Nous assistons à un bras de fer entre les USA et la Chine pour le leadership mondial. La crise sanitaire a sans doute permis à la Chine de prendre un avantage qui peut être décisif pour le futur.
La pandémie du Covid-19 ne va pas changer fondamentalement le monde, ni nos modes de vie, elle va simplement accélérer les tendances qui étaient déjà en marche. Parmi ces tendances, on notait depuis quelques années la volonté du gouvernement chinois de jouer un rôle plus grand et de peser sur la marche du monde.
L’année dernière, dans une précédente chronique intitulée « La dérive des continents », je notais déjà que le monde bougeait. L’Amérique de Trump n’était plus respectée dans le monde et la force du nationalisme chinois résidait dans sa patience, face aux pitreries et aux invectives tout azimut du maître de la Maison Blanche.
La Chine sait attendre
Tandis que les USA se retirent, une à une, de toutes les instances internationales et vitupèrent contre le multilatéralisme, la Chine étend son influence à l’aide d’un cocktail savant qui mélange l’économie, l’aide au sous-développement, la coopération internationale et la politique.
En bon joueur de go, le président Xi Jinping avance ses pions avec, incontestablement, un coup d’avance sur celui qu’il compte bien un jour détrôner. Il est probable que le maître de Pékin est installé pour plusieurs années, tandis que le locataire de Washington ne sera sans doute plus là l’année prochaine.
Chaque mois, le gouvernement chinois pousse ses avantages un peu plus loin. Il s’investit dans la fameuse « nouvelle route de la soie » qui lui permet de prendre pied dans des points stratégiques le long d’un parcours de plusieurs milliers de kilomètres. En fait, cette route est double, l’une est terrestre et traverse le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne et la France, l’autre est maritime et traverse la Méditérranée ce qui permet à la Chine, dans la foulée, de prendre pied au Moyen-Orient et en Afrique
Elle est l’une des priorités de la diplomatie chinoise, sous la présidence de Xi Jinping. Cette politique titanesque de construction d’infrastructures portuaires, ferroviaires et terrestres permettra à la Chine de s’approvisionner en matières premières et de tisser des liens économiques et politiques avec les pays traversés.
Ce projet pharaonique symbolise à lui seul l’attitude de la Chine qui tranche singulièrement avec le repli sur soi schizophrènique de l’Amérique. Il ne faut pas être dupe, il s’agit d’une véritable politique d’hégémonie et d’encerclement, mais de nombreux pays pauvres ou appauvris par la mondialisation ne peuvent résister aux « aides » et investissements si aimablement proposés !
Par ailleurs, un consortium international détenu majoritairement pas l’Etat chinois vient d’annoncer la décision de construire un câble sous-marin de 37.000 kilomètres autour de l’Afrique et qui va desservir le haut débit à 23 pays. On imagine les possibilités ainsi offertes, sans oublier les classiques capacités d’espionnage!
C’est avec la même détermination que la Chine compte bien mettre au pas la population de Hong-Kong où la démocratie vit ses dernières heures. Les visées sur Taïwan sont du même ordre, mais le gouvernement chinois prouvera qu’il sait attendre le moment propice, dans quelques années…
Leadership sanitaire
En attendant de pouvoir prendre le leadership mondial, la Chine est pragmatique et avance ses pions là où il y a une faille. La pandémie du covid-19 lui a offert une opportunité en or. Le gouvernement chinois a géré l’épidémie avec force, détermination et succès.
Le monde entier a vu, en direct, la construction d’un hôpital de 2000 lits réalisé en moins d’une semaine et immédiatement opérationnel ! Quel pays serait capable de pareille prouesse à l’improviste ?
Pendant que les télévisions nous montraient les mesures draconiennes prises par les autorités de Wuhan et les méfaits ravageurs d’une pneumonie virale inconnue, que faisaient les pays occidentaux ? Ils regardaient, ils palabraient, ils critiquaient et se moquaient, mais rien d’autre ! Croyez-vous qu’ils se préparaient à subir l’assaut du virus, qu’ils s’approvisionnaient en masques, en blouses et en médicaments ? Non ! Ils ne faisaient rien et attendaient… Nos autorités sanitaires, pourtant très satisfaites d’elles-mêmes, sont hautement responsables !
En quelques semaines les chinois ont réglé le problème du coronavirus et ont repris le travail tandis que la pagaille s’installait en Europe puis aux États-Unis. C’est alors que la Chine a joué les Bons Samaritains, apportant son aide, avec force démonstration et mise en scène. C’est ainsi que la Confédération Helvétique a reçu en don, dans une « perspective d’utilité publique » 800.000 masques, 50.000 blouses de protections et 10.000 paires de lunettes, offert par la société Huawei qui, entre autres, fournit la 5G à la Suisse…. Rien n’est jamais gratuit !
Bien d’autres « témoignages d’amitié » eurent lieu de la part d’entreprises chinoises implantées en Europe. En Afrique aussi, les chinois ont su profiter de l’occasion pour soigner leur image grâce à un « soft power » à la sauce pékinoise. Ainsi, l’entreprise qui construit des autoroutes en Algérie a offert des respirateurs, avec force communications médiatiques et banderoles rouges…
C’est Jack Ma, le fondateur d’Alibaba qui réalise un pont aérien avec l’aéroport d’Addis-Abeba en Éthiopie pour que ses donations puissent être redistribuées à travers tout le continent. D’autres entreprises, parmi les 4000 entreprises chinoises qui opèrent en Afrique, ont suivi le mouvement dans une guerre d’image sans précédent.
Il s’agit d’une vaste opération commerciale, diplomatique et politique, orchestrée par Pékin qui peut s’écrier : « Regarder ce que la Chine donne » et cela fait mouche, car c’est l’exact contre-pied du « America first » !
L’État chinois récupère toujours la mise car les représentants diplomatiques locaux sont toujours associés aux cérémonies de remises de dons très médiatisées. Il s’avère que les entreprises chinoises ne sont pas autorisées à organiser des cérémonies de donation sans l’implication de leur ambassade !
Mais dorénavant, Pékin accompagne ses gestes d’un discours d’une rare agressivité à l’encontre des démocraties occidentales, accusées d’avoir failli face au coronavirus. Cette diplomatie du “loup combattant“, à l’oeuvre dans le monde entier, est particulièrement virulente au Moyen-Orient, où les Etats-Unis sont la cible d’une campagne systématique de dénigrement, déclinée avec talent et méthode dans toutes les langues de la région.
La pandémie aura d’autres conséquences. La Chine, avec ses milliards de dollars et d’euros en réserve, grâce à sa balance commerciale chroniquement excédentaire, est en mesure de « voler au secours » des entreprises européennes en difficultés ! Les opportunités ne vont pas manquer pour entrer au capital des sociétés qui auront des fins de mois difficiles. Ce fut déjà le cas pour la compagnie d’aviation Norwegian qui a perdu 90% de sa valeur en bourse. La société de leasing BOC aviation, qui appartient à la République de Chine, détient désormais 12,6% du capital de Norwegian.
Cet exemple n’est qu’un hors d’œuvre pour se mettre en appétit ! Il n’y a pas de doute que les entreprises chinoises et le gouvernement vont pousser leur avantage et profiter de la faiblesse économique et politique de l’Europe pour entrer en force. L’Union Européenne devra certainement anticiper et se protéger. En est-elle capable ?
En attendant, le gouvernement de Xi Jinping soutient fermement l’OMS et insiste sur sa coopération active. Le président chinois a annoncé personnellement que le futur vaccin chinois serait « un bien public mondial » ! Ceci tranche singulièrement avec la guéguerre que se livrent les pays occidentaux sur le même sujet. Une fois de plus la Chine apparait comme le Chevalier Blanc…qui vient au secours de l’humanité. Qui va oser critiquer tant de générosité ?
Pendant que Donald Trump ne perd pas une occasion d’humilier la Chine, le président Xi Jinping ne bronche pas et continue d’arborer son éternel sourire discret… mais il prépare sa revanche et la pandémie lui donne l’opportunité de commencer à la mettre en pratique.