995 – QU’EST-CE QUE LA NORMALITE ?

Chaque époque a ses critères, ses modes et ses mœurs… Ce qui était anormal hier peut devenir normal demain aux yeux de la modernité ! Mais, existe-t-il une normalité intangible, universelle, irréfutable et qui ne puisse jamais être remise en question par une nouvelle idéologie ?

Nous avons parfois des jugements péremptoires sur ce qui est normal et sur ce qui ne l’est pas. Mais il suffit d’avoir un peu vécu pour devenir prudent dans nos appréciations sur la normalité. Bien souvent, la distinction entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas est floue et varie suivant les époques et les lieux.

Néanmoins, nous aimerions avoir quelques certitudes pour nous rassurer et pouvoir assoir nos opinions, nos jugements et notre vision du monde, sur des paramètres solides. Comment peut-on bâtir une société avec des lois ou une morale dans un environnement à géométrie variable ?

Sans normalité il ne peut y avoir ni vérité, ni jugement et tout devient incertain, mouvant, variable, dépendant de l’appréciation de chacun. Notre époque post-moderne est devenue très inconfortable parce qu’elle a remis en cause un grand nombre de nos certitudes sur lesquelles était basée notre vision traditionnelle du monde, sur ce qui était convenable de faire, de dire ou de penser…

La mode et les façons de vivre

Nous savons tous que, par définition, les modes varient suivant les saisons et les régions du monde. Il est normal aujourd’hui de se promener en short et en T-shirt dans des lieux où, autrefois, il fallait porter veston et cravate ou robe et chapeau.

Il fut une époque où les aristocrates portaient une perruque et les hommes se poudraient les joues. Cet accoutrement paraitrait aujourd’hui tout à fait anormal et même catalogué dans le registre du dérangement mental, bien que les juges Britanniques portent toujours perruque dans les tribunaux et paraissent sains d’esprit…

Il y a peu, il était tout-à-fait anormal et inconvenant de vivre maritalement ou de procréer sans être marié. La société dans son ensemble portait un jugement sévère sur ces filles-mères qui offensaient les bonnes mœurs. La normalité consistait à se marier avant d’avoir des enfants et la transgression de cette règle fondamentale jetait l’opprobre sur les contrevenants, parfois traités en parias !

Les sociétés humaines sont diverses et variées, chacune et à chaque époque suit ses propres règles avec détermination en étant persuadées qu’elles sont justes et immuables. Blaise Pascal nous rappela cependant combien tout est relatif : « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà »…

La morale et les lois fluctuent

Afin de mettre un peu d’ordre dans la société humaine les dirigeants politiques ou religieux ont toujours chercher à graver dans le marbre, telles les « Tables de le Loi », une morale officielle qui avait force de loi.

Qu’elles soient les lois édictées par le prince ou les lois républicaines issues du débat démocratique, les lois ne font rien d’autre qu’encadrer une morale qui s’impose à tous. C’est une façon d’officialiser des mœurs ou des coutumes afin de les rendre obligatoires, et leur assurer stabilité et pérennité. Des juges sont alors chargés de leur application stricte, assortie d’un panel de pénalités…

Malgré ces précautions, les idées et les mœurs continuent d’évoluer à grande vitesse au point que les lois sont toujours en retard sur les comportements des citoyens. Les lois s’adaptent et parfois édictent le contraire de ce qu’elles autorisaient ou interdisaient au préalable. Il est fréquent que l’anormal, qui était jadis interdit, se transforme en normalité recommandée.

J’ai connu l’époque où l’avortement était strictement interdit et pénalement puni ! Puis, sous les pressions des citoyens, la démocratie s’est adaptée et a non seulement autorisé l’avortement, mais il est remboursé par les caisses maladies. Les médecins qui refuseraient de le pratiquer sont même condamnés… Il s’agit donc d’un renversement complet de point de vue qui illustre la difficulté d’appréhender la normalité.

On peut faire une remarque semblable à propos de l’évolution de certaines sociétés vis-à-vis de l’homosexualité, considérée aujourd’hui par beaucoup comme faisant partie de la normalité. Le débat est ouvert quant à savoir s’il s’agit d’un comportement naturel ou pas…

Par ailleurs, la pédophilie, qui est aujourd’hui criminalisée, était tolérée dans certaines civilisations et considérée comme normale, il n’y a pas très longtemps, dans les milieux progressistes et intellectuels français.

Le domaine de la santé n’échappe pas à la variation des paramètres considérés comme normaux ou comme anormaux. Les modifications les plus remarquables ont été apportées aux normes de la tension artérielle et du taux de cholestérol sanguin. Trafiquer les normes rentre dans le savoir-faire des instances médicales et de l’industrie pharmaceutique ! C’est ainsi qu’ils fabriquent des malades afin d’améliorer le business… La définition d’un régime alimentaire normal est ainsi fluctuante à l’infini, selon les époques et les civilisations.

La nature est-elle un modèle ?

Il est parfois utile d’avoir recours à l’ordre naturel pour fixer la normalité et le simple bon sens est souvent une aide précieuse pour faire le tri entre ce qui est normal et ce qui ne l’est pas. Nous aimerions être rassurés et avoir des idées claires pour déterminer ce qui est normal.

La nature peut-elle être une source d’inspiration pour éclairer notre jugement ? Si je vois un homme marcher à quatre pattes je pourrais assez facilement qualifier ce comportement d’anormal car il est très inhabituel chez les humains, mais c’est la règle chez les autres mammifères…

Il ne viendrait à l’idée de personne de prétendre qu’un handicap physique puisse être qualifié de normal. Néanmoins, sous l’évolution des mœurs, des idées et des habitudes, certaines caractéristiques, qualifiées autrefois de pathologiques, entrent désormais dans la catégorie de la normalité. C’est le cas aux USA avec les personnes en surpoids, qui sont désormais si nombreuses qu’elles finissent par entrer dans la norme.

Les troubles psychiques sont plus difficiles à classifier. Certains comportements très aberrants sont qualifiés de pathologiques sans hésitation. Mais où commence et où finit la maladie ? Nous n’aurons pas la même réponse si l’on s’adresse à un élève de Michel Foucault ou à une personne ordinaire.

Nos mille et une névroses font-elles partie de la normalité ? Elles sont si fréquentes et si banales que nous les considérons volontiers comme normales, même si elles sont invalidantes, pour nous ou pour les autres, dans la vie de tous les jours. Un kleptomane est-il un homme normal ? La difficulté provient de ce que le même homme, plein d’intelligence et de bon sens, peut avoir dans certaines situations un comportement pathologique.

Il apparait ici que, très souvent, la normalité est insaisissable, mouvante et irrégulière. Tout parait relatif et l’on en vient à hésiter à qualifier un individu ou un comportement d’anormal. Nous finissons par pécher par excès de tolérance et tout finit par être permis. Nous avons parfois besoin de jugements péremptoires pour avoir une vision plus claire du monde et de les ériger en lois intangibles… Car, nous dit Pascal, « c’est une maladie naturelle de l’homme de croire qu’il possède la vérité ».

Mais en fait, si l’on en croit l’historienne Deborah Harkness, vouloir rechercher la normalité serait en fait un comportement anormal, mais une nécessité sociale, destinée à nous rassurer : « La “normalité”, c’est une fable que les humains se racontent pour se réconforter, quand ils sont confrontés à la preuve que presque tout ce qui les entoure est tout sauf “normal” ».

 

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