772 – LA PRISON NUMERIQUE

Internet était un rêve de liberté. Il est devenu le règne des fake News dans lequel nous sommes espionnés, flicqués, manipulés et marchandisés, prisonniers des algorithmes.

Nous rêvions d’un monde transparent

Nous voulions tout savoir sur tout le monde. Nos esprits suspicieux voyaient le mal partout et il convenait de le débusquer, par tous les moyens, même par la délation que certains gouvernements ont officialisés.

Nous y sommes, désormais, Il n’y a plus de vie privée, plus d’intimité, plus de mystères, plus de secrets possibles. « Tout ce qui devait rester entre nous était désormais à portée d’un clic. Et l’humanité entière cliquait, fascinée. » Telle est la description faite par Antoine Jacquier dans son nouveau roman d’anticipation « Simili Love ».

Dans une précédente chronique, j’avais imprudemment relevé les pièges cachés dans cette transparence institutionnalisée, tout azimut. Je relevais les risques de cette transparence qui pouvait devenir destructrice de l’individu, désormais fliqué, fiché, noté, suivi à la trace, y compris à l’aide de la reconnaissance faciale. (Chronique 756 « Transparence : arme de destruction massive ? ». Mais certains lecteurs m’ont reproché mon goût pour les jardins secrets et la vie intérieure !

Que ces lecteurs se rassurent : Big data is controlling you ! Non seulement il sait tout sur vos désirs, vos goûts et vos opinions, mais il filtre l’information à laquelle vous avez droit.

Internet était un rêve de liberté

A ses débuts, Internet nous a fait rêver. Nous y avons vu un formidable espace de liberté, d’échange d’informations et d’idées. Nous y avons vu la possibilité d’un pouvoir horizontal qui allait remplacer le pouvoir pyramidal écrasant dans lequel nous n’avons pas notre mot à dire. Les citoyens allaient devenir libres et responsables.

Certains chercheurs de la Silicon Valley ou du MIT ont enfourché ce rêve de transparence et l’ont confondu avec la liberté d’expression. Ils ont cru que l’on pouvait tout dire, tout divulguer, tout mettre sur la place publique, les publications scientifiques confidentielles comme les données secrètes de la NSA.

Beaucoup d’entre eux étaient des rêveurs idéalistes, super-doués mais manquant de bon sens. Tel Aaron Swartz qui se permit de poster sur les réseaux les travaux scientifiques du MIT. Il écrivit en 2008 le « Manifeste pour la guérilla pour le libre accès», dont le projet était de livrer au monde entier, et en particulier aux pays en développement, les connaissances techniques et scientifiques. « Nous avons besoin de récolter l’information où qu’elle soit, d’en faire des copies et de la partager avec le monde ».

Ce rêve ainsi exprimé était un brûlot qui allait inspirer de nombreux hackers. Il inspira Edward Snowden, Julian Assange, Chelsea Manning qui dévoilèrent au monde les turpitudes cachées des puissants. Aaron Swartz s’est suicidé après avoir été harcelé par le FBI, Assange et Snowden sont en fuite. Manning a été gracié. Personne n’est descendu dans la rue pour les défendre !

Leur erreur fut de confondre transparence et liberté d’expression ! Grâce à eux nous avons compris que la Transparence est comme une vitre sans tain, on voit tout ce qu’il y a dehors quand on est à l’intérieur, mais tout est opaque lorsque l’on regarde depuis l’extérieur.

La transparence est devenue une exigence pour les citoyens, imposée par les puissants pour mieux les contrôler. L’opacité de ceux qui nous contrôlent reste épaisse… et ne cherchez pas à l’éclaircir !

La manipulation de masse

Le premier qui a tiré la sonnette d’alarme fut le célèbre britannique Tim Berners-Lee, l’inventeur du Web en personne et militant de l’Open accessde la première heure. Il plaide pour que toutes les institutions libèrent leurs données. C’est avec lui que le jeune prodige Aaron Swartz fait ses premières armes.

En 2017, il constate que le Net ne développe pas son vrai potentiel d’outil au service de toute l’humanité : les fausses nouvelles, la publicité politique et l’usage abusif de données personnelles polluent le réseau. Après la campagne électorale américaine de 2016 au cours de laquelle 50.000 annonces différentes ont été affichées sur Facebook chaque jour, il écrit : « La publicité ciblée permet à une campagne de dire des choses complètement différentes, peut-être contradictoires à des groupes différents. Est-ce démocratique ? » 

Désormais, nous sommes en permanence soumis à des informations « spécialement orientées », générées par des robots qui cherchent à influencer nos opinions, non seulement pour voter mais pour acheter. Sur Internet on ne sait plus qui croire, à qui peut-on se fier?

« Internet, personne n’est libre. La démocratie n’existe pas. L’argent fait la loi. Il est la loi. Il faut changer le code ultime, la Constitution » écrit Flore Vasseur dans son très beau livre sur la vie brève du génie tourmenté Aaron Swartz : « Ce qu’il reste de nos rêves ». Elle poursuit, j’observe mes semblables « cliquer » l’abandon de leurs libertés et faire naufrage dans leurs écrans… et s’incliner devant la mise à sac de la démocratie.

La surveillance de masse

Il faut se rendre à l’évidence, Internet a fait peur aux gouvernants car il constituait « la porte dérobée vers leur tricherie et leur petitesse. C’est l’ultime opération bas les masques ». La cyberguerre était ouverte !

Dans cette guerre, les citoyens ont eu un avocat brillant, professeur à Harvard, Larry Lessig, auteur, dès1997 de « Code is law » : « La loi doit protéger les individus contre les abus de pouvoir, comme le code doit protéger les internautes des firmes. Et non l’inverse. Le code fait loi car lui seul détermine s’il est facile ou non de protéger la vie privée ou de censurer la parole ».

Puis il y eu le 11 Septembre et la War on Terrordéclenchée par George Bush Junior qui sera la guerre contre toutes les libertés, au nom de la sécurité. Le code va parler et violer la vie privée. Avec le Patriot Act, « la NSA tourne son arsenal de surveillance de ses ennemis contre sa population et celles de ses alliés. L’Internet bascule et devient légalement un outil de flicage en règle des populations », commente Flore Vasseur.

Elle poursuit en ces termes : « Au nom du terrorisme, il s’agit de tout savoir, de tout prévoir. A terme, en mettant la main sur les données personnelles, le Patriot Act offre au capitalisme sa dernière allumette, le Big Data. En fusionnant, économie de marché et Etat d’urgence accouchent d’un marché de plus de cent milliards par an : le capitalisme de la surveillance ». Internet s’est militarisé et nous sommes asservis…

L’Intelligence Artificielle est aujourd’hui utilisée pour anticiper nos comportements et prévoir ce que nous ne savons pas encore sur nous-mêmes, en analysant les réseaux sociaux. Il existe des logiciels prédictifs pour les forces de police qui anticipent nos passages à l’acte. L’IA peut prévoir 7 ans avant vous, ou votre médecin, si vous aurez une maladie de Parkinson ! En ce qui concerne votre vie personnelle, Big data pense pouvoir bientôt pouvoir anticiper votre prochaine rupture amoureuse, avant que vous n’en soyez vous-même conscient !…

Désormais les GAFA accaparent les ressources en intelligence et pensent à notre place. « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley ne cesse de nous interpeller tant il décrivait si parfaitement notre monde, en 1932 : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient même pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude ». Du pain et des jeux, voilà finalement ce qui contente les peuples…

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2 commentaires

  1. notre défense, dans tout cela, c’est de rester conscients de ce que nous faisons, de ne pas nous laisser piéger dans la toile comme des mouches, sachant que la world wilde best est aux aguets, et d’être conscient aussi quand nous nous laissons aller à une tentation en sachant très bien qui est derrière tout cela, que nous acceptons de jouer à un jeu de dupes – c’est le meilleur moyen de nous auto-vacciner contre les dangers de tous ces virus.

    1. Vous avez raison sur ce point de vue, mais il ne faut pas oublier les informations censurées qui n’arrivent jamais jusqu’à nous et qui sont souvent très importante !…

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