La puissance des nations va généralement de pair avec un avantage technologique et organisationnel. Dans l’ère moderne, le niveau scientifique des nations a constitué un avantage déterminant pour asseoir leur suprématie. Elles périclitent lorsqu’elles perdent cet avantage.
Il y a une logique interne au déroulé de l’histoire de l’humanité et au fait que les empires peuvent devenir puissants mais qu’ils finissent par s’écrouler. L’histoire est globale et tous les évènements qui surviennent sont interdépendants. Le nationalisme est souvent le moteur qui stimule l’innovation et le désir de dominer ses voisins.
Toutefois la mondialisation est le carburant qui alimente le moteur de l’innovation. C’est souvent l’ouverture au monde, et la capacité à attirer les talents, qui permettent de profiter des inventions des autres peuples. C’est ce mélange de nationalisme et de mondialisation qui conduisent à la domination.
Le nationalisme motive les chercheurs, les industriels et les politiciens, grâce à l’esprit de compétition. Cette convergence d’intérêt rend ambitieux, imaginatif, créatif et entreprenant. Pour que le nationalisme soit un moteur efficace, il convient qu’il s’exerce dans un cadre assez libéral. L’innovation ne fait bon ménage ni avec la bureaucratie tatillonne, ni avec les interdits religieux trop dogmatiques, ni avec les économies dirigistes.
Le nationalisme peut être parfois odieux et dangereux lorsqu’il s’exerce de façon excessive, mais on ne peut nier qu’il redonne fierté et ambition aux peuples, ou qu’il donne des raisons d’entreprendre et des raisons d’agir. C’est ainsi que le moteur nationaliste va savoir trouver les ingrédients nécessaires à ses desseins : l’argent, les talents, l’énergie…
La mondialisation ne date pas d’aujourd’hui, elle n’a fait que se développer au cours des âges et elle a grandement facilité l’innovation à toutes les époques et dans toutes les parties du monde. Si l’Europe a joué un rôle décisif dans nombre d’innovations, depuis le siècle des lumières jusqu’à la fin du siècle dernier, elle a aussi profité des talents et des inventions en provenance des autres peuples d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique. C’est le mérite de l’historien James Poskett de penser l’histoire des sciences de façon globale, dans son livre fascinant « Copernic et Newton n’étaient pas seuls » qui a inspiré cette chronique.
S’il est utile et intéressant d’étudier les causes qui conduisent à la suprématie d’un peuple vis-à-vis des autres nations, il est aussi fascinant de comprendre les causes qui conduisent au déclin. Nous laisserons de côté les grands empires qui ont jadis dominé une partie de l’Occident comme l’empire romain ou la domination arabe, pour nous attarder sur l’ère moderne qui a vécu successivement la suprématie de l’Espagne, de la France, de l’Angleterre et des Etats-Unis.
Après avoir vécu en live l’effacement de l’Europe sur la scène internationale dans la deuxième moitié du XXème siècle, nous nous interrogerons sur le devenir de la puissance économique et militaire américaine qui domine le monde depuis trois quart de siècle. La grande question qui se pose pour le XXIème siècle est de savoir si la puissance montante de la Chine est de nature à provoquer un effacement de la domination des USA…
Puissance et déclin
Les institutions humaines semblent marquées par l’obsolescence. C’est sans doute la capacité des sociétés humaines à évoluer, à inventer et à se réformer qui les rend à la fois si puissantes et si fragiles. Rien n’est stable, rien n’est définitivement acquis et tout est en permanent devenir. Tout se passe comme si, à chaque nouvelle génération, les cartes étaient redistribuées, donnant à chacun sa chance d’améliorer son destin.
Disons que, contrairement aux sociétés animales qui sont relativement fixes, nous sommes victimes du progrès dont chaque nouveauté est susceptible de modifier les rapports de force entre les communautés. C’est la rançon du succès, dont l’espèce humaine a hérité lors du processus de son évolution biologique. Sommes-nous condamnés à dominer puis à décliner ?
Pendant des siècles, l’Europe fut à l’avant-garde des sciences et des techniques. Elle inventa la machine à vapeur, qui fonctionnait au charbon, et qui donna une suprématie à l’Angleterre sur terre et sur les mers. Les français furent à l’origine du moteur à combustion interne qui fonctionna à l’essence et qui subit, jusqu’à aujourd’hui, un grand nombre d’améliorations qui ont complètement changé le monde.
La maitrise de l’énergie nucléaire fut américaine et symbolise, en quelque sorte, le passage de témoin de l’innovation qui quittait l’Europe pour fleurir en Amérique… Après la guerre, l’Europe était anéantie, le Japon était à genou et la Chine faisait un grand bond en arrière avec la politique de Mao. Les européens ruinés n’avaient pas d’autres alternatives que de se tourner vers l’oncle d’Amérique qui les aida à se relever et les influença culturellement et politiquement. D’une certaine façon, on peut dire que l’Amérique s’est construite sur les décombres de l’Europe qui devint son vassal.
La domination américaine
Le 6 Août 1945 marque le début symbolique de la suprématie américaine. Ce jour-là, à la fois funeste et glorieux, un avion militaire de l’US Air Force déversa une bombe atomique dévastatrice sur Hiroshima qui fit 100.000 morts et des dizaines de milliers de victimes brûlées et irradiées qui moururent dans les mois qui suivirent.
Après une récidive aussi meurtrière sur Nagasaki deux jours plus tard, le Japon capitula. De son côté, l’Allemagne venait de capituler au mois de mai de la même année et l’Europe sortait anéantie d’une guerre fratricide qui l’a mise hors-jeu définitivement. La deuxième guerre mondiale était finie !
Les USA venaient de commettre l’acte le plus fou et le plus irresponsable depuis le début de l’humanité. A partir de cette date, tout devint possible y compris l’autodestruction de l’humanité. Les chercheurs et les ingénieurs américains venaient d’entamer l’ère nucléaire pour le meilleur et pour le pire, apportant à l’Amérique une suprématie totale. Pour combien de temps ?
Depuis les années 50, l’Europe ne fut à l’avant-garde d’aucune découverte scientifique ou technique importante et d’aucun mouvement d’idées susceptible d’influencer durablement et positivement son avenir. Avec une recherche et un système éducatif à la dérive, l’Europe perdit peu à peu ses meilleurs éléments qui immigrèrent aux USA. De la même façon, les pays européens demeurés sous l’emprise soviétique subirent une véritable fuite des cerveaux vers l’Amérique.
Toutes les nouvelles technologies que nous utilisons quotidiennement sont issues de la recherche américaine. Google, Facebook, Apple, Microsoft, Amazone, l’Intelligence Artificielle et quantité d’autres technologies se sont imposées à l’ensemble du monde sans aucune société européenne pour les concurrencer sérieusement. Nous pourrions longtemps épiloguer sur les raisons de cet effacement européen que nous déplorons souvent dans ces chroniques.
Il est particulièrement amer de constater qu’un grand nombre de chercheurs et d’entrepreneurs, qui sont à l’origine de ces succès, sont européens et ont fait leurs études en Europe ! C’est une véritable saignée que subit l’Europe, année après année, et on ne perçoit pas la fin de cet appauvrissement, tant les conditions de financement de la recherche et du développement y sont spartiates, mal organisées et dispersées ! Il manque à l’Europe une Silicon Valley et une véritable politique libérale …
Dans de domaine biomédical que je connais bien et dont je lis un grand nombre de publications scientifiques internationales sur le site pubmed.com, je suis affligé de constater qu’elles émanent essentiellement des Etats-Unis et de l’Extrême-Orient. Les publications d’origine européenne sont de plus en plus rares et les publications en provenance de la recherche française sont distillées à dose homéopathique !
L’affaire est entendue, l’Europe se trouve aujourd’hui dans une situation identique à celle qui prévalait dans les années 60 en Allemagne de l’Est, en Hongrie et en Tchécoslovaquie qui perdaient ses meilleurs éléments qui fuyaient le communisme. Ce fut une des causes majeures qui mena à sa chute…
Aujourd’hui l’Union Européenne est incapable d’innovation et désormais elle privilégie la régulation qui devient excessive à tel point qu’elle inhibe l’innovation. Ce cercle vicieux condamne l’Europe au déclin.
L’heure de la Chine
Une nouvelle guerre froide s’est installée entre la Chine et les USA, chacun enivré par un désir de puissance. Les empires veulent toujours être les dominants et dicter leur conduite au reste du monde, comme s’ils étaient happés par un délire mégalomaniaque qui leur interdisait d’accepter de vivre en harmonie avec d’autres puissances. Ni les USA, ni la Chine ne semblent échapper à ce funeste destin qui voudrait que l’un prenne l’ascendant sur l’autre…comme dans une cour de récréation !
Si la deuxième partie du XXème siècle entama l’ère de l’atome, depuis la bombe jusqu’aux centrales nucléaires, le XXIème siècle inaugura celui des énergies renouvelables, au premier rang desquelles on trouve l’énergie solaire, la plus prometteuse. Domaine dans lequel la Chine possède un avantage technologique prépondérant. Non seulement elle produit des panneaux solaires à un prix extrêmement compétitif, mais elle dispose d’une quasi-exclusivité pour la production de certains métaux rares indispensables.
L’énergie du charbon, puis du pétrole, permit d’asseoir la suprématie militaire et industrielle de l’Europe. L’énergie nucléaire donna à l’Amérique un avantage décisif. Il se peut que le XXIème siècle soit dominé par la maitrise de l’énergie solaire et du moteur électrique performant, au meilleur coût, ce qui peut propulser la Chine au premier rang…
L’avenir de la science et l’avenir de l’humanité sont intimement liés. Chaque année, la Chine dépose autant de brevets d’invention que l’ensemble du reste du monde. En 2017, le Parti Communiste chinois dévoila son « Plan de développement de la prochaine génération d’intelligence artificielle » de sorte que la Chine devienne le numéro 1 mondial de la recherche en Intelligence Artificielle (IA) en 2030. La Chine publie déjà plus d’articles sur l’IA que toutes les autres nations réunies, y compris les USA.
L’Intelligence Artificielle a le potentiel de transformer l’économie, bouleverser le marché du travail, et créer de nouveaux domaines de compétences. La nation qui dominera l’IA aura un avantage déterminant pour son développement économique. A l’inverse, les nations européennes qui ont déjà pris un retard considérable dans ce domaine seront handicapées et disqualifiées.
Dans le futur conflit concernant Taiwan, l’IA peut jouer un rôle prépondérant dans un conflit qui sera plus cybernétique que conventionnel. La Chine, qui aura développé tous les outils de reconnaissance faciale, sera en mesure de contrôler les populations, y compris à Taiwan. L’IA est déjà un outil largement utilisé pour la sécurité nationale et pour perfectionner les armes.
La Chine est également le plus grand producteur d’énergie solaire au monde, et le plus grand fabricant de voitures électriques. Par ailleurs, les informaticiens chinois font des percées majeures dans l’apprentissage automatique des ordinateurs. Et il n’y a aucune raison de croire que la prochaine grande découverte scientifique sera faite dans un laboratoire d’Europe ou des Etats-Unis. L’objectif de la Chine, en bref, est de remplacer les Etats-Unis en tant que première puissance mondiale et elle est capable d’enfreindre la loi pour y parvenir, en pratiquant l’espionnage industriel.
La sagesse devrait permettre aux USA et à la Chine de vivre en harmonie, mais les gouvernants sont rarement sages, ils sont souvent atteints d’un délire de puissance qui ne tolère pas la concurrence. C’est ainsi que nous sommes à l’aube d’une lutte entre la Chine et les Etats-Unis pour s’assurer une domination économique, politique et militaire. « Les défis sont de taille, et l’avenir de la science passe par l’obligation de trouver la juste voie entre mondialisation et nationalisme », conclut James Poskett.