L’Andalousie est comme un creuset chauffé au rouge par le soleil de l’été et où, durant 30 siècles, vinrent se confondre les civilisations d’Afrique et d’Europe. Il ne s’agit donc pas ici de couches sédimentaires qui se seraient succédées, mais d’une véritable fusion d’où naquit un peuple, une culture, un art de vivre. C’est un pays de mélanges, de croisements et de métissages ; rien n’y est pur, ni les hommes, ni la langue, ni l’architecture, ni la musique, mais tout y est unique, chaud comme la vie, brûlant encore la passion, incandescent comme le soleil.
Depuis les Phéniciens et les Carthaginois tant de peuples et d’envahisseurs laissèrent en héritage leurs arts et leurs coutumes qui se mêlèrent au fil des siècles pour donner naissance à autant de cultures nouvelles. Les Romains y étendirent leur empire dès le IIIe siècle avant Jésus-Christ grâce à Scipion l’Africain. L’Andalousie fut à maintes reprises le berceau de la destinée de Rome: Jules César vint y combattre Pompée et ses partisans, plus tard naquirent à Italica, à quelques kilomètres de Séville, l’empereur Trajan puis l’empereur Hadrien. On dit que les Vandales, bien vite supplantés par les Wisigoths, donnèrent leur nom à Vandalucia. Mais peut-on, pour chaque nouveau venu, parler de conquête tant l’envahisseur est souvent bien accueilli ? Ainsi l’arrivée des Arabes en 711 se fit sans réel combat comme s’il était de la nature des choses et de l’histoire que l’Andalousie appartint à tous ou à personne, en tout cas pas à ses habitants, comme s’il suffisait d’y vivre pour être heureux. Ainsi pendant plus de huit siècles se développa une civilisation originale, à la fois européenne et musulmane, sans lien de dépendance avec l’Orient. Le califat de Cordoue fut un empire à lui tout seul et rayonna de sa propre lumière à travers toute l’Europe. Une fois de plus l’Andalousie ne fut pas une terre conquise mais un creuset qui donna naissance à une culture originale.
La reconquête des rois très Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon à la fin du XVe siècle changea les coutumes et les croyances mais l’âme andalouse garda son originalité, comme si personne ne pouvait réellement la posséder. Elle continua à produire, d’une génération à l’autre, ses poètes, ses peintres et ses musiciens. Les mosquées devinrent des églises mais l’art andalou continua de créer ; le castillan remplaça l’arabe mais les poètes continuèrent de chanter, tel le « divin » Fernando de Herrera ou Luis de Gongora. Est-ce un hasard encore si l’école andalouse donna les plus grands noms de la poésie espagnole du 20e siècle. À Séville, à Cadix ou à Grenade l’air vibre encore des noms de Juan Jamon Jimenez, d’Antonio Machado et de Frédérico Garcia Lorca. La lumière chante aussi Francisco Zurbaran ou Esteban Murillo dont les certitudes religieuses sont encore émouvantes. Mais c’est peut-être dans les nuits andalouses que l’émotion atteint sa plénitude à l’écoute de la musique colorée d’Isaac Albeniz ou de Manuel de Falla.
Telle est l’Andalousie avec son histoire, comme un long poème, qui parcourt les rues, qui bruisse dans les patios, qui chuchote sur les places ombragées et qui médite derrière les vieux murs mudejar. C’est l’Andalousie que l’on connaît et qui se laisse apprivoiser, l’Andalousie qui rayonne depuis des siècles vers tous les horizons, l’Andalousie qui laissa partir ses plus grands navigateurs vers le Nouveau Monde.
Mais il est une autre Andalousie plus fermée et mystérieuse, impénétrable comme un alcazar, une Andalousie réservée aux andalous qui sécrète une émotion intraduisible aux étrangers. Il s’agit de l’Andalousie de la corrida et du flamenco. C’est dans l’arène au moment de la mise à mort que vibre l’âme énigmatique de ce peuple, mais c’est aussi dans les nuits embaumées lorsque s’élève le cante jondo : en ces instants sacrés, on mesure tout ce qui nous sépare. Jamais on ne se sent plus étranger lorsque le gitan égrène sa guitare et qu’il chante pour lui-même, de sa voix rauque et éraillée, une éternelle poésie faite de douleur, qu’il hurle avec délice et joie. Derrière l’exubérance bruyante et tapageuse de la corrida et du flamenco se cache peut-être le vrai secret de l’Andalousie, comme une blessure qui saigne et que l’on ne veut pas montrer. Malgré la lumière et le soleil, malgré les chants et les danses, l’âme andalouse renferme avec pudeur une tristesse infinie et sa vie n’est qu’une longue complainte.
Holà Yves ! Que tàl ?
Juste un petit mot pour dire que c’est un très beau texte ! Manifestement, l’Andalousie te touche beaucoup: c’est la première fois que je te lis, écrivant avec autant de lyrisme… Le cerveau droit a pris le dessus !
Bises,
Et pour les amateurs de mélanges culturels et de flamenco, voici une excellente collaboration entre Diego Cigala (chanteur Flamenco) et Chucho Valdès (pianiste cubain):
Merci pour tes commentaires et pour le beau morceau que tu nous offres en partage…