Que préférez-vous, une vie planifiée, rectiligne et sans danger ou une vie pleine d’aléas, de risques et d’incertitudes ? Certains aiment l’aventure et vivre dangereusement, d’autres ont horreur de l’inconnu et veulent une assurance tout risque pour vivre en paix…
Cette question peut paraitre triviale mais elle a des conséquences immenses non seulement sur nos vies individuelles, mais sur le fonctionnement des sociétés, sur l’économie et surtout sur l’évolution biologique de la vie, et en fin de compte sur la survie.
Dans les systèmes complexes dans lesquels nous sommes immergés, l’intervention croisée de multiples paramètres changeants et aléatoires rend la prévision illusoire, voire même utopique. Qui, au tournant du millénaire, aurait pu prévoir la situation économique, militaire ou sanitaire qui prévaut aujourd’hui ?
Autrement dit, les systèmes complexes ne fonctionnent pas comme une machine rationnelle, rigide et prévisible, mais comme un être vivant soumis aux lois du hasard et du désordre, dont la flexibilité assure la pérennité.
La vie biologique est le modèle
Le biologiste que je suis n’a jamais cessé d’être émerveillé par le processus de la vie, d’une infinie complexité, et par la façon dont elle s’est développée pour arriver à la casi perfection, au niveau d’une cellule vivante, d’un organe ou d’un individu, depuis la timide fourmi jusqu’à l’homme gonflé d’orgueil…
Il y a deux façons d’envisager la genèse de la vie. On peut imaginer un Grand Architecte qui a établi les plans de la vie et les a mis en œuvre, avec la somme infinie des détails, dans toute la diversité du possible, pour arriver à son chef d’œuvre, dont vous êtes, cher lecteur, le digne représentant !
L’inconvénient majeur de ce schéma réside dans sa fixité et sa rigidité. Chaque espèce serait prédéterminée une fois pour toute, quelles que soient les conditions de l’environnement. Dans cette hypothèse, de très nombreuses espèces auraient déjà disparues et quantité d’autres seraient appelées à s’éteindre par manque de capacités adaptatives.
La seule alternative possible, pour que la vie apparaisse sur terre et s’épanouisse comme elle l’a fait, c’est une bonne dose de flexibilité, d’adaptation, et d’aléas. Grand Architecte ou pas, la vie est flexible, elle évolue et s’adapte selon les lois du « hasard et de la nécessité ».
Depuis les théories de Darwin, jusqu’à la connaissance approfondie de la génétique, nous savons combien la vie est le fruit du hasard des mutations génétiques aléatoires qui permettent une adaptation permanente des individus ayant reçu, dans leur patrimoine, les mutations favorables. C’est selon ce processus que la vie s’est diversifiée et s’est complexifiée, tout en s’adaptant à l’extrême diversité des milieux.
Autrement dit, la vie est intrinsèquement pleine de dangers et d’incertitudes. La vie, comme les gènes, est égoïste. Pour que les mieux adaptés survivent, les autres doivent disparaitre. Il est douloureux de penser qu’une nature impitoyable est un facteur d’amélioration. Il y a des gagnants et des perdants ! D’une certaine façon, on peut dire que la vie exige que des individus soient sacrifiés au profit de la survie de la collectivité… C’est ce qui est à l’œuvre dans la résistance bactérienne aux antibiotiques par exemple…
Les sociétés humaines perdurent
Le même processus est à l’œuvre dans les sociétés humaines ou animales. L’économie est un bon exemple d’un processus complexe autorégulé selon l’offre et la demande. C’est ce qu’Adam Smith dénommait « la main invisible » qui régule le marché. Il peut arriver néanmoins que le système s’emballe suite à un accident de parcours, comme c’est aussi le cas avec le monde vivant, auquel cas il convient de faire des ajustements ponctuels.
Par définition, les lois du marché sont flexibles et adaptables lorsque l’environnement est modifié. Les entreprises mal adaptées aux changements périclitent et meurent. C’est le prix à payer pour assurer le progrès. Globalement, ce sont les erreurs des uns qui profitent aux autres lorsqu’ils savent modifier leurs façons de faire. Ceci fut vrai après le naufrage du Titanic comme après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima, et ceux qui périssent dans une catastrophe aérienne rendent moins probable un futur accident !
De façon paradoxale et cruelle, la faillite de nombreuses entreprises est un signe de bonne santé économique, surtout lorsque l’environnement technologique et économique change vite, comme actuellement. La tentative de sauver, coûte que coûte, des sociétés en péril est souvent contre-productive. Cette constatation amène l’économiste Nassim Taleb à nous asséner une formule iconoclaste dont il a le secret : « L’entrepreneuriat est une activité risquée et héroïque, nécessaire à la croissance et même à la survie de l’économie… La société moderne devrait rendre hommage aux entrepreneurs ruinés, comme on honore les morts au combat ».
La gauche française, qui pourfend les milliardaires et voudrait les exterminer, devrait méditer cette phrase. C’est comme s’ils voulaient pourchasser les biens portants, sous le prétexte qu’il y a des malades qui vont mourir ! Il est inutile d’honorer Bill Gates, Elon Musk, Bernard Arnaud ou Vincent Bolloré, mais il est stupide de leur tenir grief de leur réussite qui, de près ou de loin, profite à tout le monde.
La rigidité préfigure la mort
Tout ce qui va à l’encontre de la fluidité, de la flexibilité et de la souplesse ralentit le système qui devient moins performant. C’est pourquoi, chaque matin, je fais des étirements musculaires afin de m’assurer une meilleure capacité de mouvement, de pouvoir lacer mes chaussures plus facilement et diminuer le risque de tomber…
Les organisations rigides sont fragiles. Ceci est vrai au niveau d’un organisme vivant, au niveau d’une économie, comme au niveau d’un système politique. Les civilisations trop rigides se sont effondrées comme un château de cartes. Les Égyptiens, les Aztèques, les Mayas, l’Union Soviétique et bien d’autres avaient édifié des systèmes pyramidaux et planifiés qui n’ont pas résisté aux changements de paramètres.
Les systèmes socialistes qui prétendent prendre en charge la vie des gens, planifier l’économie, contrôler les entreprises et les initiatives privées, en voulant éliminer les risques et aléas, sont moins efficaces que les systèmes libéraux. L’accumulation de règles, d’interdits, de système de contrôle et de directives étatiques, inhibent l’initiative privée et bloquent les rouages d’un système complexe.
Dans certains pays, l’administration et la bureaucratie pèsent de tout leur poids pour ralentir ou retarder les changements et, par conséquent, entravent le développement économique et la prospérité. L’excès de stabilité, le manque de volatilité et la lenteur de la réaction face à un évènement imprévu sont des caractéristiques des supervisons étatiques. On peut dire que la prospérité d’un pays est inversement proportionnelle au poids de sa bureaucratie. La situation de la France est particulièrement préoccupante à cet égard puisque les dépenses publiques représentent 59% du PIB !
Dans une économie complexe, nul n’est en mesure de prévoir la portée de chaque décision arbitraire, même si elle est prise avec les meilleures intentions du monde. Comme un être vivant, l’économie doit être suffisamment souple et flexible afin d’être en mesure de s’adapter lorsqu’elle est confrontée à des pressions et des contraintes du marché. L’excès de règlementation coupe les ailes de l’économie.
On peut faire les mêmes remarques sur le plan politique. Une constitution souple qui laisse une marge de manœuvre à l’interprétation est beaucoup plus pérenne qu’une constitution dans laquelle tout est prévu et verrouillé, sans laisser de place à l’imprévu. Mais c’est précisément l’imprévu qui met à bas les systèmes politiques rigides. La constitution anglaise est un modèle qui est appelé à perdurer car elle suffisamment vague et imprécise.
Le modèle Chinois est intéressant car il est économiquement libéral, dans les apparences, mais très rigide et structuré sur le plan politique. On peut donc dire que son économie est moins fragile que son système politique, vulnérable face à l’imprévu.
Les États ne sont pas les seuls à mettre des obstacles à la souplesse et à la fluidité des échanges économiques, ce qui globalement appauvrit le pays. La démocratie amène parfois de la rigidité, surtout lorsqu’elle est devenue l’otage de partis politiques démagogiques. La situation française actuelle, au sujet de la réforme des retraites, illustre parfaitement ce phénomène.
En effet, il semble qu’une majorité de français soit opposée à l’allongement de la durée du travail, ce qui est pourtant une nécessité vitale et absolue si l’on tient compte de la situation démographique d’une part, et de l’allongement de l’espérance de vie d’autre part. Selon certains, la retraite à soixante ans serait un acquis social non négociable ! Cette rigidité conceptuelle est mortifère puisqu’elle conduirait, non seulement à la ruine de l’économie, mais à l’extrême pauvreté des retraités eux-mêmes…
Comme l’écrivait Machiavel, « un peu d’agitation donne du ressort aux âmes ; et ce qui fait vraiment prospérer l’espèce est moins la paix que la liberté ».
Rien n’est jamais acquis définitivement, tout est mouvant et mutable. L’inconnu est la règle dans tous les systèmes complexes. Pour perdurer, il convient de laisser la bride sur le cou, afin de donner assez de liberté à l’incertitude, à l’imprévu et au désordre. Ceci est vrai au niveau biologique, au niveau des individus, des sociétés et de l’économie. Il suffit généralement de fixer un cadre général, d’apporter un environnement favorable et de laisser le système s’autoréguler, et de n’intervenir que si le système dérape.
Très intéressante analyse . Au sujet du “Grand architecte ” , un livre passionnant : ” Dieu,la science, les preuves” de Bolloré et Bonassiès, ed. Trédaniel.
Merci ! Je vais lire ce livre…