804 – LES OUBLIES DE LA REPUBLIQUE

Ils sont nos racines, ils nous nourrissent, c’est chez eux que nous allons nous ressourcer lorsque nous sommes épuisés et ils font de nos campagnes un jardin magnifique. Pourquoi les avons-nous délaissés comme de vieux parents encombrants ?

Vous l’avez compris, ce sont nos paysans, ces oubliés, ces damnés, ces pollueurs que nous accusons de tous les maux! Ils étaient des exploitants agricoles et, en une génération, ils sont devenus des exploités agricoles !

Qui va se soucier d’eux ? Leur poids électoral est désormais trop faible, ils ne représentent plus que 3,6% de la population française, 1,7% du PIB, presque rien. Il reste 440.000 exploitations agricoles contre 3 millions en 1960 et 70.000 fermes attendent un repreneur.

40% des agriculteurs ont plus de 55 ans et beaucoup sont dans la misère avec, d’année en année, des revenus qui s’amenuisent. Nos dépenses alimentaires se sont considérablement rétrécies et ne représentent plus que 16% de nos dépenses totales, au profit des loisirs et de la santé. Et pourtant, si nous mangions mieux, nous serions moins malades !

Notre alimentation se dégrade et nous voulons toujours payer moins cher, la qualité s’en ressent, comme si l’entretien de notre corps n’avait pas d’importance et était pris en charge par la sécurité sociale.

Dans ces conditions, la grande distribution fait pression sur les prix des produits agroalimentaires et, finalement, ce sont les agriculteurs qui font les frais de la guerre des prix. Ils deviennent la variable d’ajustement, s’il faut baisser les prix de 10 centimes, c’est toujours sur la marge du paysan qu’il faut les prendre.

Les paysans ne peuvent faire grève, cela rimerait à quoi ? Ils peuvent déverser des milliers de litres de lait devant les préfectures, mais qui s’en soucie à Paris ? Ils peuvent barrer les routes, mais ils deviennent vite impopulaires. Les media ne se préoccupent que des enfants gâtés de la république qui ont un fort pouvoir de nuisance et qui, grâce à cela, ont obtenu des avantages majeurs (le trio privilégié : fonctionnaires, EDF, SNCF).

La démocratie est à ce point pervertie, qu’il faut saccager, saboter et tout casser pour se faire entendre !

La mondialisation

Si les paysans ne sont pas contents et protestent, les grandes enseignes peuvent acheter ailleurs, en Chine, aux USA, en Amérique Latine… Le monde est grand ! La grande distribution est prête à toutes les trahisons pour économiser 1 centime sur une tonne de lentilles !

Dans certaines enseignes, il est impossible de trouver un haricot ou une lentille qui viennent de France. Le plus souvent cela vient de Chine, y compris en bio. Mais qui regarde les étiquettes ?

Dans le même temps, le gaspillage alimentaire atteint des sommets. Un tiers des aliments ne sont pas consommés ! La responsabilité est partagée à tous les étages des intermédiaires, transformation, distribution, restauration et ménages. Nos aliments sont aujourd’hui si bon marché, et en telle abondance, que nous ne les respectons plus. Dans nos pays, chaque personne jette en moyenne 90 kg d’aliments à la poubelle chaque année. Ce mépris est aussi une façon de mépriser celui qui les produits.

Le projet de libre-échange avec l’Amérique Latine, le CETA, que la France est sur le point de ratifier, constitue la grande peur des exploitants agricoles. Comment peuvent-ils soutenir la concurrence avec des pays comme le Brésil où le niveau de vie est inférieur, donc les coûts moindre, mais surtout qui ne respectent pas les mêmes règles sanitaires ?

La mondialisation a déjà laminé l’industrie française, elle fera de même avec l’agriculture qui est à bout de souffle. Les chinois achètent déjà des terres à bon prix, comme ils viennent de le faire en Berry où ils ont acheté 2600 hectares de bonnes terres labourables, en contournant le feu vert de la SAFER, comme il est normalement demandé aux paysans ! Il y a deux poids, deux mesures, comme toujours !

L’agribashing

On accuse les paysans de tous les maux. Des dizaines d’intrusions violentes dans les fermes d’élevage ont déjà eu lieu de la part d’écologistes bien nourris et bien payés, comme si la chasse aux paysans était ouverte ! Le sectarisme des mouvements écologiques atteint le paysan dans sa dignité. « Ce paysan qui se sent vite l’objet de mépris et qui amasse une rancœur amère, exprimée par sa jalouse tristesse… », écrit Daniel Halévy dans ses Visites aux paysans du centre.

Oui, l’agriculture moderne pollue les sols et les eaux de façon grave et extrêmement préoccupante. Oui, il est possible de cultiver autrement, mais plus cher ! L’agriculture bio, que je préconise depuis des dizaines d’années, ne peut s’imposer que si l’on met des barrières douanières à l’importation ! Or, c’est tout le contraire qui se prépare, les écologistes ne sont pas cohérents. Il est absolument impossible de produire mieux et plus cher et, dans le même temps, ouvrir toutes grandes ses frontières. Il faut choisir !

Comme si tout cela ne suffisait pas, la meute anti-chasse s’en prend violemment à cette pratique éminemment rurale et qui demeure un des rare loisir des agriculteurs. Nous sommes tous pour la protection des animaux, mais soyons raisonnables. Je propose que la chasse soit réservée exclusivement aux exploitants agricoles sur leurs terres. Il leur appartient de gérer leur flore et leur faune avec responsabilité. La chasse industrielle avec rabatteurs et lâchés de faisans, où les riches urbains viennent promener leur bedaine, n’a plus de raison d’être.

Le drame de la France, c’est qu’elle est gouvernée par des bobos urbains, diplômés d’écoles hors-sols, très loin des réalités qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne cherchent pas à comprendre. Nous sommes dirigés par des algorithmes qui ne voient qu’à court terme et ne mesurent pas les dégâts collatéraux.

Il appartient aux politiques et aux consommateurs d’aider les agriculteurs à réformer leurs pratiques de fond en comble. Ils méritent notre estime. Nous devons revoir aussi notre façon de consommer. L’agroécologie est la seule voie d’avenir et il faut en accepter les contraintes. J’ai déjà abordé ce thème dans ma chronique 536 « La nouvelle révolution agricole » qui fait l’éloge de la permaculture.

N.B. Vous pouvez aussi trouver matière à réflexion dans la chronique 686 – Comment nourrir la planète ?

 

Ne manquez pas les prochains articles

4 commentaires

    1. Bonjour,
      Le métier est bien mal en point effectivement. Notre fils, éleveur de Charolais, était passionné de génétique et avait un beau cheptel, malgré cela, depuis longtemps il n’arrive plus à se dégager de salaire, mais là c’est la dégringolade … il vend sa viande moins cher au kilo que, nous ses Parents, la vendions il y a trente années, voire plus … Je peux vous dire que sa passion s’est bien émoussée …Et que faire ? tous sont dans le même bateau et comme anesthésiés !
      Merci de m’avoir lue.

      1. Merci pour votre témoignage qui illustre mon propos. La grande majorité de la population urbaine est aujourd’hui coupée de ses racines terriennes et ne cherche pas à comprendre les graves problèmes de l’agriculture ou de l’élevage. Tant que les supermarchés sont pleins, personne ne se pose de question!

Laisser un commentaire