104 – DEMOCRATIES DISCREDITEES

Ceux qui ont lu le livre « Démocraties en péril », paru fin 2010, l’ont souvent trouvé « trop alarmiste ». Mais les mouvements sismiques de toutes natures, y compris dans les esprits et les cœurs, ont accéléré considérablement  un processus qui était déjà en cours. Il est dans l’histoire des accélérations soudaines qui précipitent les évènements, mais ceux-ci étaient déjà en germe.

Nous ne savons pas encore si l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient donneront le jour à de jeunes démocraties pleines d’espoir. Il ne faut pas se cacher que les difficultés seront immenses et nous aurions tort de nous réjouir trop vite. Les démocraties occidentales souhaitent le départ des dictateurs sans avoir aucune idée par qui les remplacer. On peut accepter l’intervention de la Ligue Arabe en Libye, mais l’intervention occidentale risque d’entraîner des conséquences qui iront à l’encontre du but poursuivi. Il n’est jamais bon de laisser nos émotions dicter notre conduite, aussi bien sur le plan personnel que sur le plan collectif. La participation Américaine est particulièrement mal venue lorsque l’on connaît l’image exécrable dont ils sont l’objet dans les pays musulmans. Si les choses traînent en longueur et s’enlisent, l’occident sera discrédité. Une fois de plus, les libérateurs risquent de passer pour des envahisseurs.

C’est devenu une caractéristique des gouvernements démocratiques que de surfer sur les mouvements d’opinion, fugaces, émotionnels et contradictoires. La lutte acharnée des habitants de Benghazi nous a tous ému à juste titre. C’est pour ces motifs émotionnels que les occidentaux sont entrés en action pour se donner bonne conscience. Ils font la guerre, sans la faire et tout en la faisant, afin de ménager tout le monde. Mais on ne fait pas la guerre à moitié, on la fait ou on ne la fait pas.Les démocraties faibles ne savent pas anticiper, ne savent pas prévoir et ne savent pas mesurer les conséquences de leurs décisions.  Les démocraties, par définition, ne savent pas déplaire aux peuples. Cette caractéristique est une faiblesse mortelle à une époque où la moindre conséquence est planétaire, dans un monde où chacun est relié par un réseau d’une extrême complexité et dans lequel les évènements se déroulent à la vitesse de l’éclair. Contrairement aux discours d’autosuffisance de nos médias et de nos gouvernants, nos démocraties faibles sont à bout de souffle !

Un symptôme, parmi beaucoup d’autres, réside dans le discrédit total dont jouit la classe politique dans son ensemble au niveau européen. Ainsi je lis dans la presse espagnole que 75% des jeunes expriment un égal rejet des représentants politiques du gouvernement comme de l’opposition. Il apparaît en effet que les politiques sont considérés avec un grand mépris, à la fois pour leur manque d’intégrité et leur totale incompétence. Non seulement ils sont nombreux pour se servir du pouvoir à des fins personnelles, mais ils bénéficient généralement d’une grande mansuétude de la part du pouvoir judiciaire. Mais ceci ne serait que des pêchés véniels dans l’esprit des citoyens. Une succession d’évènements récents se sont enchaînés pour mettre en évidence de graves lacunes dans la gestion des affaires publiques.

Les incompétences des politiques sont apparues à la lumière de la crise récente. Les gouvernants de la majorité des pays européens ont contracté des dettes énormes pour acheter les voix des électeurs, au niveau local, régional et national, sans jamais se préoccuper des moyens de rembourser. Ces mêmes politiques ont été incapables d’anticiper la crise économique qui s’est abattue sur nous et se sont révélés de très mauvais gestionnaires. Enfin, ils demeurent incapables de prendre les mesures nécessaires pour sortir les pays d’une crise qui s’aggrave de mois en mois. C’est pour ces raisons que 91% des Espagnols ne croient ni à l’honnêteté, ni à la capacité des hommes politiques pour les sortir du pétrin. Selon un sondage, publié dans El Païs, 90% des Européens font peu confiance ou aucune confiance aux politiques.

Je reste persuadé que les démocraties faibles, telles que nous les connaissons, ne survivront que si nous savons les réformer en profondeur. Seule la démocratie directe, qui consiste à consulter le peuple pour chaque décision, est de nature à sauver nos démocraties. La démocratie directe a l’immense avantage de rendre le peuple responsable de ses décisions et d’éviter la démagogie. Sinon, nous nous enfoncerons inéluctablement dans une sorte de « douce anarchie » dont sauront profiter une poignée de petits malins.

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5 commentaires

  1. Hello Yves,

    Je suis tout à fait d’accord avec toi.
    Je rajouterai cependant ceci: les citoyens ne font pas confiance à la classe politique, c’est vrai ! Je pense que ce qui fait principalement défaut à nos démocraties aujourd’hui, c’est la consistance, l’engagement et la cohérence.
    En fait, c’est d’un peu de morale, au sens le plus noble du terme. Ce qui est valable dans l’éducation ou encore le management, doit l’être a fortiori dans la gouvernance d’un pays et en matière de relations internationales.
    Là où les diverses interventions et ingérences occidentales posent problème, c’est qu’elles s’inscrivent dans un système d’injonctions paradoxales. Comment prétendre défendre les courageux rebelles lybiens quand on a précédemment vendu des armes au dictateur qui les oppresse ?

    Entre realpolitik et réactions émotionnelles, aucune action ne peut être basée sur des bases solides. Il est donc important de réintroduire et prôner des vertus morales, au sens philosophique du terme, même si notre goût pour l’immédiateté et les plaisirs narcissiques n’aime pas en entendre parler…

  2. D’accord pour les vertus morales. Mais je crois davantage au bon sens. Si je me fais l’avocat de la Démocratie Directe, c’est que je pense que le peuple a plus de bon sens que les politiques car ceux-ci ne cherchent qu’à nous plaire et hypothèquent l’avenir pour se faire élire. Jamais le peuple, s’il avait été consulté, n’aurait décidé de dépenser plus qu’il ne gagne; jamais il n’aurait permis au secteur financier de s’enrichir en spéculant sur le travail des autres; jamais il n’aurait permis à des pays endettés et à l’économie faible de prendre l’Euro comme monnaie; jamais il n’accepterait de payer les dettes des pays qui ont triché sur leurs comptes….etc…

  3. Ok pour le bon sens, mais faut-il encore qu’il soit… “bon” !
    Tu prends le modèle suisse en référence car, je suis d’accord avec toi, c’est sans doute un des modèles démocratiques les plus matures qui existe aujourd’hui. Mais appliquer tout de go le même système en France par exemple, alors qu’il n’y a au fond aucune culture et éducation citoyenne responsable, alors que cela fait des années que le peuple se laisse endormir par les bonimenteurs, alors que ceux qui disent non systématiquement dès que l’on approche de leurs “acquis” sont les seules voix (creuses) dissonantes, alors que je n’ai jamais entendu un “assez” même noyé sous les grèves, alors que tous les pouvoirs sont de plus en plus concentrés dans les mains de quelques uns, alors que personne en Europe n’a manifesté dans la rue devant la révélation des scandales financiers lors de la dernière crise… et bien cela serait sans doute pire. Car si nous avons des politiques qui ne savent jouer que sur la corde émotionnelle ou en stimulant le faisceau de la récompense (à court-terme), c’est bien que le système est bien rôdé et que cela séduit le peuple.

    De la même façon qu’un enfant qui part à la dérive car l’éducatif est laxiste et sans valeurs, la majorité des peuples veulent aujourd’hui des satisfactions à court terme, pour nourrir leur narcissisme en général. Si cela résiste, s’il y a frustration, on fait une crise pour faire céder ! Un recadrement est bien-entendu nécessaire, mais il ne doit pas être fait en force, mais avec fermeté et une vision, une exigence qui faire tendre vers le haut. En cela, la Morale a toute sa place !

  4. Suite au message d’Andy nous constatons que David Brooks est modérément optimiste pour l’installation rapide d’une démocratie en Egypte; ce pays est englué dans une bureaucratie qui inhibe toute initiative et paralyse le moindre mouvement !!!

    Par ailleurs j’ai apprécié le commentaire de Sébastien qui recoupe mon analyse….avec quelques nuances.
    En effet je suis plus optimiste que lui quand à l’efficacité de la Démocratie Directe pour rendre le peuple plus mature et plus responsable. C’est comme avec un enfant que l’on maintient sous tutelle et que l’on empêche ainsi de prendre ses responsabilités. C’est la démocratie représentative qui rend le peuple infantile et sous la dépendance d’une oligarchie qui s’occupe plus de ses propres intérêts que de ceux du peuple.

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