993 – Où TROUVER DES RAISONS DE VIVRE ?

Notre société occidentale semble perdue et ne sait plus quelle direction prendre. Elle a abandonné ses principales valeurs traditionnelles et ressent le vertige du vide. Elle a renoncé à toutes les idéologies en même temps qu’elle a rejeté toute notion sacrée. Qu’est-ce qui peut fédérer une société qui se disloque ?

Les symptômes d’une société en perte de repères sont de plus en plus nombreux et nous manquons tous de convictions profondes pour aider les jeunes à trouver une voie qui les rassemble et qui les enthousiasme. C’est sur ce vide de sens que fleurissent des mouvements et des courants d’idées désespérés comme le wokisme, la cancel culture ou les LGBT+. Simultanément, nous assistons à une augmentation notable des suicides des jeunes et, aussi, à des consommations massives de drogues qui les avilissent et qui représentent une autre forme de suicide. La baisse drastique des naissances est un autre symptôme préoccupant pour l’avenir de notre civilisation.

Il nous faudrait une vision du monde qui donne sens et qui fédère nos énergies. Mais, avec le déclin des religions et l’effacement de la notion du divin, nos sociétés contemporaines, dominées par le rationalisme et la science, tentent d’introduire des notions d’universalité.

Religion et science

La religion, portée vers le surnaturel, le mystère et le merveilleux, n’a jamais fait très bon ménage avec la science dont le champ d’action est l’exploration pragmatique de la matière. La religion croit en une puissance omniscience invisible qui régule le monde, tandis que la science croit uniquement en ce qu’elle voit et ce qu’elle mesure.

Les religions ont dominé l’humanité depuis la nuit des temps et ont toujours imposé leur vision du monde, de gré ou de force. On peut dire que, jusqu’au siècle des Lumières en Europe, le consensus était global sur l’existence du divin, ce qui ne veut pas dire que chaque peuple n’avait pas sa propre vision et sa propre interprétation de ce qu’était Dieu !

Aujourd’hui encore, on estime que 85% de la population mondiale se réclament du religieux. La religion a façonné nos sociétés et la tendance au religieux fait partie de notre structure psychologique fondamentale. Les athées ne représenteraient que 12 à 15% de l’humanité.

Néanmoins, la modernité, qui se caractérise par le rationalisme et la pensée scientifique, s’est vite heurtée au subjectif et à l’irrationnel de la pensée religieuse. L’histoire moderne en Occident est émaillée de heurts, plus ou moins violents, entre les tenants de ces deux mouvements de pensée pratiquement irréconciliables.

Les pays européens, à l’avant-garde de la modernité, ont été les précurseurs d’un vaste mouvement rationaliste qui s’est éloigné progressivement de la religion, jusqu’à un XXIème siècle areligieux au cours duquel nous assistons à ce vide idéologique qui nous préoccupe ici.

Le cosmopolitisme

Certains ont pensé, de bonne foi, que ces deux idéologies antagonistes pouvaient coexister dans une sorte d’entente cordiale et de respect mutuel. Nous devenions citoyens du monde, capables d’être des rationalistes chevronnés et de continuer nos pratiques religieuses de façon privée.

Les athées et les adeptes des religions étaient supposés capables de discuter de façon courtoise et apaisée, sans se mépriser mutuellement. Cette belle idée pouvait être mise en pratique pour discuter du temps qu’il fait ou du prix de l’essence, mais guère au-delà ! Ce relativisme cosmopolite était une sorte de « politiquement correct » entre gens bien éduqués mais ne pouvait aboutir à une pensée commune créative.

Devant l’essor du rationalisme et le déclin du religieux, les grandes religions se sont vues menacées dans leur existence. Elle se sont raidies et certains membres se sont réfugiés dans une sorte d’intégrisme, comme dans un bastion protecteur d’où ils pouvaient mener des actions punitives.

C’est dans ce contexte que certains États Américains ont modifié les programmes scolaires pour y introduire une version édulcorée de la théorie de l’évolution, compatible avec la vision religieuse de la création. Mais les coups les plus durs sont venus de certains courants de l’Islam qui décrétèrent le Djihad à l’encontre des pays mécréants… Le 11 septembre 2001 fut une date clé qui marqua la rupture définitive entre les athées et les religieux.

Les rationalistes ont alors abandonné leur discours politiquement correct et ont diffusé des pamphlets sévères contre les religions à partir de 2004 avec « The End of Faith » de Sam Harris. Plusieurs livres de la même veine furent publiés dans les années suivantes dont le célèbre « Pour en finir avec Dieu » de Richard Dawkins. A cela il faut ajouter le « Traité d’Athéologie » du philosophe français Michel Onfray.

S’en était fini du cosmopolitisme et du politiquement correct. Une nouvelle guerre des religions était déclarée dans laquelle les rationalistes n’avaient plus rien à envier aux adeptes des religions sur le plan de l’intégrisme !

Idéologies ouvertes ou fermées

Certains ont prétendu que les religions sont responsables des pires massacres que l’humanité a connu et, selon eux, il suffirait d’abolir les religions pour assurer aux peuples des relations plus apaisées. Il est vrai que depuis la sainte inquisition jusqu’à Al-Qaïda des milliers d’innocents ont été tués ou torturés !

Mais c’est oublier qu’au cours de l’histoire les crimes les plus meurtriers ont été commis au nom d’idéologies laïques qui promettaient de créer un paradis sur terre : les nazis ont exterminé six millions de juifs au nom d’une théorie raciale, les purges staliniennes ont éliminé vingt millions de ressortissants et le régime de Pol Pot, au Cambodge, a supprimé trois millions de compatriotes afin d’imposer une version purifiée du communisme…

L’histoire du totalitarisme au XXème siècle illustre la propension des humains à rechercher une solution finale et définitive susceptible de résoudre tous nos problèmes. C’est ainsi que nous aimerions « recourir à une autorité au-dessus de toute critique. Cette autorité peut-être une révélation d’origine prétendument divine ou un ensemble d’affirmations issues d’un führer, d’un camarade, d’une Eglise ou d’un parti politique » résume Carlo Strenger dans « La peur de l’insignifiance ».

Toutes ces idéologies sont closes car elles sont censées être ultimes et définitives, hors de toute critique ou de toute révision ultérieure. « La solution finale » repose sur cette idée que l’humanité peut parvenir à une vérité définitive.

Cette distinction, entre idéologies closes ou ouvertes, a été faite par Isaiah Berlin dans son très beau traité intitulé « Deux conceptions de la liberté » paru en 1958. Notre tâche en ce XXIème siècle serait de tendre vers des idéologies ouvertes, des principes dont on ne peut assurer la pérennité mais qui peuvent néanmoins être sacrés. C’est la voie empruntée par le libéralisme. « Reconnaitre la validité relative de ses convictions, et pourtant les défendre résolument est ce qui distingue l’homme civilisé d’un barbare », écrivait Joseph Schumpeter.

A la recherche du sacré

Il est admis de façon assez unanime qu’aucune société ne peut fonctionner sans une notion de sacré. Nous pourrions dire, différemment, que l’irrationnel est le complément indispensable de la pensée rationnelle. La cohésion des sociétés, estime Durkheim, repose sur un but commun idéalisé qui acquiert une qualité sacrée.

La recherche d’une mission sacrée, à l’intérieur d’une idéologie ouverte, telle serait la tâche qui incombe aujourd’hui à l’humanité pour redonner le goût de vivre et préserver la civilisation humaine. Peut-on imaginer un système de valeurs universel susceptible de nous fédérer ?

L’évolution biologique tend vers plus de complexité. La logique darwinienne de la survie des individus les mieux adaptés a favorisé les principes organisationnels fondés sur la coopération plutôt que sur la compétition. Sur le même modèle, le nouveau système global de communications peut produire une nouvelle forme de conscience planétaire.

Sur ces bases, les générations qui viennent ont sans doute plus de chance que jamais de dépasser le sectarisme et l’intolérance pour se relier à une conception universaliste de l’humanité et de s’unifier pour une cause sacrée. L’objectif de préserver la civilisation humaine, ainsi que la planète qui l’accueille, est déjà une sacrée cause !

Œuvrer à un projet aussi grandiose qu’une conscience universaliste concernant l’ensemble des humains et leur intégration dans la nature, c’est redonner un sens formidable et sacré à la vie des nouvelles générations… Il se peut que l’humanité n’ait guère d’autre choix si elle veut éviter l’Apocalypse prévue par saint Jean et le retour à un monde clos mortifère…

L’humanité est aujourd’hui à un carrefour aussi fascinant qu’exaltant, mais aussi terrifiant ! La mise en commun de l’intelligence humaine via Internet peut permettre d’atteindre cette conscience universelle indispensable à notre survie. Est-ce un but sacré trop utopique ?

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Un commentaire

  1. Pour réconcilier science et sacré, un livre convaincant : ” Dieu, la science, les preuves ” de Bolloré et Bonassies ; Edition Trédaniel .

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