Au mois de Mai 1945, l’Europe était en déconfinement ! Quelles analogies peut-on tirer de deux convalescences différentes mais comparables ?
La peur génère partout les mêmes réflexes archaïques qui ne révèlent pas toujours les plus beaux penchants de l’espèce humaine. En temps de crise, l’héroïsme côtoie souvent la lâcheté. Les actions désintéressées des uns compensent les petits calculs sordides des autres, l’altruisme n’efface pas la délation.
Mai 45 concernait essentiellement l’Europe, Mai 2020 concerne le monde entier, symbole de la mondialisation des échanges et donc des dangers. Notre monde a rétréci et est devenu un village, il n’y a plus un point du globe qui peut se prétendre à l’écart du reste du monde.
Après 1945, bien que l’Europe perdit définitivement son leadership déjà très entamé, l’espoir du renouveau et de la reconstruction effaça d’un coup les rancoeurs et les blessures. Après 2020, l’Europe craint plus la désillusion et la désagrégation, comme si le continent avait trop vieilli et ne croyait plus en son destin.
Le poison des nationalismes
Personne ne doute que la dernière guerre ne fut que l’expression d’un nationalisme maladif et vengeur. Partout, en Europe, avaient fleuri des régimes autoritaires qui se débarrassèrent des règles démocratiques sous le prétexte de protéger la nation du délitement moral et politique.
Mussolini ouvrit le bal en 1922, porteur de la nouvelle idéologie qui allait se répandre dans de nombreux pays européens, basée sur la primauté de la nation, de la force de la jeunesse, de la virilité et de la morale chrétienne. La démocratie libérale était considérée comme trop molle et devait laisser la place à un régime autoritaire représenté par un homme providentiel, dictateur éclairé.
La crise économique de 1929 signait la faillite des démocraties libérales et il fallait reprendre les affaires en main. C’est ce que fit Salazar au Portugal en 1932, professeur d’économie qui dirigea le pays jusqu’en 1968, suivi par le Général Franco en Espagne en 1936 et qui ne lâcha le pouvoir qu’à sa mort en 1975.
Entre temps, Hitler parvint au pouvoir en 1934, sur fond de revanche militaire et économique, pour conduire une politique guerrière et raciste en la portant jusqu’à la folie incandescente ! Son épopée fut stoppée en 1945 dans les conditions que l’on sait…
Le nouveau nationalisme
Je ne sais pas si l’on peut comparer la crise sanitaire que nous vivons à la dernière guerre. Les comparaisons sont toujours hasardeuses. Je vois cependant des similitudes inquiétantes.
Certes, l’appareil productif est indemne et il n’y a pas à reconstruire, mais néanmoins l’économie va devoir supporter deux mois d’inaction totale, pendant que les États vont devoir dépenser des centaines de milliards pour aider les ménages et les entreprises. Cet effort colossal peut-être comparé au plan Marshall qui aida l’Europe à se redresser. Nous allons donc vivre une économie d’après-guerre avec son cortège d’inégalité, de chômage et de pauvreté.
Sur le plan politique, je suis frappé par la similitude du contexte, caractérisé par un renouveau du nationalisme, de l’autoritarisme et des propos guerriers. La différence, c’est qu’aujourd’hui l’ensemble du monde est concerné par cette nouvelle vague. L’Histoire nous a enseigné que les crises politiques surviennent toujours sur fond de crise économique, et c’est ce qui m’inquiète.
Les gesticulations et les propos d’un Bolsonaro au Brésil constituent un symptôme qui n’est isolé. Il fait écho à Narendra Modi, en Inde, qui souffle sur le feu d’un nationalisme Hindou qui s’embrase déjà. En Chine, le dictateur Xi Jinping aspire à donner à son pays un leadership planétaire, en jouant sur une fierté nationaliste qui fédère les énergies et permet toutes les exactions politiques et militaires, à commencer par la chasse aux musulmans Rohingyas.
L’Europe n’est pas absente dans cette épidémie nationaliste, comme on peut le voir dans la Hongrie de Victor Orban ou dans la Pologne d’Andrzej Duda, qui veulent tous les deux agrandir leur pouvoir et rester en marge de l’Union Européenne, sans toutefois refuser son aide financière ! L’élection de Boris Johnson en Grande-Bretagne procède de la même dynamique du repli sur soi.
Bien entendu, quand on parle de nationalisme ou d’égoïsme national, tous les yeux se tournent du côté de l’Amérique de Donald Trump qui, au nom de l’intérêt national, renie de façon unilatérale, tous les engagements internationaux de son pays. Il est en outre difficile de ne pas voir la similitude de son slogan de campagne « Make America great again » avec un certain «Sieg Heil ! Deutschland über Alles », chant de ralliement du temps du national-socialisme !
Et après ?
Le Journal Le Temps, de Lausanne, n’hésite pas à faire le parallèle, entre la défaite du 17 Mai 1940 lorsque la 4ème division cuirassée française, dirigée par un certain Colonel Charles de Gaulle, fut enfoncée par les Panzers de la Wehrmacht, et la bataille sanitaire que la France a failli perdre, « ligotée par une administration percluse de rhumatismes bureaucratiques, laissant les soignants seuls au feu, face à un redoutable ennemi ».
Ce qui ne manque pas de sel, c’est de constater que le manque de communication et de coordination des autorités sanitaires, dans leur lutte contre le Covid-19, fait écho au manque de coordination des chars français qui, en 1940, ne disposaient pas de radio pour communiquer entre eux ! Certains peuples sont-ils incorrigibles ?
Pendant ce temps-là, les économistes ergotent pour savoir si nous allons subir une récession ou bien une dépression. Où va nous conduire ce nouveau nationalisme, sur fond de crise économique ? Les forces centrifuges qui s’exercent en Europe ne sont pas porteuses de lendemains qui chantent. On peut craindre que son influence dans le monde s’estompe jusqu’à ne plus peser grand-chose.
L’Europe, affaiblie par le renouveau du nationalisme, se trouvera ballotée par les exigences de l’Est ou de l’Ouest, perpétuellement sous tutelle, voire sous domination. Il faut dire que les démocraties européennes ne sortent pas grandies de la gestion de la crise sanitaire. Plusieurs d’entre elles démontrèrent leur incapacité à anticiper et à gérer un état de crise grave. La prise de conscience de leur dépendance de l’industrie d’Extrême-Orient ne peut que favoriser le sentiment nationaliste.
Cette période a montré, à la face du monde, à la fois la faiblesse des démocraties libérales, minées par la contestation permanente, et la supériorité des régimes autoritaires pour juguler une épidémie. Ceci a permis à la Chine, qui s’est très vite retrouvée sur le chemin de la convalescence, de jouer les bons apôtres et d’offrir ses services urbi et orbi.
La période de la pandémie et de la crise économique va jouer le rôle d’accélérateur des tendances préexistantes. Donald Trump a montré l’Amérique sous son mauvais jour et a durablement terni son image face au reste du monde. L’idée qui domine désormais dans de nombreux pays, c’est que l’on ne peut plus faire confiance à l’Amérique et qu’il faut désormais se tourner vers d’autres partenaires.
Law, not war
Je lisais tout récemment l’interview de Ben Ferencz, aujourd’hui âgé de 100 ans et ancien procureur des procès de Nuremberg. Il fut un des premiers à enquêter sur les crimes de guerre, après la libération.
Toute sa vie il a milité activement pour la création d’une Cour Pénale Internationale, qui existe maintenant depuis 2002, mais que les États-Unis ne reconnaissent pas. Le président Clinton avait signé le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale, signature qui fut révoquée par George W. Bush… c’est devenu une habitude en Amérique de renier sa signature !
« Si les dirigeants savent qu’ils peuvent être tenus pour responsable de leurs actes devant un tribunal indépendant, ils seront plus réticents à envoyer des troupes et des bombes », affirme Ben Ferencz qui reprend le slogan des Hippies « Make love, not war », pour le transformer en « Law, not war ».
Pendant ce temps-là, John Bolton, ancien secrétaire d’État, donne des conférences contre la Cour Pénale Internationale devant des gens très influents. C’est lui qui a fait adopter par le Congrès américain « the Hague Invasion Act » qui autorise le président américain à intervenir militairement pour libérer des criminels de guerre américains détenus par le Tribunal International à La Haye! Voilà comment la première puissance militaire du monde se considère au-dessus de la loi des hommes…
Lorsque l’on écoute les propos de Donald Trump, il y a de quoi être inquiet, quand il menace de génocide la Corée du Nord : « Nous vous détruirons totalement ». Parce que les USA est la puissance dominante, elle s’arroge le droit de tuer quiconque se met en travers de son chemin !
Que se passera t-il demain, si le nationalisme Chinois ou Russe se met en travers du nationalisme Américain ? Aurons-nous la guerre, après 75 ans de paix en Occident ? Taïwan est un sujet de dispute rêvé pour les va-t’en guerre ! La guerre a toujours été une stratégie de diversion en période de crise économique.
Les citoyens européens se sont plaints du manque d’anticipation des gouvernements face au risque de pandémie. Ils gémiront demain lorsqu’ils comprendront l’étendue de la crise économique. Ils pleureront, après-demain, si l’Europe désunie ne parvient pas à maintenir les nationalismes qui peuvent se transformer en dictatures. l’Histoire ne se répète pas, mais elle bégaye !…
N.B. WIR WERDEN BESSER LEBEN = NOUS VIVRONS MIEUX
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Sauf qu’on pourrait dire aussi que la pandémie a montré l’inexistence criante de l’Union Européenne et le rôle toujours aussi incontournable des nations européennes chacune en ce qui la concerne ! Il faudrait enfin savoir si “nation” est un gros mot ou l’expression d’une réalité millénaire ?
“Nation” n’est pas un gros mot ! Mais le “nationalisme”, sous lequel couve souvent une agressivité envers les autres est un mot alourdi et sali par l’Histoire…
Notre pays,hélas,n’était guère préparé pour affronter cette pandémie.Il ne l’était pas davantage pour résister aux Panzers de la Wehrmacht.La faiblesse des démocraties se révèle face aux pouvoirs sans concessions des dictatures .Nos insuffisances persistent par rapport à ce pays que l’on donne souvent en exemple:l’Allemagne.Les dangers apparaissent,ils sont multiples dont le repli sur soi avec des frontières verrouillées.Le tableau est bien dressé de ce monde qui peine à jouer une partition plus équilibrée où l’on pourrait encore distinguer quelques notes plus gaies pour un après qui donnerait envie d’y aller.
Remerciements pour nous aider à comprendre.Bien cordialement,prenez soin de vous.