terme même de libéralisme économique continue de susciter la suspicion auprès de nombreux citoyens, en particulier en France, et génère des sentiments négatifs de rejets. Néanmoins, il est clairement évident que la richesse des nations et le niveau de vie des citoyens sont proportionnels au degré de libéralisme économique…

Il faut cependant accepter l’idée que la société parfaite n’existe pas et qu’un certain degré d’imperfection intervient. Il convient donc de jongler avec doigté sur le niveau minimum nécessaire de l’intervention étatique afin de prospérer au mieux. Il convient en particulier de garder à l’esprit, d’une part, que l’intervention de la puissance publique manque souvent de flexibilité, avec des objectifs souvent contradictoires et, d’autre part, les décisions sont prises par des individus qui n’assument pas personnellement, sur leur patrimoine, les erreurs éventuelles. Le recours à l’impôt venant combler les erreurs de gestion…

Le néolibéralisme

Le sens originel de « néolibéralisme » désigne un nouveau courant de pensée né au XXème siècle qui repose essentiellement sur une réduction du nationalisme et de la souveraineté nationale, remplacés par une mondialisation des échanges.

Dans son livre, « Mondialisation : la fin de l’Empire et la naissance du néolibéralisme », l’historien Quinn Slobodian affirme que le tournant néolibéral visait à « encastrer » ou à protéger les marchés du contrôle démocratique et à établir un ordre international assurant au capital la capacité de circuler librement au-delà des frontières.

Ainsi, la généralisation du suffrage universel et de la démocratie basée sur le principe de « une personne, une voix » créait une nouvelle série de dilemmes pour les néolibéraux qui craignaient que les citoyens imposent des freins à la libre circulation des biens et des capitaux. En effet, un certain nombre de pays, dont la France, avaient institué des contrôles des capitaux et des flux d’argent entrant et sortant du pays.

Est alors proposé un ordre mondial qui protège l’économie de l’interférence des gouvernements des États-nations. Selon les néolibéraux, comme Hayek et Buchanan, « une certaine souveraineté est accordée aux États par le biais de processus démocratiques et exercée par les gouvernements. Ensuite, ces gouvernements choisissent d’accorder leur souveraineté vers le haut à des choses telles que des accords contraignants comme l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ». On peut encore citer la Cour de justice Européenne ou l’Union Européenne elle-même et quantité d’instances d’arbitrage qui constituent un maillage serré qui restreint considérablement le pouvoir des États et donc des citoyens !

De fait, la souveraineté nationale se trouve dépouillée de ses prérogatives et devient « décorative » restreint à la culture et à quelques autres responsabilités. Certains néolibéraux, en particulier les adeptes du forum de Davos, tels Claude Schwab et Bill Gates, poussent l’idée plus loin jusqu’à « dissoudre le monde entier dans une seule entité politique ou un seul état. »

Il convient de replacer la guerre en Ukraine dans ce contexte qui est une tentative néolibérale pour imposer cet ordre mondial sous domination des USA et du dollars. La Russie et la Chine constituent un pôle qui s’oppose à cette gouvernance mondiale dans laquelle l’Europe a tout à perdre. C’est aussi en ce sens que la guerre en Ukraine est une guerre de civilisation. Si le Russie devait perdre la guerre, les Pays européens deviendraient de lointaines provinces vassales des USA…

Libéralisme et libre circulation des personnes

Au début du libéralisme, au XIXème siècle et aussi au XXème siècle, la libre circulation des travailleurs faisait partie intégrante de la doctrine économique. Au cours de ces périodes on assista à de très importants mouvements migratoires, de l’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest, de l’Europe vers les USA, des campagnes vers les villes.

Depuis la seconde guerre mondiale, la mobilité humaine est de plus en plus perçue comme une menace, surtout les énormes masses migratoires du Sud vers le Nord. Certains économistes comme Hayek finissent par reconnaitre que « nous devons être conscients du problème à court terme et probablement mettre des limites strictes à la migration pour le moment ».

Hayek fait l’analogie avec ce qui s’est passé à Vienne lors de l’arrivée massive de Juifs d’Europe de l’Est et de la Russie. Lorsque les Juifs sont arrivés ils n’ont pas pu s’assimiler rapidement et ils sont devenus une force perturbatrice, et leur présence à fini par produire de l’antisémitisme. Le même phénomène est en cours vis-à-vis de la migration en provenance d’Afrique, avec en outre un choc culturel de grande ampleur.

Néanmoins, beaucoup d’économistes néolibéraux demeurent fidèles à la doctrine d’origine. Ceci permet de comprendre la réticence de nombreux pays européens à restreindre l’immigration. Ils sont des adeptes de la mondialisation et d’une gouvernance mondiale exercée par une élite transnationale, apatride, dominant une masse indifférenciée de travailleurs. Ils renient la notion de nation et de souveraineté nationale…

Vers la fin du néolibéralisme ?

La situation politique et économique internationale s’est soudain transformée en 2022 au point que la liberté des échanges est remise en cause, suite à la guerre en Ukraine et à l’hostilité grandissante entre les USA et la Chine.

Les pays occidentaux, féodalisés aux USA, ont décidé unilatéralement d’interrompre les échanges commerciaux avec la Russie, même pour acheter des matières premières et de l’énergie pourtant indispensables à l’économie européenne. Cette décision historique constitue la première grande infraction au libéralisme moderne. Ce suicide collectif de l’Europe ouvre une période de grande incertitude pour le commerce mondial.

La compétition pour la suprématie technologique dans le domaine de l’électronique, de l’informatique et des micropuces indispensables pour les microprocesseurs des téléphones portables, des drones et des armes de précision, est devenue récemment un enjeu stratégique majeur entre la Chine et les USA.

La situation était tendue depuis plusieurs années et les USA avait déjà mis une limitation dans la vente de certains matériels jugés stratégiques. Début 2023, les Américains viennent de décider soudainement un embargo strict sur la vente de toutes sortes de micropuces dont ils détiennent un savoir-faire unique et spécifique.

Cette décision ouvre la voie à de probables mesures de rétorsion de la part de la Chine. L’ensemble de ces mesures restrictives crée un climat de suspicion et de contrôle des échanges, contraire aux principes du libéralisme dont le commerce mondial va pâtir durablement…

La mondialisation néolibérale permet de s’affranchir des contraintes démocratiques et nationales à travers des instances supranationales, quel que soit le gouvernement élu. Ce nouvel ordre mondial constitue les bases du capitalisme contemporain. Néanmoins, les récentes entraves au commerce mondial, imposées par les Etats-Unis, vis-à-vis de la Russie et de la Chine, constituent un tournant historique qui sapent les bases du libéralisme…

 

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